Personne âgée

Diabète du sujet âgé : traiter sans surtraiter

Contrôler la glycémie, tout en limitant au maximum le surtraitement et le risque d’hypoglycémie… Tel est le dilemme des diabétologues face aux patients âgés. A la suite de nouvelles recommandations émises en décembre 2023, les experts ont fait le point sur le sujet.

17/04/2024 Par R.L.
SFD 2024
Personne âgée

Parmi les patients atteints d’un diabète de type 2 (DT2), un quart ont plus de 75 ans. "C’est une population particulièrement hétérogène, qui cumule les complications du diabète et de l’âge. On ne prend pas en charge les sujets âgés comme les patients plus jeunes", rappelle la Pre Lyse Bordier, cheffe du service d’endocrinologie et maladies métaboliques à l’hôpital d’instruction des armées Bégin (Saint-Mandé, Val-de-Marne). A prendre en compte, les comorbidités cardiovasculaires et rénales, mais aussi les troubles cognitifs, la démence et la dépression, ainsi que les troubles de la marche, les déficits sensoriels, la dénutrition et l’isolement social.

Alors que l’espérance de vie est en hausse chez les diabétiques, le vieillissement de ces patients devient une préoccupation croissante pour la Société francophone du diabète (SFD), qui a publié en décembre 2023 une "mise au point sur la prise en charge du diabète chez les personnes âgées". Si le diabète gériatrique n’est souvent qu’une facette d’une santé plus largement défaillante, Lyse Bordier estime que "l’équilibre glycémique ne doit pas être négligé chez les personnes âgées. Ce n’est pas parce qu’un patient est âgé de 85 ans que l’on doit se satisfaire d’un taux d’hémoglobine glyquée de 9%".

Autre impératif, éviter à tout prix l’hypoglycémie, dont la survenue est un marqueur de surmortalité, de démence liée à l’âge, mais aussi de chutes et de fractures(1). "Comme souvent en médecine, il faut faire preuve de bon sens : ne pas être trop agressif et ambitieux avec des patients dont l’espérance de vie est modeste, mais garder de bons objectifs d’efficacité chez ceux qui, même s’ils ont un âge élevé, auraient le temps, si leur diabète était mal équilibré, de développer une rétinopathie, ou de voir une maladie rénale chronique s’aggraver", estime Lyse Bordier. Entre Charybde et Scylla, la SFD prône ainsi des objectifs glycémiques différenciés chez les plus de 75 ans, selon leur niveau d’autonomie et de santé.

 

Jusqu’à 9% de HbA1c chez les personnes âgées dépendantes
Pour les patients en bonne santé, les experts proposent de conserver la même cible que chez les sujets plus jeunes, à savoir un taux de HbA1c inférieur à 7%. Chez ceux dont la santé est fragile, il faut plutôt viser un taux inférieur à 8%, mais supérieur à 7% en cas de traitement à risque hypoglycémique élevé, tel que glinides, sulfamides et insuline. Quant aux sujets dépendants et/ou dont la santé est très altérée, la SFD propose un taux de HbA1c inférieur à 9%, mais supérieur à 7,5% chez ceux sous traitement à risque.

A l’origine de ces recommandations, les résultats de la cohorte française Gerodiab suggèrent une relation particulière entre le taux de HbA1C et le risque de mortalité des patients âgés, suivant une courbe en J. Dans cette étude menée sur 987 personnes de plus de 75 ans, le risque de décès, accru de 80% à cinq ans en cas de taux de HbA1c supérieur 8%, s’élevait aussi chez les patients se situant en-dessous de 5,8%. Selon le Pr Jean Doucet, chef du service de médecine interne polyvalente du CHU de Rouen et promoteur de la cohorte Gerodiab, "cela suggère le problème du surtraitement du diabète, chez des patients probablement plus comorbides", donc plus fragiles.

Publiée en 2021, une étude menée dans six Ehpad de Côte-d’Or confirme l’ampleur du phénomène de surtraitement chez des patients âgés et dépendants, laissés souvent sans grande surveillance glycémique(2). Sur 42 résidents, âgés en moyenne de 87,4 ans et équipés d’un système de mesure du glucose en continu (CGM) dans le cadre de cette étude, 79% ont connu un total de 242 épisodes hypoglycémiques en deux semaines, dont 100% parmi ceux dont le taux de HbA1c était inférieur à 7%. De même, 45% ont connu au moins un épisode d’hypoglycémie modérée, avec une glycémie inférieure à 54 mg/dL.

Par ailleurs, une grande étude canadienne a révélé un risque doublé de mortalité et d’hospitalisation liée au diabète chez les patients âgés bien contrôlés (taux de HbA1c inférieur à 7%) sous traitement à risque hypoglycémique (sulfamides, insuline), par rapport à ceux dont le taux de HbA1c était compris entre 7% et 8%, dotés d’un traitement moins risqué(3).

 

Une stratégie à ajuster selon l’état du patient
En matière de stratégie thérapeutique, la marche à suivre dépend de l’état de santé général du patient. Chez les plus de 75 ans en bonne santé, la prise en charge est similaire à celle de patients plus jeunes, à l’exception d’une éviction des glinides et des sulfamides, et d’une vigilance nutritionnelle face aux agonistes du récepteur du GLP-1, nouvelle classe aux effets très marqués sur le poids. Chez le patient fragile, les experts préconisent la metformine en première ligne (hormis contre-indication formelle, telle qu’insuffisance cardiaque décompensée, insuffisance rénale sévère, phase aigüe d’infarctus ou d’AVC), suivie en deuxième ligne de l’ajout d’un inhibiteur de la DPP4 et/ou d’un inhibiteur du SGLT2 en cas de maladie rénale chronique ou d’insuffisance cardiaque.

S’ils ne sont habituellement pas recommandés chez les patients âgés en raison de leurs effets digestifs et du risque de dénutrition, les agonistes du récepteur du GLP-1 peuvent être utilisés "au cas par cas" en deuxième ligne chez les patients fragiles, à la place de l’inhibiteur de la DPP4, en présence d’une obésité devant être prise en charge. En cas d’échec, la combinaison metformine/insuline basale s’impose en troisième ligne, là aussi avec ou sans inhibiteur du SGLT2. Quant aux patients dépendants, la stratégie est similaire, à la différence que les inhibiteurs du SGLT2 y sont généralement à proscrire -excepté, au cas par cas, en présence d’une insuffisance cardiaque.

En matière d’insuline basale, les experts prônent l’insuline glargine U300 et l’insuline dégludec, "qui ont une plus longue durée d’action, une meilleure stabilité, avec une réduction des hypoglycémies, notamment nocturnes, chez les personnes âgées", explique le Pr Bernard Bauduceau, ancien chef du service d’endocrinologie et maladies métaboliques à l’hôpital Bégin (Saint-Mandé) et coordinateur des recommandations de prise en charge du sujet diabétique âgé. Quant aux nouvelles insulines ultrarapides, "elles permettent d’éviter les à-coup hyperglycémiques en période postprandiale, peuvent être utilisées de façon ponctuelle au moment d’une collation ou d’un goûter, ou même injectées après les repas en fonction de la prise alimentaire".

Selon Bernard Bauduceau, "ce qui changera sans doute à l’avenir, est l’apport des nouvelles technologies. De nombreux patients, atteints d’un diabète de type 1 ou de type 2 traités par insuline, parviennent à un âge très avancé, et il n’est pas éthiquement acceptable de les priver des capteurs de mesure continue du glucose [CGM], de la pompe à insuline, et peut-être des boucles fermées. Notamment chez les personnes qui n’ont pas de troubles cognitifs, bien qu’il faudra une prise en charge bien spécifique de ces patients."

Au sommaire du congrès :
-    Boucle fermée, greffe d’îlots, sujet âgé… Que faut-il retenir du congrès de la Société francophone du diabète ?
-    La boucle fermée tient ses promesses "en vie réelle"
-    Avec le Covid-19, le diabète de type 2 est reparti à la hausse
-    Ménopause du diabète : les effets bénéfiques du traitement hormonal
-    La thérapie cellulaire, nouvel horizon de la greffe d’îlots

(1)Mattishent K et al., Frontiers in Endocrinology, 8 mars 2021
(2)Bouillet B et al., Age and Ageing, 27 juillet 2021
(3)Lega IC et al., Diabetologia, 25 janvier 2021

Références :

Congrès de la Société francophone du diabète (Toulouse, 19-22 mars). D’après les présentations des Prs Lyse Bordier et Bernard Bauduceau (hôpital d’instruction des armées Bégin, Saint-Mandé, Val-de-Marne), et Jean Doucet (CHU de Rouen), lors des sessions "Prise de position SFD/nouvelles recommandations" et "Gériatrie : améliorer la qualité des soins des personnes diabétique âgées" ; la conférence de presse de la SFD (13 mars) ; et "Mise au point sur la prise en charge du diabète chez les personnes âgées", supplément 17/8S1 de "Médecine des maladies métaboliques", décembre 2023, coordonné par le Pr Bernard Bauduceau.

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