Covid pédiatrique : la France est "le dernier de la classe pour la vaccination des enfants", déplore le Pr Fischer

22/10/2022 Par Sylvie Coito
Infectiologie
La vaccination, sujet sensible déjà chez les adultes, l’est encore plus chez les enfants. Le Pr Alain Fischer regrette vivement le manque de vaccination des enfants à risque, de ceux entourant une personne immunodéprimée, et des femmes enceintes. Il fait le point pour Egora, à l’occasion des Journées parisiennes de pédiatrie (JPP), qui se sont tenues les 30 septembre et 1er octobre à Paris.

  Egora-Le Panorama du médecin : quelle est la situation actuelle du Covid chez les enfants ? Pr Alain Fischer : Aujourd’hui [30 septembre, NDLR], nous sommes au début de la 8ème vague. Le taux d’incidence chez les enfants est pour les 0 à 9 ans, de 200 pour 100 000 et pour les 10-19 ans de 390 pour 100 000. Ce chiffre est, de plus, globalement sous-estimé mais il est sous-estimé pour toutes les tranches d’âge. Le taux d’incidence chez les 0-9 ans est 2 fois plus élevé qu’il y a un mois et chez les 10-19 ans, 4 fois plus élevé ! Actuellement, 146 enfants sont hospitalisés « avec un covid » dont une fraction « pour covid ». 130 ont entre 10 et 19 ans et 29 sont en soins intensifs. Le covid touche moins les enfants mais il peut provoquer des infections graves parmi les plus jeunes. On a comptabilisé 113 cas de syndrome inflammatoire multi-systémique pédiatrique (Pims) pour un million d’enfants. C’est 10 fois moins depuis les variants omicron. Le risque est certes plus faible mais pas complètement nul. On sait que la vaccination protège des formes graves, et contre le Pims. Les données françaises danoises, américaines et britanniques montrent un risque de Pims diminué d’au moins 90% avec la vaccination. Et le risque de myocardite après vaccination est infinitésimal chez les moins de 12 ans.   Que pensez-vous de la vaccination des enfants contre le covid en France ? La France a été l'un des pays les plus efficients au monde pour la vaccination des adultes mais le dernier de la classe pour la vaccination des enfants. J’aimerais qu’on obtienne un consensus sur deux points.  Tout d’abord sur la vaccination des enfants à risque. C’est hallucinant pour moi, je vais même plus loin, choquant, scandaleux que les enfants fragiles ne soient pas vaccinés, à peine plus de 1 sur 10 le sont aujourd’hui. Même si le risque de maladie n’est pas très élevé, le risque lié au vaccin peut être considéré comme nul. L’effet protecteur est indiscutable. Je ne comprends pas - je le dis avec un peu de véhémence - que les médecins n’aient pas l’idée de façon plus sérieuse de vacciner les enfants. De plus, il ne faut pas oublier les enfants qui vivent à proximité de personnes immunodéprimées. On sait qu’une proportion non négligeable des transplantés et des dialysés ne répondent pas à la vaccination. Il faut les protéger en vaccinant leurs enfants. Et le 2ème point concerne la vaccination des femmes enceintes. Le taux de couverture vaccinale des femmes enceintes est insuffisant. La vaccination des femmes enceintes protège des hospitalisations des nouveau-nés et des jeunes nourrissons. En cas de vaccination datant de moins de 6 mois chez la mère, le risque d’hospitalisation est diminué d’un facteur 2. S’il y a eu un rappel après 20 semaines de grossesse, on obtient 69% de protection. Les résultats sont un peu moins bons avec omicron mais restent cependant significatifs. Nous devrions tous collectivement -médecins, pédiatres- agir pour promouvoir la vaccination.   Pourquoi autant de réticences ? Il y a un vrai souci de confiance dans la vaccination, même dans les familles qui avaient l’habitude de la vaccination. La pandémie n’a fait que souligner le problème.   On peut déplorer un manque de vaccinations chez les enfants à risque, mais qui doit s’occuper de ce point particulier ? Effectivement, les pédiatres ou médecins généralistes qui suivent l’enfant peuvent avoir des réticences à vacciner des enfants à risque et le spécialiste qui suit l’enfant peut se dire que ce n’est pas à lui de s’occuper des vaccinations de l’enfant. On assiste à une dilution des responsabilités. Il faudrait pouvoir inscrire la vaccination dans les protocoles de soins ; et ce point devrait être géré par le spécialiste.   Reste la question de la vaccination des enfants bien portants ? En France, la vaccination des enfants bien portants a complètement échoué, contrairement aux pays voisins. Le risque est faible ; pour évaluer un impact sur un risque faible, il faut des effectifs très importants. Il faut attendre un petit peu pour conclure sur l’impact réel de ce manque de vaccination. Aujourd’hui, le risque de formes graves chez les enfants bien portants infectés par les variants omicron est faible, il n’est cependant pas tout à fait nul. Et la tolérance des vaccins pour les moins de 12 ans est excellente. Je pense que cette option doit toujours être considérée. C’est aussi une façon d’éviter l’absentéisme scolaire.  Il faut agir, convaincre, discuter avec les familles, auprès des femmes enceintes. Il faut promouvoir cette vaccination auprès des enfants fragiles, de l’entourage des personnes profondément immunodéprimées, des femmes enceintes et considérer de façon positive la vaccination des enfants bien portants même si, je le répète, le risque est faible. On ne sait pas ce qui va se passer dans les mois qui viennent en termes d’évolution du virus.   Comment envisagez-vous le virus de demain ? La 8ème vague actuelle est toujours liée au variant BA.5 d’omicron qui a sévi dans les semaines et mois qui viennent de passer. Avec le temps, l’immunité collective de la population diminue, la météo devient plus favorable au virus. Enfin, les mesures barrières se sont considérément relâchées, pour ne pas dire annihilées. Ce qu’il faut espérer, c’est garder une immunité qui évite des hospitalisations et les situations graves. On peut faire des hypothèses pour le futur. Il n’est pas imaginable qu’il n’y ait pas de nouveau variant. On peut avoir la résurgence d’un variant antérieur, on espère que ça ne sera pas le delta, qui était virulent. Cela pourrait être un nouveau variant plus transmissible, comme les omicrons. Et le scénario catastrophe - qui n’est pas le plus probable mais qui est possible - est l’émergence d’un variant qui combine le niveau de transmissibilité d’omicron avec une sévérité accrue. On ne peut rien exclure. Ce n’est pas le scénario le plus plausible mais il faut être vigilant. Aujourd’hui, un variant hérité de BA2, le BA2.75.2, circule en Asie. Ce variant résiste plus à la réponse immunitaire. Va-t-il provoquer des vagues épidémiques avec des conséquences sévères? Un autre variant est également apparu, le BQ1.1. La situation est de plus en plus complexe, compte tenu à la fois de l’histoire infectieuse et vaccinale des populations.   Où en sommes-nous dans le développement de nouveaux vaccins ? On adapte les vaccins. Les bivalents sont désormais accessibles en France mais ne concernent pas les enfants. Actuellement, seuls les vaccins « classiques » peuvent être administrés chez les plus jeunes. Les vaccins bivalents contiennent des séquences dirigées contre la protéine spike ancestrale ainsi que ceux du variant BA.1 et bientôt BA.5. Les études ont montré que ces nouveaux vaccins bivalents sont aussi bien tolérés que les vaccins originaux. Ils permettent d’obtenir des titres d’anticorps neutralisants contre BA.1 et BA.5 supérieurs à l’effet de la vaccination classique avec le vaccin ancestral. Ils auront ainsi un impact un peu plus fort sur l’infection. Les vaccins « classiques » ne sont pas très efficaces en matière de protection contre l’infection face à omicron. Cependant, malgré tout, dans les 3-4 mois qui suivent une vaccination, le risque d’infection est diminué d’un facteur 2. En revanche, ils restent efficaces pour prévenir les formes graves de Covid. Un vaccin combinant la souche ancestrale et le variant BA.5 va prochainement arriver sur le marché. A terme, la question se pose de leur efficacité qui dépendra des variants à venir. Beaucoup de recherche sur de nouveaux vaccins sont en cours ; ainsi, il y a une centaine d’essais cliniques sur l’utilisation de vaccins muqueux par instillation intranasal. Deux vaccins de ce type viennent d’être homologués en Inde et en Chine, à base de vecteurs adénoviraux. Mais les données de ces essais n’ont pas été transmises. C’est une source d’espoir pour réduire la transmission du virus et diminuer les cas graves. Cependant l’immunité muqueuse ne persiste pas longtemps et il faudra combiner le vaccin intra-nasal à la vaccination systémique.

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