Homéopathie : ce qui est prouvé (ou pas)

13/04/2018 Par Dr Philippe Massol
Angiologie

Une nouvelle fois, les médecines dites alternatives ou complémentaires, et en particulier l’homéopathie, reviennent dans le débat public. A l’origine de cet épisode, une tribune signée par 124 professionnels de santé et publiée sur Egora. Que dit la science, que disent les professionnels de santé qui y ont recours ? Second épisode : l’homéopathie.

  « La médecine ne doit pas soigner la maladie, mais le patient qui en souffre » (Maimonides (1135-1204). C’est bien là le propos de l’homéopathie. C’est aussi sa différence avec l’allopathie. Au-delà de cette distinction, ce sont les quatre principes fondamentaux de l’homéopathie qui interrogent. Ces principes fondamentaux sont la similitude (le fondement de l’homéopathie), la totalité (le patient est étudié dans son ensemble), la dilution infinitésimale et la dynamisation (secouer énergiquement le flacon entre chaque dilution).    

Le principe de dilution

Le principe de dilution est celui qui a provoqué, depuis longtemps, débats et polémiques sur la réelle efficacité de l’homéopathie. Cependant, plusieurs essais en laboratoire ont montré que les médicaments homéopathiques à très haute dilution ont des effets biologiques qu’on ne verrait pas s’ils étaient composés «juste d’eau » ou s’ils n’étaient « que des granules de sucre ».  Parmi ces travaux,  ceux réalisés par l’équipe du Pr Doutremepuich (Faculté de Pharmacie, Bordeaux) avec l’aspirine. L’aspirine 100 mg/kg présente bien une action anti-agrégante et anti-thrombotique. Et aux très faibles doses (9, 15, 30 CH avec un maximum en 15 CH), elle est pro-agrégante, pro-thrombotique (F. Eizayaga, O. Aguejouf, P. Belon, C. Doutremepuich. Platelet Aggregation in Portal Hypertension and Its Modification by Ultra-Low Doses of Aspirin. Pathophysiol of Haemost Thromb 2005; 34:29-34).  De plus les auteurs ont  démontré  pour la première fois que l ’aspirine 15 CH est capable d’une activité thérapeutique sur un phénomène physiopathologique tel que l’hypertension portale. Il ne s’agissait donc plus uniquement de l’observation d’un phénomène pharmacologique mais bien d’une action thérapeutique. Près de 75% des expériences in vitro sur de très hautes dilutions montrent que la substance produit un effet et presque 75% des répétitions d’essais ont eu des résultats positifs (Witt CM, Bluth M, Albrecht H, Weisshuhn TE, Baumgartner S, Willich SN. The in vitro evidence for an effect of high homeopathic potencies–a systematic review of the literature. Complement Ther Med., 2007; 15(2): 128-38 | PubMed). Mais, jusqu’à présent, aucun résultat positif n’a été assez stable pour être reproduit à tout moment par tous les chercheurs.  

L’apport de la pharmaco-épidémiologie

Les principes de l’homéopathie rendent compte de la difficulté à réaliser des études cliniques versus placebo, ce qui fait que les médecins prescripteurs d’homéopathie sont confrontés à l’évaluation scientifique, d’autant plus que les essais cliniques randomisés et l’evidence based medicine sont aujourd’hui considérés comme incontournables (1). La recherche existe en homéopathie depuis 70 ans, et peu ou prou, avec les moyens et les exigences de niveau de preuve de chaque époque, depuis 70 ans. Le nombre d’études cliniques en homéopathie n’a cessé de croître ces dernières années. Des revues médicales indexées dans PubMed publient les résultats de ces travaux de recherche. Alors, où sont les preuves ? Parmi les différents niveaux de recherche à distinguer, la recherche épidémiologique et plus particulièrement-pharmaco épidémiologique est peut-être la première à apporter un début de réponse à l’utilisation de l’homéopathie par les médecins. A cet égard, l’étude EPI 3 a marqué un tournant historique par l’ampleur de l’échantillonnage et le reflet de l’exercice de la médecine générale en France. L’étude, réalisée en toute indépendance, et conduite par un comité scientifique comprenant des personnalités loin du monde de l’homéopathie, présidé par le Pr Bernard Bégaud, a mobilisé 825 médecins généralistes représentatifs de la pratique française en homéopathie ou en allopathie et 8 559 patients de 2005 à 2012, et portait sur trois indications : les infections des voies aériennes supérieures (Ivas), les douleurs musculo-squelettiques (DMS) et les troubles anxiodépressifs et du sommeil (SAD), pathologies qui représentent 50 % des consultations chez les médecins généralistes en France. Sur ces trois grandes catégories d’affections impactant le plus la qualité de vie des patients, l’analyse des données montre que l’homéopathie soigne aussi bien, avec moins de iatrogénie et moins de pathologies induites, sans perte de chance pour les patients. Par ailleurs, les médecins ont été classés en trois groupes, les médecins allopathes non prescripteurs réguliers d’homéopathie, les médecins homéopathes et les médecins à pratique mixte prescrivant de l’homéopathie plusieurs fois par semaine. Les données recueillies montrent que le groupe de médecins à pratique mixte représente à lui tout seul plus de 40% de la prescription des médicaments homéopathiques en France.  L’étude a fait l’objet de onze publications dans des revues scientifiques internationales, entre 2011 et 2016.  

Les essais cliniques

Concernant la recherche clinique, jusqu’à la fin de l’année 2014, 189 essais contrôlés randomisés en homéopathie traitant 100 maladies différentes ont été publiés dans des revues à comité de lecture  (http://www.facultyofhomeopathy.org/research ). Parmi ces essais, 104 incluaient un contrôle placebo: 41% avaient un résultat positif (43 essais) –montrant que l’homéopathie était efficace, 5% avaient un résultat négatif (5 essais) montrant que l’homéopathie n’était pas efficace et 54% n’étaient pas concluants (56 essais).  Ces résultats sont similaires à ceux retrouvés dans les études en médecine conventionnelle (El Dib RP, Atallah AN, Andriolo RB. Mapping the Cochrane evidence for decision making in health care. J Eval Clin Pract., 2007;13(4):689-92 | PubMed ).  

Les grandes méta-analyses

Cinq  principales méta-analyses en homéopathie peuvent être retenues (1) . Elles reprennent les résultats d’essais cliniques randomisés versus placebo et/ou en double insu, en les comparant, pour l’une d’elles, à des essais de médecine allopathique versus placebo. La Commission Européenne en 1996 a publié un réel audit de toute la littérature clinique homéopathique disponible et a déposé un rapport final (2). Les auteurs concluent que « sur 377 références, seulement 21 ont pu servir à un réel audit interuniversitaire. Si, à partir des études analysables, on peut conclure qu’il existe une activité des remèdes homéopathiques supérieure au placebo, on ne peut en tirer de conclusions définitives sur la valeur de l’homéopathie puisque le nombre de patients inclus dans ces études n’est que de 2 282. Cependant, ces conclusions confirment entièrement les résultats d’audits antérieurs […]. L’homéopathie est donc bien digne de recherche ». En septembre 1997, The Lancet (3) a publié une méta-analyse tentant de répondre à la question suivante : « Les effets cliniques de l’homéopathie sont-ils des effets placebo ? » L’analyse portait sur des études comparatives versus placebo. Les auteurs ont recherché des biais de publication par des tests de sensibilité sévères. Or, les résultats étaient toujours significatifs et solides. L’analyse statistique sophistiquée avait permis de conclure : « Il n’est pas possible d’attribuer les effets cliniques de l’homéopathie uniquement à un effet placebo même si cette conclusion ne permet pas d’affirmer définitivement l’efficacité spécifique de l’homéopathie. » Troisième méta-analyse, celle publiée par The Lancet en 2005 (4). Les auteurs ont voulu répondre à nouveau à la même question :  «  Les effets cliniques de l’homéopathie sont-ils des effets placebo ? » Ce travail a comparé 110 essais cliniques en homéopathie à 110 essais en médecine traditionnelle versus placebo. La conclusion est la suivante : « Des biais sont présents dans les essais contrôlés contre placebo, en homéopathie, comme en médecine traditionnelle. En tenant compte de ces biais, il y a une preuve mince d’effet spécifique des remèdes homéopathiques, mais une preuve forte d’effets spécifiques en médecine conventionnelle. Cela est compatible avec la notion que les effets cliniques de l’homéopathie sont des effets placebo ». Cependant, cette étude a fait l’objet de nombreuses réserves, l’analyse préférentielle des essais de taille élevée au détriment des petits essais pénalisant des études bien adaptées à l’homéopathie individualisée (5). La méthodologie des essais cliniques est en effet mal adaptée à l’approche individualisée de l’homéopathie et les niveaux de preuve sont difficiles à obtenir. Il existe également une difficulté pour inclure un nombre suffisant de patients dans les essais. Certains auteurs proposent des études qualitatives pour comprendre, à l’échelle de chaque patient, ce que des méthodes comme l’homéopathie leur apportent. En Suisse, un groupe d’experts a été mandaté pour se pencher sur l’homéopathie suite à la demande pressante de la population et du corps médical pour évaluer les médecines non-conventionnelles et complémentaires. Ce rapport du Gouvernement Suisse remis en 2006 a été publié sous forme de livre en 2011. Sur 22 revues systématiques, 20 d’entre elles démontrent des résultats suggérant un effet positif (http://www.ncbi.nlm.nih.gov/pubmed/16883077). Sur ces 20 études, 5 d’entre elles démontrent, par ailleurs, des effets très nettement supérieurs à l’effet placebo. Dans le domaine des allergies et infections des voies respiratoires supérieures, les données probantes se démarquent particulièrement. Le 29 mars 2016, le ministère de la santé suisse a décidé d’accorder à quatre thérapies complémentaires, dont  l'homéopathie, le même statut que la médecine conventionnelle. L’Agence de santé australienne (le NHMRC, National Health and Medical Research Council) a  procédé en 2015 à une étude de l’efficacité de l’homéopathie à partir de l’analyse de  176 études scientifiques. Selon ses résultats, les effets cliniques de l’homéopathie sont ceux d’un placebo (https://www.nhmrc.gov.au/guidelines-publications/cam02 ). Cependant ce rapport a fait depuis l'objet de plusieurs mises en cause de ses conclusions. D'une part, seules les études contre l’homéopathie ont été retenues depuis 1997. Et trois études significatives ont été écartées de manière non justifiée. De plus, toute étude réalisée sur moins de 150 personnes a été jugée comme non-valide, même pour celles statistiquement très significatives. Or, les études qui concerne l’homéopathie ont souvent de faibles effectifs. Fin 2017, le conseil scientifique des académies des sciences européennes a pointé dans un rapport (6) l'inefficacité de l'homéopathie et demandé le non remboursement de celle-ci. Les académiciens déclarent que l’efficacité de l’homéopathie n'est absolument pas établie. « En se fondant sur une analyse approfondie des résultats disponibles, l’étude révèle que chaque cas, pour lequel une efficacité clinique d’un produit homéopathique a été revendiquée, peut s'expliquer par l'effet placebo, une mauvaise conception de l'étude, des variations aléatoires, une régression des résultats vers la moyenne ou un biais de publication ». Selon eux, « les revendications scientifiques de l'homéopathie ne sont pas plausibles et sont incompatibles avec les concepts établis de la chimie et de la physique ». Mais là aussi ce rapport est discuté. L'Unio Homeopathica Belgica (http://www.homeopathie-unio.be) a réagi, notamment en faisant valoir que l'EASAC est arrivée à cette conclusion « par une sélection contestable de recherches existantes ». Alors, à  la question  « l’homéopathie diffère-t-elle du placebo, ? »,  les méta-analyses et les rapports se succèdent sans répondre clairement à la question. Cependant, de nombreuses études ont été réalisées sur des pathologies spécifiques et ont fait l’objet de méta-analyses et d’analyses Cochrane. Ainsi, par exemple, l’homéopathie a un intérêt démontré dans le traitement et prévention des infections ORL avec une efficacité égale à celle du traitement classique dans des études d’observation (7,8).  

L’homéopathie dans les hôpitaux

L’homéopathie n’est plus bannie des hôpitaux. Des consultations qui lui sont consacrées commencent à apparaître dans des centres hospitaliers à la demande des professionnels de santé. C’est le cas notamment en gynécologie-obstétrique et en cancérologie. Aujourd'hui, sur les 32 consultations en France où l'homéopathie a trouvé une place en milieu hospitalier, 14 ont lieu en oncologie.  Une étude menée à Strasbourg en 2007 relevait 37 % d’utilisatrices de l’homéopathie chez des femmes ayant un cancer du sein. Selon une autre étude, menée en 2010 (9), un patient sur trois a recours aux médicaments homéopathiques pendant son traitement contre le cancer. « Si l’homéopathie n’est pas un traitement du cancer, elle peut soutenir et améliorer l’état général pendant les traitements tout en diminuant leurs effets secondaires » expliquait en 2012 le Pr Ivan Krakowski, oncologue médical (centre Alexis-Vautrin, Vandoeuvre-lès-Nancy). Par son approche globale de la personne malade, l’homéopathie répond aux critères des soins de support. L’homéopathie y est utilisée notamment pour combattre les effets iatrogènes des traitements : nausées, vomissements, diarrhée, amaigrissement, asthénie, anorexie, états dépressifs, xérose tissulaire, troubles des phanères. Dans le cancer du sein, l’hormonothérapie peut entrainer des douleurs articulaires. Une étude publiée en 2016 menée à l’Institut Jean Godinot à Reims a montré une diminution de ce type de douleurs et une réduction de 50% de la consommation d’antalgiques avec deux médicaments homéopathiques. Selon le Dr Emmanuel Berland, oncologue radiothérapeute (CH de Chambéry), « 60% des patients traités en oncologie recourent à des techniques complémentaires comme l’acupuncture et l’homéopathie. Il existe à Chambéry une consultation d’homéopathie dédiée au traitement des effets secondaires liés aux chimiothérapies. Elle soulage alors le patient. De même, l’homéopathie diminue les douleurs articulaires provoquées par l’hormonothérapie. Le fait de voir sa douleur diminuer grâce à l’homéopathie permet au patient une meilleure observance de son traitement anti-cancéreux conventionnel ! » Le Dr Christelle Besnard-Charvet, gynécologue obstétricienne recourt à l’homéopathie. « L’homéopathie fait partie intégrante de la prise en charge à la maternité. J'utilise systématiquement l'homéopathie pour prendre en charge tous les petits maux de la grossesse. Je la propose pour les douleurs qui y sont inhérentes, la préparation à l'accouchement, le déroulement du travail et le post-partum (diminution des douleurs liées à la montée laiteuse). Car oui, l'homéopathie permet de savoir si une patiente est en travail ou pas, et même de l'aider à se mettre en travail, ce qui est très intéressant car je n'ai pas de médicament efficace dans le faux travail ». En France, 30 000 médecins généralistes sont prescripteurs de l’homéopathie, souvent en parallèle avec l’allopathie. Plus de 400 000 médecins dans le monde ont recours à l’homéopathie. Il doit bien y avoir une raison.  

Références
1 Stillmunkés A, Jacob A, Bismuth M, Bismuth S. La recherche en homéopathie : des niveaux de preuve difficiles à obtenir. exercer 2009;88:119-22.
2 Van Wassenhoven M. Méta-analyse des travaux récents en clinique homéopathique. (http://www.entretiens-internationaux. mc/wwfdeux.htm).
3 Linde K et al. Are the clinical effects of homoeopathy placebo effects? A meta-analysis of placebo-controlled trials. Lancet 1997;350: 834-43.
4 Shang A, et al. Are the clinical effects of homoeopathy placebo effects? Comparative study of placebo-controlled trials of homoeopathy and allopathy. Lancet 2005;366:726-32.
5 Lüdtke R, Rutten ALB. The conclusions on the effectiveness of homeopathy highly depend on the set of analyzed trials. J Clin Epidemiol 2008. doi:10.1016/j.jclinepi.2008.06.015
6 EASAC (European Academies’ Science Advisory Council): Homeopathic products and practices: assessing the evidence and ensuring consistency in regulating medical claims in the EU. September 2017.
7  Riley D. Open label trial of homeopathy vs. conventional medicine for respiratory and ear complaints seen in primary care settings. J Altern Complement Med 2001;7:149-159.
8. Haidvogl M, Riley DS, et al. Homeopathic and conventional treatment for acute respiratory and ear complaints: a comparative study on outcome in the primary care setting. BMC Complement Altern Med. 2007;7:7.
9 Etude Mac-Aerio, réalisée de janvier à mars 2010 dans 18 centres de soins, répartis sur tout le territoire, auprès de 850 patients.

   

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Stéphanie Beaujouan

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