Fertilité masculine : les urologues mobilisés face à une "épidémie mondiale"
La fertilité masculine est en chute libre. Dans un rapport publié en clôture du 117ème Congrès français d’urologie (CFU), les urologues font le point sur les facteurs de risque et la prise en charge, qui doit être menée sur tous les fronts. Entre 1973 et 2011, la concentration de spermatozoïdes dans le sperme a chuté de 52,4% au niveau mondial, soit une perte moyenne de 1,4% par an, selon une méta-analyse publiée en 2017 (1). Pour le Pr Eric Huyghe, chirurgien urologue au CHU de Toulouse, « c’est une épidémie mondiale. A l’échelle de l’espèce humaine, c’est particulièrement préoccupant. Pour que cet effet se manifeste aussi rapidement, c’est que nous sommes probablement dans un environnement délétère, et qui va continuer à l’être dans les années à venir », prévoit-il. Trente-neuf ans après un premier rapport de l’association française d’urologie (AFU) en 1984, la société savante revient à la fertilité masculine, objet d’un rapport publié en clôture du 117ème CFU (2). Ce document, publié dans la revue Progrès en urologie, fait le point sur divers aspects de la prise en charge, allant du diagnostic aux facteurs de risque (mode de vie, expositions environnementales, infections), en passant par la chirurgie et les traitements de stimulation de la spermatogénèse. En termes d’évaluation des patients, les experts préconisent en premier lieu une anamnèse complète (antécédents familiaux et personnels, habitudes de vie, traitements, éventuelles dysfonctions sexuelles, etc.) et un examen physique, portant notamment sur l’indice de masse corporelle (IMC), d’éventuels signes d’hypogonadisme et un examen scrotal. A prescrire de manière systématique, un spermogramme (complété par un second en cas d’anomalie), une échographie scrotale notamment afin de vérifier la présence d’une varicocèle, et un bilan hormonal. Dans certains cas, le rapport préconise aussi des examens génétiques. Le stress oxydant, principal coupable Parmi les principaux mécanismes en cause derrière l’infertilité masculine, le stress oxydant. « Le spermatozoïde est particulièrement sensible au stress oxydant, ce sont les premières cellules à subir une fragmentation de l’ADN sous son effet », explique la Dre Charlotte Methorst, du service de médecine de la reproduction du centre hospitalier des Quatre Villes (Saint-Cloud). A l’origine de cette agression cellulaire, de nombreux facteurs environnementaux, que les experts appellent à mieux intégrer lors de l’accompagnement des hommes ayant des difficultés de procréation. Parmi eux, l’alimentation : publiée en 2020, une étude danoise menée sur 2 935 jeunes hommes a confirmé une meilleure qualité spermatique chez ceux adhérant à un régime équilibré (riches en fruits et légumes, en céréales et en viande blanche), loin devant ceux optant pour les produits de type fast food (3). D’autres travaux ont confirmé les bénéfices des nutriments antioxydants (vitamines C et E, lycopène, bêta-carotène) et des oméga-3, aussi bien sur le nombre de spermatozoïdes que sur leur mobilité. La prise de compléments alimentaires à base d’antioxydants, à condition d’en éviter l’excès, pourrait améliorer les chances de procréation. Le niveau de preuve scientifique s’avère toutefois faible, d'après une revue Cochrane publiée en 2022 (4). Etroitement liés à l’alimentation, le surpoids et l’obésité, en forte hausse mondiale ces dernières décennies, sont aussi liés à une diminution de la fertilité masculine. La perte de poids a été associée à une normalisation du taux de testostérone, mais aussi à une hausse du nombre et de la mobilité des spermatozoïdes (5), ainsi qu’à un moindre niveau de fragmentation de l’ADN spermatique. Sommeil, tabac, perturbateurs endocriniens et infections Autre facteur d’infertilité, le manque de sommeil : « Nous dormons deux heures de moins que dans les années 1970, en particulier en raison de l’utilisation abusive des écrans », rappelle la Dre Charlotte Methorst. D'après une étude de 2018, le fait de dormir moins de 6,5 heures par jour, ou plus de 9 heures par jour, serait lié à un moindre volume testiculaire (6). Egalement délétères, le stress, le tabac, le cannabis, l’alcool, peut-être aussi la cigarette électronique et les ondes électromagnétiques émanant de nos téléphones. Et bien sûr l’exposition aux polluants chimiques, en particulier les perturbateurs endocriniens, fléau de santé-environnement face auquel le monde médical peine à trouver des leviers d’action. « Nous sommes en permanence soumis à des polluants : vous vous êtes rasés ce matin, il y avait des parabènes. Vous avez bu de l’eau d’une bouteille en plastique, il y avait des phtalates. Et vous avez mangé des framboises, qui étaient pleines de pesticides. Tout cela altère la qualité des spermatozoïdes », explique la Dre Charlotte Methorst. Autres causes d’infertilité masculine, les infections urogénitales, dont la prévalence serait « de 6% à 10% » chez les hommes, explique le Dr Antoine Faix, chirurgien urologue à la Polyclinique Saint-Roch (Montpellier). Parmi les mécanismes à l’œuvre, un dysfonctionnement des glandes annexes (prostate, glandes bulbo-urétrales), une obstruction des voies séminales, une atteinte de la spermatogénèse elle-même. Celle-ci peut être directe ou indirecte, notamment via la production d’auto-anticorps dirigés contre les spermatozoïdes. La liste des agents pathogènes impliqués est longue : y figurent notamment des bactéries uropathogènes comme Escherichia coli et Enterococcus faecalis, divers agents d’infection sexuellement transmissibles - Chlamydia trachomatis, Neisseria gonorrhoeae, VIH, HPV (voir encadré), ou encore le virus ourlien (responsable des oreillons) et le virus de l’hépatite C. Plus récemment, le rôle de certains virus émergents a été soupçonné, en particulier le virus Zika et le Sars-CoV-2, susceptible d’engendrer « des problèmes de fertilité qui pourraient perdurer pendant quelques mois ou années », explique le Dr Antoine Faix. La varicocèle retrouve toute sa place Cause la plus fréquente d’infertilité corrigible (de manière chirurgicale), la varicocèle semble enfin sortie du champ de la polémique. En 2004, une revue Cochrane concluait qu’il n’existait aucun élément permettant d’affirmer que l’opération d’une varicocèle améliorait les chances de conception. Une assertion qui, avec la mise au point de l’injection intracytoplasmique de spermatozoïde (ICSI) au milieu des années 1990, a contribué à éloigner les urologues du domaine de la fertilité masculine. Selon le Pr Eric Huyghe, « nous avons aujourd’hui toutes les preuves que, sur tous les paramètres, la cure de varicocèle améliore le pronostic du patient », aussi bien sur la concentration et la mobilité de spermatozoïdes que sur les probabilités de grossesse et de naissance vivante. L’opération d’une varicocèle pourrait même avoir un intérêt dès l’adolescence : lors d’une étude indienne menée sur un seul centre, 80% des garçons opérés parvenaient à concevoir par voie naturelle une fois à l’âge adulte, contre seulement 36% des non-opérés (7). Le rapport de l’AFU se permet enfin un détour par la contraception masculine, dont il n’existe que deux méthodes validées par les autorités sanitaires : le préservatif et la vasectomie, désormais pratiquée de manière non invasive et sans scalpel, et dont le nombre annuel a été multiplié par 5,7 entre 2015 et 2021 en France. Quant aux contraceptifs hormonaux masculins, qui reposent sur une association testostérone/progestatif, ils demeurent du domaine de la recherche, avec des résultats encourageants. Peu évaluée à ce jour, et donc non recommandée, la méthode thermique, qui consiste à stopper la spermatogénèse en exposant les testicules à une température de 37°C par l’usage de sous-vêtements adaptés, demeure très marginale, avec un millier d’hommes qui y recourent en France.
Le papillomavirus humain pourrait être une cause majeure, mais largement sous-estimée, de stérilité masculine. Si le HPV est plus souvent étudié pour ses effets cancérigènes, en particulier sur le cancer du col de l’utérus, il n’existe à ce jour aucune donnée de prévalence française quant à sa présence dans le sperme. En la matière, l’étude menée par le Dr Armin Priam, du service d’urologie-transplantation du CHU d’Amiens, et ses collègues, constitue une première.
Entre mai et octobre 2021, l’équipe a évalué la présence spermatique du HPV chez 475 hommes adressés au centre pour cause d’infertilité. Observé dans 22,34% des échantillons, le portage séminal du HPV était lié à un risque multiplié par 4,10 de présenter au moins une anomalie du spermogramme. Parmi les sous-types les plus fréquents, figurent les HPV 53, 42, 16 et 61 - qui, à l’exception du 42, sont tous à haut risque cancérigène. Selon le Dr Armin Priam, « notre étude est un argument supplémentaire soutenant l’impact des HPV spermatiques sur l’infertilité masculine, en particulier dans les cas considérés comme idiopathiques. Le dosage des HPV dans le sperme pourrait donc, à terme, faire partie de l’exploration de l’homme infertile ». Cette découverte pourrait même ouvrir des pistes préventives, voire curatives, via la vaccination contre ce virus.
1) Levine H et al., Human Reproduction Update, 1er novembre 2017
2) Rapport AFU 2023, Progrès en Urologie, vol 33, n°13, novembre 2023
3) Nassan FL et al., JAMA Network Open, 5 février 2020
4) De Ligny W et al., Cochrane Database of Systematic Reviews, 4 mai 2022
5) Håkonsen LB et al., Reproductive Health, 17 août 2011
6) Zhang W et al., Journal of Clinical Sleep Medicine, 15 octobre 2018
7) Patil N et al., Journal of Pediatric Urology, 4 décembre 2021 Les autres articles du dossier - Dysfonction érectile : les généralistes réticents ?
- Hypogonadisme : la testostérone demeure peu prescrite
- Cancer prostatique : avec l’IRM, le diagnostic sort de l’impasse
- Cystites récidivantes : les traitements non médicamenteux montent en grade
La sélection de la rédaction
Limiter la durée de remplacement peut-il favoriser l'installation des médecins ?
François Pl
Non
Toute "tracasserie administrative" ajoutée ne fera que dissuader de s'installer dans les zones peu desservies (et moins rentables)... Lire plus