Alors que les propositions de loi coercitives s’enchainent au Parlement, le Conseil national de l’Ordre des médecins a dévoilé ce mercredi son Atlas de la démographie médicale. Sans surprise, la situation au 1er janvier 2023 est alarmante : baisse du nombre d’actifs réguliers, érosion de l’exercice libéral, "abandonnisme à la fin des études"... Les projections pour les années à venir pourraient s’avérer encore plus inquiétantes si l’on ne résout pas d’urgence la crise d’attractivité de la profession, prévient son président, le Dr François Arnault. Le point sur le paysage dantesque qui se dessine.
"Je ne pouvais pas ne pas être là", a lancé le Dr François Arnault, le visage grave, à l’issue de la présentation de l’Atlas 2023 de la démographie médicale, mercredi matin. Quelques minutes avant que son vice-président, le Dr Jean-Marcel Mourgues, ne prenne la parole pour énoncer les différents enseignements de cette enquête statistique, le président du Conseil national de l’Ordre des médecins avait prévenu : "Je ne suis pas sûr qu’à la fin de cet exposé, nous ayons un moral d’acier." Et pour cause, cette présentation s’inscrit dans un contexte de tensions fortes qui s’exercent sur la profession de médecin. A l’heure où commençait la conférence de presse, démarrait d’ailleurs la deuxième journée d’examen de la proposition de loi Valletoux sur l’accès aux soins par la commission des Affaires sociales de l’Assemblée nationale. Un déclin prévisible des retraités actifs Très attendu donc, cet Atlas 2023 s’est concentré sur les médecins en activité totale, c’est-à-dire ceux ayant une activité régulière, intermittente (remplacements libéraux et contrats salariés courts) et les retraités en cumul emploi-retraite, plutôt que sur l’ensemble des inscrits au tableau de l’Ordre car "environ un tiers d’entre eux sont des retraités sans aucune activité. Ça a de l’intérêt pour nos comptes, mais en termes d’offre de soins, ça en a beaucoup moins", a précisé d’emblée le Dr Jean-Marcel Mourgues. Si l’effectif de médecins en activité augmente (de +8,5% sur la période 2010-2023), s’établissant à 234 028 médecins actifs au 1er janvier de cette année contre 215 663 treize ans plus tôt, ce constat cache un tableau plus sombre. "Cette augmentation repose sur un vivier de médecins qui est appelé à diminuer."
Le nombre de médecins en activité régulière - "le bataillon le plus fourni" – est en effet en léger recul de -1,3% : ils sont passés de 200 045 à 197 417 entre 2010 et 2023. "Dans le même temps, les retraités actifs augmentaient dans des proportions considérables passant de 5600 à plus de 20 000 – soit une augmentation de quasiment 260% ; et les médecins en activité intermittente augmentaient dans des proportions importantes aussi, bien que plus modestes, de 64%, passant ainsi de 10 006 à 16 450", a précisé le Dr Mourgues. Mais, a-t-il ajouté, nous nous dirigeons dans les années à venir vers un "déclin prévisible des retraités actifs".
Alors que le pourcentage de retraités actifs parmi l’ensemble des retraités atteignait 22,5% en 2015, ce taux s’établit désormais à 19,5%. "On perd régulièrement quelques décimales : les jeunes retraités seront moins nombreux demain qu’ils ne le sont aujourd’hui, et qu’ils ne l’étaient hier." Une tendance inquiétante lorsque l’on sait que les retraités représentent 8,6% des médecins en activité. Le vice-président du Cnom illustre cette baisse par "le reflet en miroir inversé de ce qui a été le numerus clausus". Devrait prochainement arriver parmi les retraités actifs, la génération de médecins pour qui le numerus clausus a été particulièrement "serré", sévère. Ce pool sera de fait moins important. "En 1993, le numerus clausus, c’était 3500 étudiants appelés en 2e année de médecine, soit trois fois moins que ce que l’on en admet actuellement par le numerus apertus", a rappelé le généraliste.
Le Dr Mourgues a ainsi appelé à "favoriser la poursuite d’activité chez les médecins retraités" par des "mesures incitatives additives". Rappelons que le Gouvernement a promis une exonération totale des cotisations vieillesses pour les praticiens en cumul emploi-retraite, mais que celle-ci n’est toujours pas entrée en vigueur. Sur l’ensemble des médecins en activité – quels qu’ils soient, deux tranches d’âge sont particulièrement "fournies" : il s’agit de ceux de 60 et plus (31,1% des actifs, et 24% des actifs réguliers) et ceux de moins de 40 ans (28,5% des actifs, et 29,8% des actifs réguliers). Globalement, l’âge moyen des actifs est de 50,5 ans, et celui des actifs réguliers est de 48,6 ans. On observe ainsi un rajeunissement du corps médical en activité régulière (de près de 2 ans), ainsi que sa féminisation (51%). Une érosion de l’exercice libéral L’Atlas 2023 montre par ailleurs une "érosion de l’exercice libéral" – que certains élus veulent rendre plus contraignant – au profit de l’activité salariée qui "apparaît de plus en plus attractive auprès des médecins en activité". Si en 2010, l’activité salariée représentait 41,9% des médecins en activité régulière, elle compte désormais pour 48,2% au 1er janvier 2023 et détrône le libéral. De son côté, l’effectif des médecins en activité régulière ayant un statut libéral exclusif a diminué de -11,8% entre 2010 et 2023, et celui de l’exercice mixte de -12,6%, tandis que l'effectif des salariés a augmenté de +13,4%. Chez les MG, le libéral demeure toutefois le mode d’activité principal, de même que chez les spécialistes chirurgicaux. Les spécialistes médicaux hors MG plébiscitent eux davantage le salariat. Le Cnom a réalisé un focus sur le comportement des jeunes médecins spécialistes de médecine générale inscrits à l’Ordre pour la première fois en 2010. Cette année-là, "quasiment 1 sur 2 avait une activité de remplaçant et 16,5% d’entre eux seulement faisaient le choix d’avoir une activité libérale régulière d’emblée". En 2015, cinq ans après, 41,5% de ces mêmes médecins avaient fait le choix d’une activité libérale régulière. Mais en 2020 et 2023, le taux d’actifs réguliers libéraux...
parmi ces généralistes apparaît sensiblement le même (45,4% et 46%). "Il y a manifestement un plafond de verre où l’activité régulière libérale ne séduit plus puisque c’est à peine 1 médecin sur 2", a constaté le Dr Mourgues, soulevant un problème d’attractivité. -1146 généralistes en un an Alors que les représentants des généralistes craignent une baisse de l’attractivité de la spécialité du fait notamment de l’ajout d’une 4e année de médecine générale – dont "le débat a été pollué", le vice-président du Conseil national de l’Ordre des médecins observe déjà une baisse des actifs réguliers (-1146 médecins généralistes en 2022). Entre 2010 et 2023, les effectifs de médecins spécialistes en MG ont baissé de 2% tandis que les effectifs des autres spécialistes médicaux (hors MG) ont cru de 17,9%, et ceux des spécialistes chirurgicaux de 19,6%. Au 1er janvier 2023, 19 autres spécialités présentent des balances négatives : c’est-à-dire qu’elles subissent davantage de pertes d’actifs réguliers qu’elles n’en gagnent (comme l’ophtalmologie, avec -119 médecins en 2022). 33 autres spécialités connaissent une balance positive en 2022, notamment la médecine d’urgence (+363 médecins) ou encore la gériatrie (+214 médecins). Toutes spécialités confondues, la balance des actifs réguliers a été de -394 médecins entre le 1er janvier 2022 et le 1er janvier 2023. La plupart (59%) des médecins sortants d’activité régulière sortent pour retraite sans activité médicale ou pour faire du cumul emploi-retraite, ou pour d’autres motifs (19,4% radiation administrative, 15,7% activité intermittente, et 5,8% arrêt temporaire d’activité). Par ailleurs, la part des MG parmi les médecins en activité régulière continue de baisser : 47% en 2010 contre 42% en 2023. A contrario, les spés médicaux (hors MG) représentent 45,2% des médecins en activité régulière, et les spés chirurgicaux, 12,8%.
Des inégalités territoriales qui se creusent En parallèle, les inégalités territoriales "persistent et se creusent", a souligné le Dr Mourgues. Si l’on constate toujours cette "diagonale du vide, qui barre le territoire national du nord-est à l’intérieur du sud-ouest", on retrouve une "attractivité particulière du littoral atlantique et de la bordure orientale notamment, et des ‘Savoies’, qui sont des départements qui ont une attractivité en termes de démographie générale réelle". Le Centre-Val de Loire (217,8), la Bourgogne Franche-Comté (259,9) et la Normandie (254,6) sont parmi les régions les moins bien dotées en médecins - la moyenne de la densité médicale étant de 294,7 médecins en activité pour 100 000 habitants. A l’inverse, l’Ile-de-France (318,9) et la Provence-Alpes-Côte d’Azur (339,1) sont celles aux densités les plus importantes. Mais les constats diffèrent selon les spécialités, et des disparités s'observent à l'intérieur des régions. Le Dr Mourgues tient ainsi à souligner que le terme de "désert médical" – largement médiatisé et répandu dans le débat politique – n’a pas de "robustesse scientifique". "De façon raccourcie et inexacte, on a défini les déserts médicaux comme des zones sans médecin traitant, autrement dit sans médecin généraliste, mais cela concerne davantage encore les autres spécialités médicales et chirurgicales, et tout autant l’exercice hospitalier, et enfin très souvent l’ensemble, peu ou prou, des autres professionnels de santé." Le vice-président du Cnom met en avant plusieurs raisons au creusement des inégalités territoriales. A commencer par "l’origine géographique des étudiants". "Les zones sous-denses ne sont pas représentées à proportion de leur poids démographique dans les facs de médecine." Entre également en jeu l’attractivité des territoires de manière générale. "Les soignants sont des citoyens comme les autres" et sont "sensibles" aux aménagements, aux lieux de scolarité, à l’opportunité pour le conjoint de trouver un emploi. "La qualité de l’environnement sanitaire", c’est-à-dire la présence d’hôpitaux, de confrères, de spécialistes, sur le territoire est aussi un élément important. La sécurité, le coût du logement et les temps de transports ont, enfin, un impact non négligeable. "Ces territoires sous-denses sont souvent défavorablement marqués sur ces différents items, a indiqué le vice-président. Le problème, c’est que ces territoires les plus défavorisés sont aussi ceux qui, souvent, ont les défis les plus importants. La Creuse par exemple, où 40% de la population a plus de 65 ans, contre 27% pour le territoire national..." De plus en plus de médecins étrangers Alors que le Gouvernement planche sur son projet de loi immigration, l’Atlas 2023 montre que le nombre de médecins étrangers a largement...
augmenté au fil des années. Ils étaient 7,1% des inscrits au tableau de l’Ordre en 2010, et sont, au 1er janvier 2023, 12,5%. Ils sont d’autant plus représentés chez les spécialistes médicaux (16,9% en 2023 contre 9,2% en 2010) et chirurgicaux (19,8% vs 11,2% en 2010). Chez les généralistes en activité, la proportion de médecins à diplôme étranger est de 6% au 1er janvier 2023.
En proportion, les médecins à diplôme étrangers sont davantage présents dans les départements en sous-densité médicale, notamment au centre de la métropole et autour du bassin parisien, ajoute le vice-président du Cnom. En médecine générale, ils sont davantage implantés dans les marges rurales par rapport aux MG diplômés en France. Un "abandonnisme" des étudiants et à la fin des études ? Le Dr Mourgues a souligné la difficulté de faire des projections démographiques "avec de la matière fragile". Le vice-président de l’Ordre a en effet fait part de "remontées sur un abandonnisme, qu’il conviendra de mesurer, en études médicales", faisant un lien avec les récentes réformes des 1er et 2e cycles des études médicales, sans toutefois en dire davantage. Un phénomène qui "ne concerne pas que les futurs médecins", s’est-il empressé d’ajouter, citant entre autres les étudiantes infirmières. Le Dr Mourgues a souligné la difficulté d’obtenir des "remontées fiables" sur d’éventuels abandons durant les études : "Quand ils sont enregistrés au RPPS ou inscrits à l’Ordre, on sait, mais dans l’intervalle, on ne sait pas…" "Ce qui nous paraît le plus inquiétant, c’est qu’il y a un abandonnisme à la fin des études", a ajouté le Dr François Arnault. "C’est-à-dire qu’après dix ans de formation et une qualification" les médecins diplômés "n’exercent pas ce métier". "Là, il faut vraiment s’interroger...", a-t-il déclaré. "Ce sont des indices très forts pour expliquer aux parlementaires et au Gouvernement que la désaffection des jeunes étudiants et des jeunes médecins diplômés se fait sur les conditions d’exercice", a-t-il lancé, adressant un message fort alors que la PPL Valletoux doit être examinée en séance publique à partir du 12 juin par les députés. Le président de l’Ordre a souligné le non-sens que représente la régulation à l’installation, "mais je pense qu’ils [les élus et l’exécutif] sont en train de l’assimiler et vont reculer là-dessus... mais ce n’est pas encore gagné". Globalement, ces constats montrent que l’exercice médical tel qu’il est aujourd’hui "n’est pas attractif pour les jeunes médecins", a conclu le président de l'Ordre. "C’est le meilleur sondage qu’on puisse faire…" "Ouvrir le numerus clausus était indispensable, mais ce n’est pas suffisant", a-t-il plaidé, déplorant que les parlementaires et le Gouvernement les "écoutent" mais "ne passent pas aux actes". "Les projections seront certainement pire que ce que l’on imagine si nos parlementaires, nos gouvernants, continuent à charger la barque des médecins", prévient-il.
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