[DÉCRYPTAGE] Ce qui attend les libéraux réfractaires à l'obligation vaccinale
La loi du 5 août 2021 relative à la gestion de la crise sanitaire prévoit l'obligation vaccinale des personnes travaillant dans les secteurs sanitaires, social et médico-social ainsi que la mise en place du pass sanitaire. Si sa mise en œuvre au sein des établissements semble limpide, la procédure applicable aux professionnels libéraux reste méconnue. Comment et par qui seront-ils contrôlés ? Quelles sont les dérogations possibles? A partir de quand les réfractaires seront-ils suspendus? Eléments de réponse.
Qui est soumis à l'obligation vaccinale ?
L'obligation vaccinale s'applique à toutes les personnes exerçant leurs activités dans les établissements et services de santé (centres et maisons de santé compris), les établissements sociaux et médico-sociaux, et divers types de logements collectifs pour personnes âgées ou personnes handicapées. Elle concerne aussi bien les soignants que le personnel administratif, technique -intérimaires compris - ou les salariés des prestataires qui interviennent régulièrement dans ces établissements.
En ville, y sont soumis tous les professionnels de santé mentionnés à la quatrième partie du code de la santé publique, soit : médecins, chirurgiens-dentistes, sages-femmes, pharmaciens, préparateurs en pharmacie, physiciens médicaux, infirmières, masseurs-kinésithérapeutes, ergothérapeutes, psychomotriciens, orthophonistes, orthoptistes, manipulateurs radio, techniciens de laboratoire, audioprothésistes, opticiens, prothésistes et orthésistes pour l'appareillage des personnes handicapées, diététiciens. Et ce qu'ils "soient conventionnés ou non", précise le ministère de la Santé, dans un document dédié à la mise en œuvre de l'obligation vaccinale et du pass sanitaire, diffusé le 11 août via le fil DGS-Urgent.
A cette liste s'ajoutent les professionnels "à usage de titre" : psychologues, ostéopathes, chiropracteurs, psychothérapeutes. Ainsi que les étudiants ou élèves préparant à l'exercice des professions précédemment citées, à l'exception notable des étudiants de Pass/LAS.
Les personnes "travaillant dans les mêmes locaux" que ces professionnels, comme les secrétaires, sont aussi soumises à l'obligation vaccinale, mentionne le ministère.
L'obligation s'étend enfin aux pompiers, aux transporteurs sanitaires (taxis compris), aux prestataires de services et distributeurs de matériel ainsi qu'aux membres d'associations agréées de sécurité civile, comme la Croix Rouge. Les personnels des crèches sont exemptés.
À ce jour, où en est-on du taux de vaccination?
La vaccination des professionnels de santé a considérablement progressé durant l'été : en date du 31 août, d'après les données de Santé publique France, 87% des professionnels exerçant dans les établissements de santé avaient reçu au moins une dose, soit 6 points de plus qu'au 10 août, et 81.3% présentent un schéma complet. En Ehpad/USLD, le taux est de 87.48% (+7 points) pour le schéma partiel et de 80.7% pour le schéma complet.
En ville, toutes professions confondues, le taux atteint 92.9% pour la première dose (+3.2 points) et 89.6% pour les deux doses. Cette moyenne cache des disparités selon les professions : 97% des médecins spécialistes et 96% des généralistes ont reçu au moins une dose, contre 93% des chirurgiens-dentistes, 91% des infirmières et 88% des sages-femmes, précise le ministère. "On estime à 300.000 le nombre de professionnels de santé en établissements de santé/Ehpad/USLD qui ne sont pas vaccinés et de l'ordre de 50.000 libéraux non vaccinés."
Mais parmi eux, combien exercent effectivement? Et combien sont considérés à tort...
comme non vaccinés? s'interroge le Dr Mourgues, qui relève que des erreurs se sont glissées dans les fichiers des patients non vaccinés transmis aux médecins traitants. Les prochaines semaines devraient permettre de fournir des chiffres plus fiables et d'affiner les données sur le profil des non-vaccinés.
Quel est le calendrier?
La mise en œuvre de l'obligation vaccinale est progressive.
Depuis le 9 août, les personnels des établissements sanitaires et médico-sociaux sans schéma vaccinal complet sont soumis à une obligation de test itérative.
A compter du 15 septembre, l'obligation vaccinale entre en vigueur. Mais "une tolérance est appliquée pour les professionnels ayant reçu un schéma vaccinal partiel". Salariés comme libéraux seront alors tenus de présenter le résultat d'un test de dépistage de moins de 72 heures. Les professionnels qui n'ont reçu aucune dose seront quant à eux "suspendus d'exercice", à moins de présenter, par dérogation, un certificat de rétablissement dont la durée de validité est nécessairement limitée dans le temps, ou un certificat de contre-indication en bonne et due forme, dont la validité peut, elle, être "pérenne" (voir ci-dessous).
A partir du 16 octobre, les professionnels dont le schéma vaccinal est incomplet seront suspendus à leur tour, à moins de présenter un certificat de rétablissement ou de contre-indication.
A noter que si, au 15 novembre, le pass sanitaire est supprimé, l'obligation vaccinale contre le Covid, elle, demeurera.
Quelles sont les contre-indications valables?
Un décret du 7 août liste les (rares) contre-indications ne permettant pas la vaccination contre le Covid :
- les contre-indications inscrites dans les RCP des vaccins : antécédents d'allergie documentée (avis allergologue) à un des composants du vaccin, en particulier polyéthylène-glycols et par risque d'allergie croisée aux polysorbates ; réaction anaphylactique au moins de grade 2 après une première injection de vaccin Covid posée après expertise allergologique ; personnes ayant déjà présenté des épisodes de syndrome de fuite capillaire (contre-indication commune au vaccin d'AstraZeneca et de Johnson et Johnson) ; personnes ayant présenté un syndrome thrombotique et thrombocytopénique suite à la vaccination par AstraZeneca
- recommandation médicale de ne pas initier la vaccination pour les patients ayant présenté un syndrome inflammatoire multi-systémique pédiatrique
- recommandation établie après concertation médicale pluridisciplinaire de ne pas effectuer la seconde dose suite à la survenue d'un effet indésirable sévère ou grave attribué à la première dose et signalé au système de pharmacovigilance (myocardite, syndrome de Guillain-Barré…)
- situations de contre-indication temporaire : traitement par anticorps monoclonaux anti-SARS-CoV-2, myocardites ou péricardites antérieures à la vaccination et toujours évolutives.
Le certificat doit être établi par un médecin et remis par la personne concernée à l'Assurance maladie, afin de lui permettre d'obtenir un pass sanitaire.
Comment les professionnels libéraux seront-ils contrôlés ?
En ville, la tâche a été dévolue aux ARS, qui ont accès aux données relatives au statut vaccinal des professionnels. Concrètement, depuis le 11 août, l'Assurance maladie transmet...
à l'ARS le fichier des professionnels de santé libéraux conventionnés exerçant sur leur territoire et n'ayant pas engagé, à date, leur parcours vaccinal. Les professionnels concernés ont reçu des courriers… parfois à tort, comme en témoigne le Dr Pierre Frances, généraliste à Banyuls-sur-Mer (voir encadré).
En Ile-de-France, par exemple, "des contrôles aléatoires seront organisés à la demande des ARS soit sur le lieu de travail du professionnel de santé, soit par voie numérique en demandant d'envoyer les justificatifs attendus", précise l'ARS à Egora. Les professionnels de santé non conventionnés devront fournir leur justificatif à la demande.
Comment les réfractaires seront-ils empêchés d'exercer ?
Si la procédure de suspension semble claire pour les hospitaliers, pour les libéraux, c'est le grand flou. A une semaine de l'entrée en vigueur de l'obligation vaccinale, elle est encore "en cours d'arbitrage", nous répondent les divers acteurs sollicités. "Nous sommes tout comme vous attentifs à ce qui va sortir", commente le Dr Jean-Marcel Mourgues, vice-président du Cnom. "La DGOS doit communiquer aux ARS une lettre de cadrage", nous apprend-t-il.
Si le document du ministère pré-cité annonce une "suspension des remboursements par l'Assurance maladie" pour les professionnels de santé conventionnés qui ne respecteraient pas l'obligation vaccinale, l'ARS Ile-de-France parle, elle, d'une procédure à "caractère progressif", qui "pourra recouvrir différentes formes : mises en demeure, interdiction d'exercice, suspension des remboursements…".
La suspension prend fin si le professionnel fournit le justificatif requis. Dans le cas contraire, la loi du 5 août prévoit que "lorsque l'employeur ou l'agence régionale de santé constate qu'un professionnel de santé ne peut plus exercer son activité […] depuis plus de trente jours, il en informe, le cas échéant, le Conseil national de l'ordre dont il relève". "Celui-ci pourra ensuite engager le cas échéant une procédure ordinale contre le professionnel", ajoute le ministère dans le document transmis aux professionnels de santé.
Pour le Dr Jean-Marcel Mourgues, "la mention 'le cas échéant' dans le texte de loi laisse à penser que le signalement à l'Ordre sera laissé à l'interprétation des ARS". Pour le généraliste, il faut bien distinguer une éventuelle procédure pénale d'une procédure disciplinaire. "Les chambres disciplinaires de l'Ordre ne sont pas compétentes pour dire si la responsabilité pénale du professionnel est engagée ou non, insiste-t-il. Elles le sont en revanche pour dire s'il y a une infraction au code de déontologie, c'est différent." Autrement dit, il revient aux ARS et non aux ordres de faire respecter la loi sur l'obligation vaccinale. D'autant que seules sept professions de santé sont soumises à un ordre réglementé, rappelle le Dr Mourgues.
Sur le plan pénal, la méconnaissance de l'interdiction d'exercer en cas de non-respect de l'obligation vaccinale peut être sanctionnée de 6 mois d'emprisonnement et de 3750 euros d'amende.
Le Gouvernement affiche en tout cas une volonté de fermeté, Olivier Véran ayant demandé à l'Assurance maladie de renforcer les contrôles sur les arrêts maladie qui pourraient sembler suspects passé le 15 septembre. Reste à savoir si les paroles seront suivis d'actes.
Généraliste à Banyuls-sur-Mer, le Dr Pierre Frances est particulièrement impliqué dans la campagne de vaccination : il vaccine dans les centres, à son cabinet et "dans la rue", en collaboration avec une association qui intervient auprès des SDF. C'est donc avec un vif déplaisir qu'il a pris connaissance d'une lettre de l'ARS Occitanie, arrivée mi-août à son cabinet. Conformément à la loi sur l'obligation vaccinale, "le courrier m'indiquait que je serai réputé de ne plus avoir le droit d'exercer [ma] profession" au 15 septembre. "J'ai été quelque peu surpris, témoigne-t-il. Il est vrai que début août j’avais reçu deux SMS (on ne se gêne pas pour importuner les médecins sur leur portable privé) de la Sécurité sociale m’entonnant l’ordre de me vacciner. Sachant que j’avais terminé mon cycle vaccinal, je n’ai pas tenu compte de ces messages inappropriés à mon goût", raconte-t-il à Egora.
Après avoir demandé des explications à l'Assurance maladie et transmis son QR code, le généraliste est recontacté par un agent de l'ARS "qui s'est excusé en m'expliquant que j'avais bien reçu mes deux doses". "J'ai été très heureux de savoir que j'avais un bon point, mais j'ai bien souligné que je souhaitais avoir des excuses par voie postale tout comme la missive cinglante envoyée voie postale", poursuit-il, réclamant des explications sur ce "dysfonctionnement" de l'administration. Une erreur d'autant plus "intolérable" compte tenu de l'engagement des professionnels de santé depuis le début de la crise sanitaire.
"Un véritable lynchage tant sur le plan médiatique que politique des professionnels de santé est en train de se dérouler", relève le Dr Frances, dubitatif sur la nécessité de légiférer sur la vaccination des professionnels de santé. "Le nombre de soignants non vaccinés reste très minoritaire, et ceux qui ne le souhaitent pas vont rapidement se mettre à l’écart", pense-t-il. "On donne une image pas nécessairement positive des professionnels de santé auprès des patients", souligne encore le généraliste. "Il aurait été peut-être plus pédagogue pour montrer l’intérêt de la vaccination, et non avoir une attitude accusatrice voire de mépris à l’égard des professionnels de santé", juge-t-il.
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