"J’ai donné 45 ans de ma vie, et voilà comment on me remercie" : écœuré par le saccage de son cabinet, un médecin déplaque

01/06/2021 Par Pauline Machard
Témoignage
Quelques jours après avoir retrouvé son cabinet de Mantes-la-Ville (Yvelines) vandalisé, le Dr Claude Fossé a décidé, bouleversé par cet événement, de mettre un terme de manière anticipée à son activité. Une fin de carrière au goût amer, après 45 années de médecine générale au chevet des habitants du quartier populaire des Merisiers.  

Jeudi 27 mai, le Dr Claude Fossé a rangé le stéthoscope. Cela faisait un moment qu’il y pensait, bien sûr. À l’orée de ses 75 ans, et après 45 ans d’exercice, ses proches l’y encourageaient vivement. “Ma femme et mes enfants me poussaient à stopper depuis longtemps, raconte le médecin. Ils me disaient : ‘arrête, pense à toi !'" Lui-même commençait à se faire à cette idée : il avait réduit son activité ces dernières années, ne travaillant “plus que deux demi-journées par semaine, sur rendez-vous”. Et se consacrait à des visites médicales de récupération du permis de conduire, à de la médecine du travail pour les embauchés de la fonction publique. 

Il avait bien envisagé un terme pour sa carrière, mais “dans les six mois”, “à la fin de l’année”. Pas en cette fin mai 2021. Mais la mise à sac de son cabinet de la rue des Merisiers, situé dans le centre commercial du quartier éponyme de Mantes-la-Ville, a précipité les choses, le privant de son lieu de travail. Pour le septuagénaire, la seule option était désormais de prendre sa retraite plus tôt que prévu, contre son gré. “J’aurais vraiment aimé arrêter dans d’autres circonstances…”, souffle le praticien, qui a dû effectuer ses toutes dernières consultations ailleurs que dans son cabinet de toujours.  

 

"J’ai tout de suite compris que j’avais été cambriolé"

Le Dr Claude Fossé a pris, à regret, la décision d’arrêter lundi 24 mai. Ce jour-là, il s’était rendu à son cabinet, histoire de “faire un peu de ménage avant de reprendre mardi matin”, après une période de vacances. Or en arrivant sur le parvis du centre commercial, centre où se situe son local, le généraliste constate “du courrier par terre”, éparpillé “sur le trottoir”. Et la suite ne va pas le rassurer, loin de là. En s’approchant de la porte d’entrée de son cabinet, il s’aperçoit que celle-ci est “entrouverte, entrebâillée”, et voit que “la lumière est allumée à l’intérieur”. “J’ai tout de suite compris que j’avais été cambriolé…”, revient le praticien, toujours sous le coup de l’émotion, au surlendemain de sa triste découverte.  

Et il n’est pas au bout de ses (mauvaises) surprises. Non seulement la porte d’entrée, en bois, a été forcée au pied-de-biche, mais le ou les responsables de ce méfait s’en sont aussi donné à cœur joie à l’intérieur du local. Vitres cassées, meubles éventrés, défoncés, vitrines renversées… “C’était un vrai capharnaüm là-dedans”, commente-t-il sobrement, la gorge...

serrée. “Et puis ce qui m’a frappé, c’est que c’était tout bleu, partout… Les gendarmes, que j’ai tout de suite appelés, m’ont expliqué que les auteurs avaient fait exploser un extincteur. Ainsi le produit, une poudre bleue, s’est répandu partout, et cela rend le relevé des empreintes très difficile”, soupire-t-il.  

Pour Claude Fossé, la mise à sac du cabinet a certainement eu lieu “dans la nuit de samedi [22 mai, NDLR] à dimanche. Ou dans celle de dimanche à lundi, déduit-il, parce que vendredi, le pharmacien, dont l’officine est à côté de mon local, n’avait rien constaté de suspect. Or moi, quand je suis arrivé le lundi, il y avait plein d’enveloppes par terre. Et pour cause : trois boîtes aux lettres ont été dégradées : celles de la maison médicale de garde, du magasin d’informatique, et de l’infirmière”, liste-t-il. Pour le praticien, "toutes les lumières étant restées allumées”, il y a peu de doute : les malfaiteurs ont agi de nuit, profitant de la mise en sommeil du centre commercial.  

 

"Que voulez-vous ? Qu’il n’y ait plus de médecins ?"

Depuis le terrible constat, une question turlupine le médecin généraliste : “Pourquoi ? Pourquoi ?”, répète-t-il à plusieurs reprises. Est-ce qu’un de ses patients lui en voulait personnellement ? Il rejoue toute sa carrière dans sa tête et a du mal à y croire. S’il convient que le quartier, où il s’est installé par choix à la fin des années 70, n’est peut-être pas aussi paisible qu’à ses débuts, lui, le médecin de famille, qui connaît les grands-parents, les parents, les enfants mantevillois...assure n’avoir jamais eu de conflits avec qui que ce soit. Jamais il n’a été menacé, jamais il n’a fait l’objet d’une quelconque animosité… “Non, vraiment, je me suis toujours bien entendu avec tout le monde. Et puis, si ça avait été contre moi, il y aurait eu des graffitis ou quelque chose dans le genre, non ?”, dit-il, laissant la question suspendue.   

Serait-ce un acte purement crapuleux ? Destiné à le voler ? Là encore, il n’est pas convaincu. Peut-être ont-ils simplement saisi l’opportunité, sa structure étant la seule du centre à ne pas être “fermée par un rideau de fer”, admet-il. “Mais il n’y a rien à voler dans un cabinet médical !, s’insurge le médecin. Il n’y a pas d’argent, il peut juste y avoir un peu d’informatique.” C’est justement avec le matériel informatique que les cambrioleurs sont repartis : l’ordinateur, l’imprimante. Mais pas seulement. Ils ont aussi dérobé un tampon encreur et un bloc d’ordonnances, “de quoi faire des ordonnances pour avoir des stupéfiants…”, déplore le Dr Fossé. "Mais si ça avait été juste pour voler, ils auraient pu rentrer, prendre ce qu’ils voulaient et s’en aller…” Or là, c’était une entreprise de destruction...  

Alors, était-ce un acte purement...

gratuit ? Pour “s’amuser” ?, s’interroge le praticien septuagénaire. “Ils auraient fait cela juste pour jouer les gros bras devant les copains, prouver aux autres ‘qu’ils en sont capables’ ? Ils se seraient dit ‘Allez, ce soir on casse’”? Il ne l’évacue pas. Mais rien que d’y penser, cette idée l’anéantit.  

Quelle que soit la raison, le Dr Claude Fossé dit avoir besoin de la connaître : “Je ne crains pas du tout de découvrir l’identité des auteurs, au contraire, je souhaite qu’on retrouve les responsables. J’aimerais les avoir en face de moi et les confronter à ce qu’ils ont fait, leur demander 'Pourquoi ?', 'À quoi ça vous a avancés ?', 'À quoi jouez-vous ? Que voulez-vous ? Qu’il n’y ait plus de médecins ? Qu’on ne puisse plus vous soigner ou soigner vos enfants ?'" 

 

"Tout le monde est désolé de ce qui est arrivé"

Depuis lundi 24 mai, c’est un profond sentiment de “tristesse” qui s’est emparé du Docteur Claude Fossé. “C’est plus de la tristesse, de la déception, que de la colère, développe le praticien. Si j’ai continué à travailler jusque-là, même si bien sûr je travaillais beaucoup moins qu’avant, c’était pour aider les gens.” Alors en abîmant son outil de travail, les auteurs du saccage n’ont pas seulement abîmé du matériel, il ont aussi piétiné 45 ans de dévouement. Le sien, bien sûr : “Comme beaucoup de médecins, je me suis privé pour le cabinet, de moments passés avec mon épouse, avec mes enfants… Je suis d’une génération où le cabinet passait avant.” Mais aussi le dévouement de sa famille, tient-il à préciser, qui a dû s’accommoder, composer avec le “rythme du cabinet”. “J’ai donné 45 ans de ma vie pour aider, et voilà comment on me remercie…”, conclut, mélancolique, le Dr Fossé.  

Heureusement, tout n’est pas sombre : “J’ai reçu beaucoup d’appels de patients, mais aussi de confrères qui me soutiennent, ça me touche énormément, souligne-t-il. Ses deux confrères du quartiers des Merisiers - les Drs Catherine Gryb et Patrick Lefoulon -, lui ont d’ailleurs permis de transférer provisoirement son activité chez eux, ce qui lui a permis d’assurer ses dernières consultations. Patients comme praticiens du coin, “tout le monde est désolé de ce qui est arrivé, me dit que c’est inadmissible", note-t-il, reconnaissant. Beaucoup, aussi, anticipent l’impact négatif que cet événement aura en termes d’attractivité pour d’éventuels aspirants médecins. Car, avec le départ du Dr Fossé, le quartier n’en comptera désormais plus que deux. Et ce n’est pas ce type de dégradation qui va leur donner envie de s’installer... 

Les témoignages de soutien, bien que salutaires, ne feront pas changer d’avis au Dr Fossé : “Ça y est, pour moi c’est terminé”, a-t-il martelé aux patients qui lui téléphonaient durant ses derniers jours d’exercice. Quelque chose a été cassé. “Si j’avais eu 30 ans encore, je me serais dit ‘allez, hop !’ Mais à 75 ans…Non c’est fini. Je ne vais pas remettre tout mon cabinet en état pour travailler seulement six mois. Et puis, je ne voudrais pas qu’on me le recasse !”  

“Je vais être à la retraite, à la grande joie de mes enfants et de mes petits-enfants”, glisse-t-il sur un ton facétieux. A la retraite, mais pas oisif. Médecin un jour, médecin toujours… “La preuve, je vais quand même continuer à participer à la vaccination contre le Covid au centre de Mantes-la-Jolie. J’y retrouve des patients, certains que je n’ai pas vus depuis longtemps et qui me font savoir qu’ils sont ravis de me voir. Ça fait plaisir. Je me dis que je n’ai pas travaillé pour rien…” 

Faut-il mettre fin à la possibilité pour un médecin retraité de prescrire pour lui-même ou pour ses proches ?

Albert Dezetter

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A partir du moment où il entretient ses capacités professionnelles, le médecin âgé conservera sa capacité à prescrire pour lui-mêm... Lire plus

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