Nationaliser les centres de santé, fin du paiement à l'acte… Les solutions d'un MG contre les déserts

16/01/2020 Par Marion Jort
Démographie médicale
Un gériatre et ancien médecin généraliste de Lozère a été poursuivi par l’Ordre national des médecins pour ne pas avoir payé sa cotisation annuelle à la fin de l'année dernière. Assumant son geste, le médecin âgé de 66 ans défend un “acte symbolique” pour être entendu par l’instance sur ses propositions pour lutter contre les déserts médicaux. 

Il a voulu faire parler de lui pour médiatiser la cause qu’il défend depuis de nombreuses années. Gériatre et ancien médecin généraliste pendant vingt ans en Lozère, à 66 ans, le Dr Alain Frobert a refusé de payer sa cotisation annuelle au Conseil de l’Ordre. Une décision qui lui a valu une assignation en audience civile devant le tribunal d’instance.  Loin de s’en vouloir, le médecin est même très remonté contre l’instance. Il reproche à l’Ordre, de ne pas “représenter l’opinion plurielle des médecins”. Depuis des années, il émet des propositions pour un nouveau système de santé et réclame la création de “centres de santé nationaux” mais n’a jamais été entendu ni reçu malgré ses demandes. Il reproche également au président de l’Ordre, le Dr Bouet, d’avoir publié un livre (Santé : explosion programmée, NDLR) dans laquelle il s’exprime en son titre de président, bafouant le code de déontologie. Livre d’analyse avec lequel il s’estime d’ailleurs en total désaccord. Pour faire bouger les choses, le médecins cévenol a lancé une pétition proposant toute une série de mesures pour répondre au problème des déserts médicaux. Son texte a recueilli plus de 81.600 signatures.  Tout a démarré il y a deux ans, au moment de l’élection présidentielle, en 2017. “Mais déjà, bien avant, j’ai fait ma thèse sur les centres de santé idéaux", explique le médecin. “J’ai remarqué que pendant les élections, on parlait des jeunes médecins qui ne souhaitaient plus s’installer en libéral. Cela faisait déjà quarante ans que je réfléchissais à cette question. Alors j’ai tout relancé”, explique-t-il.   

  Le médecin lance sa pétition et très vite, reçoit des soutiens. Quelques mois plus tard, il est contacté par le Conseil économique social et environnemental (CESE) de Paris, alors chargé par le ministère de la Santé de faire des recommandations sur les déserts médicaux, qui lui annonce se saisir d’une question lancée par sa pétition. “Dans mes propositions, certaines ont été lancées par Agnès Buzyn, comme les assistants médicaux ou les Infirmière en Pratique Avancée”, sourit-il.   “Je demande la création d’un réseau de centres de santé”   Que propose-t-il concrètement ? “Pour moi, il faut refonder la médecine ambulatoire. Je milite pour un statut national du médecin... mais je n’ai pas réponse à tout”, prévient-t-il. “Je demande la création d’un réseau national de centres de santé. Une médecine ambulatoire salariée dont le budget ne serait pas conditionné par le paiement à l’acte sinon ça ne fonctionnera pas. Le paiement à l’acte n’a plus d’intérêt pour notre pratique aujourd’hui. Prenez par exemple les vaccins anti-grippaux. La décision de la ministre de les faire faire par les pharmaciens est bonne. Un médecin n’a pas fait 10 ans de formation pour faire cela. Par contre, qu’un médecin puisse réfléchir à comment prendre en charge un insuffisance cardiaque pour un suivi de cancer, c’est beaucoup plus important.”   Dans le détail, chacun de ces centres de santé, en fonction de sa localisation, aurait une “orientation différente”. “En Lozère par exemple, la population est âgée. Il faudrait donc une dominante de gériatrie. A l’inverse, si le centre est situé dans une ville comme Montpellier et dans une zone pavillonnaire, on peut imaginer une orientation de pédiatrie ou gynécologie. Tous les centres doivent être différents au niveau de la conception”. Aux côtés des médecins, une équipe paramédicale, également adaptée aux besoins du territoire servi. “On peut imaginer des ergothérapeutes, des psychologues, des infirmières...”  Pour le médecin, les centres de santé sans paiement à l’acte pourraient répondre à plusieurs défis. D’abord, celui de la population vieillissante et de la polypathologie. Mais également à celui de l’attractivité de la médecine, de la volonté des jeunes médecins de ne plus travailler 70 heures par semaine et de ne plus pratiquer “la même médecine toute leur carrière”. “Ils pourraient travailler un temps dans un centre à dominante gériatrie et puis un jour, se dire qu’ils veulent travailler sur les maladies endocriniennes, sur le diabète ou l’obésité et changer de centre de santé”, argumente-t-il. Pour lui, le budget devrait venir de la Sécurité sociale. “Ce sont des négociations à avoir en fonction de la taille des centres, de la population desservie, des profils pathologiques. Il doit y avoir des objectifs sanitaires. Il peut y aussi avoir des financements complémentaires de la part des départements et régions.”     Nationaliser pour éviter les dérives et la concurrence   Ces derniers mois, plusieurs régions ou départements ont pris la décision de salarier leurs médecins. Dernière en date : la région Centre-Val de Loire qui va salarier 150 médecins d’ici 2025 pour lutter contre la pénurie dans ces territoires. Le coût de fonctionnement de ce dispositif est évalué au maximum à 15 000 euros par an et par médecin. Dans l’Yonne, qui affiche l’une des densité médicale la plus faible de France, des médecins vont également être salariés d’un centre de santé, financé à hauteur de 65.000 euros par le département et de 25.000 euros par l'ARS et seront rémunérés au Smic (1521 euros brut, NDLR).   

  Pour éviter la concurrence entre centres de santé, le Dr Frobert souhaite donc les nationaliser. “Il faut éviter ce qu’on appelle le dumping social. On risque de se retrouver avec des départements qui vont proposer tant à des médecins, une voiture de fonction… et d’autres beaucoup moins. On ne doit pas créer des inégalités qui aboutiront à de la concurrence et du marchandage. On doit faire une médecine attractive, avec des salaires attractifs.”  Il se dit également pour une permanence des soins. “Il faut faire la proposition la plus attrayante possible en respectant tout de même des contraintes. Il faudrait une incitation à faire de la permanence des soins, comme une certaine incitation à aller s’installer dans tel ou tel territoire”, détaille-t-il.   Le médecin explique avoir proposé à l’Ordre de payer sa cotisation en échange d’une table ronde organisée début 2020 sur le sujet. “Le projet est ambitieux, reconnaît-il. Mais si on reste à défendre son truc de son côté, on arrivera à la crise.”  

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