Plaintes contre des médecins intérimaires : "Ils ont pris les patients en otage", tacle le ministère
Une plainte du ministère de la Santé contre des médecins, c'est un branle-bas de combat. Trois intérimaires font l'objet d'une procédure devant l'Ordre des médecins pour "manquements déontologiques graves". Le ministère a expliqué à Egora les raisons de sa plainte. Une action qui s'ajoute à une bataille qui dure depuis des mois avec les médecins intérimaires.
De mémoire d'avocat, c'est inédit. Le ministère de la Santé a porté plainte devant l'Ordre contre trois médecins début octobre. Tous trois sont membres du bureau du Syndicat national des médecins remplaçants hospitaliers (SNMRH), et se sont exprimés dans la presse ces derniers mois contre le décret revoyant à la baisse la rémunération maximale des intérimaires. Au printemps dernier, le mouvement était allé jusqu'à recenser les hôpitaux appliquant le décret, et appelait les médecins à éviter d'y remplacer. Impardonnable, pour le ministère de la Santé, qui pointe "trois manquements déontologiques graves". "Déconsidération de la profession de médecins" Le ministère a détaillé les griefs à Egora. Il reproche d'abord aux médecins mis en cause une infraction au principe de moralité, de probité et de dévouement. "L’utilisation du terme "grève" par le syndicat n’est pas correcte dans la mesure où son appel au boycott cible certains établissements qui appliquent simplement la loi", détaille le ministère. Par ailleurs, il relève "une certaine déconsidération de la profession de médecins par cet appel à ne pas respecter la règlementation". Enfin, le ministère dénonce "une promotion explicite du "commerce de la médecine" incompatible avec les obligations éthiques et déontologiques incombant aux médecins, ainsi que l’a rappelé le conseil national de l’ordre des médecins (CNOM) en juin dernier." En effet, l'Ordre avait alors dénoncé des comportements "peu soucieux du devoir d'humanité envers les patients", "susceptibles de nuire à leur prise en charge" et qui "déconsidèrent la profession". "Les médecins ont légitimement le droit de défendre collectivement leurs intérêts matériels. Le CNOM leur rappelle cependant que cette défense ne peut les exonérer de leurs responsabilités éthiques et déontologiques", ajoutait le Conseil de l'Ordre. "Comportements anti déontologiques" Cette fois, l'Ordre va devoir trancher. Ces trois médecins ont-ils fauté au point d'être sanctionnés de trois mois d'interdiction d'exercice, comme le réclame le ministère ? Les chambres disciplinaires régionales ne devraient pas se décider avant le courant de l'année prochaine. "Par ces plaintes, le ministère entend marquer sa condamnation de l’action d’un collectif qui vise seulement à mettre en échec l’application de la loi quitte pour cela à mettre en danger le fonctionnement de certains établissements et donc l’accès aux soins des patients, explique le ministère à Egora. La plainte n’est donc en rien orientée contre un syndicat mais contre des professionnels et leur comportement anti déontologique, qui sont prêts à prendre les patients en otage de leurs revendications. Il est à noter que les voies légales pour contester la validité du décret encadrant le recours à l’intérim médical, à savoir le recours direct au Conseil d’Etat contre le décret, n’ont pas été utilisées." De leur côté, les médecins du SNMRH regrettent de n'avoir jamais pu être entendus par le ministère, ni même être invités à s'expliquer. Toutes les demandes de rendez-vous sont restées sans réponse. "Le premier signe de vie que nous recevons, c'est cette plainte", déplore le Dr Christine Dautheribes, anesthésiste et porte-parole du syndicat. "Qu'on ait pu être maladroits, c'est possible. Je veux bien le reconnaître. Mais on n'a jamais été considérés. On a le sentiment que c'est le règne de la terreur. C'est de la coercition, ce ne sont pas des méthodes démocratiques", s'inquiète le Dr Dautheribes. "Cette procédure disciplinaire nous interpelle, explique Maître Bellanger, qui assure la défense des médecins. Elle s'oppose à deux libertés publiques : la liberté d'expression, garantie par la constitution, et la liberté syndicale, de défendre les intérêts collectifs d'une profession." Par ailleurs, l'avocat s'étonne qu'on reproche aux intérimaires de porter atteinte à la continuité du service public. "Ce ne sont pas les remplaçants qui sont chargés d'assurer la continuité des soins ! Qu'ils y contribuent, bien sûr, mais qu'ils en aient la charge et la responsabilité, non, ajoute l'avocat. On est interpellés par le désarroi de la politique gouvernementale. Il faut aussi dire que si certains médecins n'assurent plus les remplacements dans certains établissements, c'est en réaction à la politique du gouvernement, et pas à quelques communiqués. La vraie origine de cette carence, c'est de décret gouvernemental." "Réduire les effets délétères de l'intérim" Le décret, en vigueur depuis le 1er janvier dernier, vise à "réduire les effets délétères de l'intérim qui participent à la fragilisation des équipes médicales, en plafonnant le montant journalier des dépenses susceptibles d'être engagées par praticien par un établissement public de santé au titre d'une mission temporaire", selon une note du ministère de la Santé. Il prévoit que le salaire brut quotidien, pour 24 heures de travail, ne pourra dépasser 1 404,05 euros en 2018 et 1 287,05 en 2019. En 2013, le désormais député Olivier Véran avait remis un rapport à Marisol Touraine sur le recours à l'intérim à l'hôpital. Il estimait que cette activité coutait 500 millions d'euros par an à l'hôpital public. Depuis son arrivée au ministère, Agnès Buzyn a plusieurs fois dénoncé le coût des intérimaires pour l'hôpital, les accusant de profiter de la pénurie de médecins. "Des sociétés d'intérim se sont précipitées dans cette brèche" et "proposent des intérimaires qui se font payer entre 2 000 et 3 000 euros la journée. La journée", avait notamment déploré la ministre l'été dernier. "Ce qui crée un déficit" dans des hôpitaux "qui sont souvent de petits hôpitaux en difficulté", qui "n'arrivent pas à recruter" sur des postes "ouverts". "Quand la moitié de la masse salariale passe pour des intérimaires qui travaillent une semaine par mois, ça n'est pas tolérable", avait commenté Agnès Buzyn, en critiquant des médecins qui "profitent d'un système en tension" et préfèrent "jouer les mercenaires en allant offrir leurs services une journée par mois" plutôt que de s'installer. Insultes Un discours agressif et stérile, aux yeux des intérimaires. S'ils admettent qu'il y a des moutons noirs dans la profession, comme partout ailleurs, ils refusent d'endosser la responsabilité de l'échec de la politique de santé à l'hôpital. "Pourquoi, sous prétexte que la santé coûte cher, nous serions stigmatisés en tant que profession intérimaire ? Pourquoi faut-il clouer des gens au piloris, les désigner comme coupables et baisser leur rémunération de 30% ? s'agace le Dr Dautheribes. Le problème de la santé est national. Nous ne sommes pas responsables des problèmes dans la santé, du déficit médical, de l'augmentation de la demande de soins, du burn out de nos confrères dans les hôpitaux… Nous ne sommes pas responsables de l'incurie des gouvernements précédents qui n'ont pas pris le problème en compte. Quand on nous traite de mercenaires, de cancer de l'hôpital, quand on dit qu'on se vend au plus offrant… Ce sont des insultes." Plusieurs syndicats se sont émus de la plainte du ministère. Dans un communiqué, la FMF " dénonce cette pratique d’un nouveau genre et indigne d’un pays démocratique". De son côté, l'UFML-S, jaloux, demande, lui aussi, à être attaqué par le ministère et rappelle avoir publié une "carte des lieux où ne pas s'installer". Le syndicat du Dr Marty assure qu'il réfléchit à porter plainte contre Agnès Buzyn devant l'Ordre pour "non-confraternité".
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