28 avril 2020, Jean-Christophe Allemand, 40 ans, décède des suites d'une décompensation diabétique. Une semaine auparavant, alors qu'il téléconsultait pour sa soif abondante, sa fatigue et sa langue blanche, une généraliste avait diagnostiqué un champignon. Sa famille a porté plainte contre X pour homicide involontaire, convaincue que l'issue aurait été différente si la consultation avait été réalisée en présentielle. Un cas extrême qui a néanmoins interpellé la profession sur les risques inhérents à la pratique de la télémédecine. Alors que l'avenant 9 à la convention médicale a assoupli le cadre conventionnel [voir encadré] et que des voix s'élèvent d'ores et déjà pour aller au-delà de la limite des 20% d'activités de télémédecine qui a été fixée, le Collège de médecine générale et l'Ordre des médecins appellent les praticiens à la prudence.
Toutes les situations ne sont pas adaptées à la téléconsultation
Plutôt téléconsultation ou présentielle ? Il est pour l'heure impossible d'établir une recommandation de prise en charge pour chaque plainte ou pathologie rencontrée en médecine générale. Dans une contribution publiée en 2021, le Collège de médecine générale (CMG) a adopté une approche "plus générique", distinguant les "situations aiguës" des "situations non aiguës". A charge pour le médecin de déterminer dès le début de la téléconsultation si les conditions sont réunies pour poursuivre par écran interposé : le patient est-il à l'aise avec les outils ? la confidentialité est-elle assurée? Peut-on vraiment se passer d'une consultation physique? La téléconsultation "est une forme de régulation médicale", relève le Pr Serge Gilbert, vice-président du CMG. "Pour être un bon praticien en télémédecine, il faut d'abord être un clinicien expérimenté, considère-t-il. C'est avec l'expérience que l'on va sentir ce qui est caché et se méfier de certains tableaux."
Le généraliste prévient d'emblée : "Dans les situations aiguës, la téléconsultation nous paraît difficile." Bien que la demande des patients relève le plus souvent de soins non programmés, du fait de la possibilité offerte d'avoir une réponse médicale rapide à une urgence réelle ou ressentie, cet outil ne permet pas "dans la plupart des cas, de mettre en œuvre pleinement les compétences nécessaires à la réalisation d’une consultation qui assure un maximum de qualité et de sécurité", considère le CMG.
Le médecin est en effet "limité" dans son analyse par l'absence d'examen physique ou d'examens cliniques complémentaires rapides (bandelette urinaire, mesure tensionnelle, TDR, etc.). L'écran interposé modifie la relation médecin-malade et la perception de l'état du patient. Enfin, le praticien ne dispose pas d'une vision d'ensemble du patient : il ne voit que le haut de son corps, ne peut évaluer sa position debout, sa marche, etc. Le CMG recommande donc aux généralistes de se limiter aux demandes de soins non programmés simples ne nécessitant pas d'examen clinique (type ordonnance de pilule contraceptive) et aux téléconsultations visant à réévaluer l'évolution d'une pathologie aiguë.
A l'inverse, dans les situations non aiguës, le recours à la téléconsultation peut être indiqué dans le cadre d'un suivi d'une pathologie chronique ou mentale (dépression, anxiété), d'une évaluation après un premier traitement, pour décrypter des résultats d'examens biologiques ou radiologiques, pour adapter une posologie ou renouveler un traitement. "Avant, on faisait la même chose par téléphone, mais gratuitement", constate Serge Gilbert. "Dans le cadre du paiement à l'acte, c'est une façon de rémunérer le temps passé pour le patient."
Des recommandations qui semblent plutôt suivies si l'on en croit les principaux motifs identifiés par des généralistes utilisateurs de Doctolib dans un sondage présenté au congrès du Collège de médecine générale en mars dernier :
La téléconsultation favorise le consumérisme, voire le gaspillage de temps médical
Pour Serge Gilbert, le recours facile à la téléconsultation fait courir le risque de "transformer toute inquiétude ou plainte en demande médicale". Phénomène que l'on constate d'ailleurs avec les plateformes de rendez-vous type Doctolib, souligne le généraliste : le patient accède au premier médecin disponible, "sans même attendre le retour de son médecin traitant". Or "on sait tous qu'on peut avoir des douleurs qui rentrent dans l'ordre si on patiente un peu".
"La rhinopharyngite avait-elle besoin d'être vue en téléconsultation par un professionnel de santé alors que la personne de 90 ans n'a plus de médecin traitant pour venir au domicile ?", soulignait au congrès du CMG, en mars dernier, le Dr Stéphanie Sidorkiewicz, généraliste à Paris. D'après les chiffres présentés par Doctolib au congrès, 60% des médecins généralistes configurent leur agenda avec des créneaux exclusifs à la téléconsultation : plus de la moitié d'entre eux y consacrent plus de 2 heures par semaine. Les généralistes de Doctolib font en moyenne 38 téléconsultations par mois, d'une durée de 16 minutes. A travers la téléconsultation, se pose donc un problème d'égalité d'accès aux soins, ce temps médical étant consommé par les patients relativement jeunes, plus à l'aise avec les outils numérique, pour des motifs pas toujours pertinents.
Des chiffres qui sont toutefois à relativiser car au cours du premier quadrimestre 2022, seuls 49% des généralistes et 19% des autres spécialistes ont fait au moins une téléconsultation, d'après la Cnam. En moyenne, les généralistes consacrent 3.7% de leur activité à la télémédecine.
La TC a par ailleurs été associée à une surprescription* de médicaments et...
d'examens, notamment en pédiatrie. "En retour de téléconsultation, on voit beaucoup de prescriptions d'antibiotiques", souligne Serge Gilbert. A la demande de la Direction générale de la Santé, les CNP de médecine générale et de pédiatrie ont élaboré des recommandations de bon usage des antibiotiques en téléconsultation pour le traitement des pathologies infectieuses aiguës courantes rencontrées en soins primaires. "Dans la plupart des situations cliniques de l’adulte et de l’enfant, la prescription d’antibiotique nécessite un examen physique", concluent les experts.
Cette même insécurité qui pousse le médecin à prescrire plus largement peut l'inciter à conseiller à son patient de reconsulter en présentiel, voire de se rendre aux urgences. "C'est une fausse bonne idée de croire que la téléconsultation peut diminuer le recours aux urgences", souligne Serge Gilbert.
Attention à l'insuffisance professionnelle
L'usage massif de la télémédecine durant la crise sanitaire a conduit les partenaires conventionnels à poser une limite dans l'avenant 9 : l'activité de télémédecine (téléconsultation et télé-expertise cumulées) ne doit pas dépasser 20% du volume d'activité globale d'un médecin conventionné sur un an. D'après l'enquête Doctolib présentée au congrès du CMG, 13% des médecins dépassaient ce plafond au cours du premier trimestre 2022. Là encore, ce chiffre est à relativiser : d'après les chiffres de l'Assurance maladie, seuls 4% des médecins généralistes conventionnés (soit 2.383 MG) et 2% des autres spécialistes (1.249) ont facturé plus de 20% d'actes de télémédecine...
La majorité exercent dans des plateformes commerciales de télémédecine "offreuses de soin", où les médecins ne sont accessibles qu'en téléconsultation. "La pratique exclusive de la téléconsultation génère, si elle est durable, une perte d’expérience clinique susceptible de placer le médecin en situation d’insuffisance professionnelle", met en garde le Conseil national de l'Ordre des médecins dans un rapport consacré au "mésusage de la télémédecine", actualisé en février 2022. Les CDOM ont pour mission de "recenser" les médecins qui seraient dans cette situation et de leur faire part de "la nécessité de poursuivre une activité clinique".
Des règles déontologiques à respecter, sous peine de poursuites
Engagé depuis l'origine dans un combat judiciaire contre les plateformes commerciales de télémédecine, l'Ordre considère que les médecins qui y exercent se mettent en situation d'infraction au code de déontologie, et ce pour plusieurs raisons.
Conformément aux exigences déontologiques de qualité, de sécurité et de continuité des soins, le médecin doit pouvoir être en mesure d'ausculter le patient si besoin, ou à défaut de l'orienter vers un confrère. La proximité territoriale demeure donc, pour l'Ordre, un impératif. La participation à des plateformes offreuses de soin recourant à "des praticiens interchangeables et se trouvant aux quatre coins du territoire national", en dehors de tout parcours de soin, est donc contraire au code de déontologie, juge l'Ordre. Dans un jugement en référé du 6 novembre 2020 rendu à la demande du Cnom et de la Cnam, le tribunal judiciaire de Paris a d'ailleurs considéré que la proposition d’une offre de téléconsultations par des médecins susceptibles de donner des consultations, prescrire des soins et délivrer des arrêts de travail "de manière indépendante de l'organisation territoriale prévue par la convention nationale" était illégale. Un appel est en cours.
En outre, la participation de médecins à des plateformes commerciales menant des campagnes publicitaires à visée commerciale, "dont les médecins retirent nécessairement voire exclusivement toute leur activité" est susceptible de poursuites disciplinaires sur la base des articles 19 et 20 du code de déontologie ("La médecine ne doit pas être pratiquée comme un commerce." / "Le médecin ne doit pas tolérer que les organismes, publics ou privés, où il exerce ou auxquels il prête son concours utilisent à des fins commerciales son nom ou son activité professionnelle").
Enfin, l'encaissement des honoraires par une société commerciale est "contraire au principe de paiement direct de l'acte par le patient". "Le médecin ne peut aliéner son indépendance professionnelle sous quelque forme que ce soit", rappelle l'article 5 du code de déontologie.
"Nous avons des procédures en cours [contre les plateformes, NDLR] et je pense qu'on va amplifier les procédures contre ceux qui font de la dérégulation", annonce le Pr Stéphane Oustric, délégué général aux données de santé et au numérique au sein du Cnom. Des poursuites ont également été engagées contre des médecins à titre individuel. "Mais les médecins, je veux d'abord les informer, défend le conseiller ordinal. Certains signent des contrats qui les rémunèrent 60 euros les 5 heures, ou avec un acte dégradé à 12 ou 15 euros… Vous engagez votre responsabilité sur 30 ans en assurant des soins sur des patients que vous ne connaissez pas, en étant sous-payés ! Pendant un moment, il y avait même une incitation financière à voir plus de patients : 'on vous file 10 ou 20% de plus si vous faites non pas 6 mais 10 actes à l'heure'. J'ose penser que ça s'est arrêté… mais on ne voit pas tous les contrats."
Un nouvel article au code de déontologie a été rédigé et est en cours de validation. "C'est un article de principe et de postures, indique le généraliste toulousain. Les outils de télémédecine ne sont que des outils qui n'empêchent pas le médecin d'agir dans un cadre déontologique."
Par ailleurs, conscient des "dérives" durant la crise sanitaire, le ministère travaille sur "un cadrage législatif des plateformes de téléconsultation", a indiqué le Dr Sophie Augros, de la DGOS, au congrès du CMG.
Des risques pour les patients
La pratique de la téléconsultation, parce qu'elle est plus facile, peut "détourner" certains patients de la consultation présentielle, avec en bout de course un risque de perte de chance. C'est pourquoi l'Ordre et l'Assurance maladie rappellent ainsi que la téléconsultation doit être réalisée "en alternance" avec des consultations en présentiel. "Pendant le premier confinement, le risque c'était de voir des patients désaturer sans surveillance médicale, relève Serge Gilbert, du CMG. Quand on voit des patients qui à 3 ou 4 jours de fièvre continuent en téléconsultation sans avoir été auscultés, je trouve ça extrêmement délétère. C'est vraiment une remise en cause de ce qu'est la médecine."
Des plaintes concernant la prise en charge en télémédecine commencent à arriver, confirme Stéphane Oustric, du Cnom. Si les erreurs de diagnostic graves peuvent survenir dans le cadre d'une consultation au cabinet, la téléconsultation, plus expéditive, peut majorer ce risque. "C'est un formidable outil, mais il doit être réservé à ce pour quoi il a été fait", conclut-il.
Le cadre conventionnel qui avait été fixé par l'avenant 6 a été assoupli par l'avenant 9 signé l'été dernier. L'exigence du "principe de territorialité" a été levée pour les patients résidant dans des zones sous-denses. La règle conditionnant le remboursement de la téléconsultation à une consultation présentielle dans les 12 mois précédents a été supprimée. Au grand dam de l'Ordre, qui a engagé un recours auprès du Conseil d'Etat.
Pour rappel, l’exigence de respect du parcours de soins coordonné (territorialité, connaissance préalable) ne s’applique pas aux patients, dès lors qu’ils ne disposent pas de médecin traitant désigné ou que ce dernier n’est pas disponible dans le délai compatible avec leur état de santé.
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