Vers la fin des remplacements pour les internes de médecine générale ?

05/07/2019 Par Aveline Marques
L'amendement limitant à 3 ans la durée du remplacement est tombé aux oubliettes. Mais d'autres difficultés se profilent vis-à-vis du remplacement : licence octroyée au dernier semestre, cotisations Carmf bientôt obligatoires… Les internes remplaçants pourraient bientôt devenir une denrée rare, notamment en médecine générale. De l'Ordre aux internes, en passant par les remplaçants et les enseignants, le débat agite la profession.

  "Il y a 30 ans, pendant l'internat on remplaçait en pleine campagne, seul au monde, avec comme compagnons un répondeur à K7 et la [Citroën] GS du titulaire...", se souvenait, pas plus tard qu'hier, un lecteur d'Egora. Une perspective qui pourrait bientôt sembler très lointaine aux internes de médecine générale. Depuis quelques semaines, en effet, il est question de durcir les conditions de formation nécessaires pour l'obtention d'une licence de remplacement pendant l'internat. Les conditions pour obtenir le sésame sont actuellement fixées par décret : le nombre requis de semestres d'internat validés est déterminé spécialité par spécialité. Pour les DES en cinq ans, six semestres sont nécessaires ; pour les DES en quatre ans, cinq semestres sont requis. Mais pour le DES de médecine générale, qui ne dure que 3 ans, il suffit d'avoir validé trois semestres, dont le stage ambulatoire de niveau 1 effectué en première année aux côtés du praticien (voir encadré).   "Vous accepteriez de monter dans l'avion d'un pilote à moitié formé ?" Un bagage requis bien léger aux yeux du Collège national des généralistes enseignants (CNGE). "Le niveau moyen des internes en 3e semestre est insuffisant pour remplacer", juge le Pr Vincent Renard. "Quand on estime que deux stages ambulatoires sont nécessaires pour avoir la compétence pour exercer, on ne peut pas dire qu'un seul suffit pour remplacer." Le président du CNGE estime que la question avait été tranchée au moment des discussions sur la réforme du DES de médecine générale. "La licence de remplacement, logiquement, ne devait être octroyée qu'à la fin de la phase d'approfondissement". Soit au 6e semestre, voire au terme de l'internat, une fois accompli le stage ambulatoire de niveau 2 en "autonomie supervisée" (l'interne est seul dans les murs et débriefe le soir avec son maitre de stage). Question de "cohérence" et de "protection des patients et des internes", souligne Vincent Renard. "Vous accepteriez de monter dans l'avion d'un pilote à moitié formé, avant la mise en autonomie ?" lance-t-il. "En 90, lorsque le résidanat a été allongé à 2 ans et demi, le stage de médecine générale se faisait à la fin. Avec la réforme – et c'est une bonne chose – le premier est fait en première année. Mais alors que les exigences de formation ont progressé à la demande générale, on régresse en accordant la licence à tous les internes en 3e semestre alors qu'ils ne sont pas formés conformément à leurs exigences." En somme, on accorde le droit aux internes de remplacer en autonomie complète avant même d'avoir validé leur stage en autonomie… supervisée. Des arguments entendus par l'Ordre des médecins. À l'issue de deux réunions du CNGE avec les conseillers nationaux, consigne a été donnée aux CDOM, en avril, de n'octroyer la licence... qu'aux internes entrés dans la dernière phase de leur formation. Peu suivie, cette directive a tout de même donné des sueurs froides aux carabins. "De nombreux internes inquiets nous sollicitent chaque jour au sujet de leur licence de remplacement", alertait l'Isni mi-avril, fustigeant une "intention qui ne correspond ni à la réalité du terrain, ni aux aspirations des internes". Pour le syndicat, les remplacements sont "une étape déterminante dans la formation de nombreuses spécialités". "Ils permettent aux jeunes professionnels de découvrir le mode d'exercice libéral, peu connu du fait de l'offre de stages actuelle". Sans compter qu'ils constituent une source de revenus bienvenue pour des internes notoirement mal payés.   "Le remplacement retarde l'obtention du diplôme" Mais sur le plan pédagogique, "c'est en effet plus logique de remplacer après le stage de niveau 2, en autonomie", reconnaît le syndicat Reagjir (Regroupement autonome des généralistes jeunes installés et remplaçants), qui "a fait évoluer sa position". "Le remplacement favorise la professionnalisation, mais ça arrive peut-être un peu trop tôt dans le cursus", admet le Dr Barbara Trailin, vice-présidente. Pour le CNGE, en outre, le remplacement en cours d'internat "bouleverse les cursus et retarde l'obtention du diplôme". "Pour le semestre d'été, on a plus de 250 demandes de disponibilité déposées par des internes de médecine générale", souligne Vincent Renard. Pris entre deux feux, l'Ordre a finalement décidé… de ne rien décider. En conférence de presse, mercredi, le Dr Patrick Bouet, président du Cnom, a assuré que son institution ne ferait évoluer les règles du remplacement que "lorsque les acteurs universitaires et professionnels auront ensemble construit ce qui est pour eux le moment où un étudiant peut être mis en autonomie". Tout en rappelant malgré tout que la France est "le seul pays en Europe qui autorise les étudiants à se retrouver en autonomie sans avoir leur diplôme de grade 1". Une nouvelle phase de concertation est en train de s'ouvrir. Au grand dam du CNGE "Les conseillers nationaux ont retourné leur veste", tacle Vincent Renard. "Tous les arguments sont connus, il suffit d'être cohérent et de décider. Chacun doit prendre ses responsabilités." Pour mettre la pression sur l'institution ordinale, "le CNGE a envoyé un courrier avec accusé de réception à tous les présidents de CDOM disant que s'ils s'accordaient les licences de remplacement alors qu'il était acté que les étudiants n'étaient pas compétents pour remplacer en toute sécurité ni pour eux, ni pour les patients, nous déclinerions toute responsabilité en cas de litige", rapporte le généraliste enseignant.   2000 euros de cotisations D'autres nuages se profilent à l'horizon. L'année prochaine, tous les remplaçants, internes compris, devront cotiser à la Carmf. "Jusqu'à présent, quand on n'est pas thésé, on a le choix de s'affilier ou non. La règle va changer au 1er janvier 2020", alerte Barbara Trailin, de Reagjir. Une "somme incompressible de 2000 euros la première année" est évoquée. "C'est compliqué de sortir cette somme quand on remplace sur ses congés… Ils sacrifient leurs vacances pour travailler ! Concrètement, à Reagjir, on conseillera d'éviter de remplacer pendant l'internat. C'est dommage de se priver de ces bonnes volontés." La mesure risque par ailleurs d'échauder les internes tentés par l'exercice libéral, et de les précipiter vers le salariat, "plus simple", redoute la jeune généraliste. D'après l'enquête de l'Ordre sur les déterminants à l'installation, le remplacement apparaît en effet comme une étape quasi incontournable de l'installation : 81 % des installés actuels sont passés par une phase de remplacement exclusif. Si les premiers remplacements se passent mal pour les internes "nouvelle formule", beaucoup risquent d'être dissuadés de poursuivre en libéral. Les internes avec licence ne forment pas le gros des troupes "mais ils existent et permettent à des médecins de prendre des vacances", souligne la vice-présidente de Reagjir. "On est bien contents qu'ils soient là pour renforcer le pool." D'après les chiffres de l'Ordre, au 1er juillet 2019, 12 336 internes avaient une licence de remplacement, dont 7345 en médecine générale.

La maquette actuelle de médecine générale D'une durée de trois ans, le DES de médecine générale compte 200 heures d'enseignements environ, et 6 semestres de stages. Durant la phase socle (première année), deux stages sont réalisés : un stage aux urgences et un stage en cabinet auprès d'un généraliste MSU de niveau 1. La phase d'approfondissement (2e et 3e années) comporte quatre stages : - un stage en médecine polyvalente, - un stage santé de la femme : praticien avec grosse activité de gynéco et/ou PMI, ou service hospitalier, - un stage santé de l'enfant : praticien avec grosse activité de pédiatrie et/ou PMI, ou hospitalier en pédiatrie ou urgences pédiatriques - un stage ambulatoire en soins primaires en autonomie supervisée (Saspas), effectué en dernière année.

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