Les pourparlers durent depuis plus d’un an… mais n’ont toujours pas pu aboutir à un accord. Démarrées fin janvier 2021, avec l’objectif de revoir les modalités de l’accord conventionnel interprofessionnel sur les MSP, signées en avril 2017, et de l’adapter aux orientations prises par le plan "Ma santé 2022" et le Ségur de la santé, les négociations conventionnelles ACI-MSP peinent toujours à fédérer l’ensemble des syndicats représentatifs*. En cause, pour certains, l’étiquette trop médico-centrée du dispositif, et pour d’autres, la question du salariat au sein de structures libérales. Le danger du "tout-médecin" "Nous ne signerons pas cet avenant 1 parce qu’il est trop centré sur les médecins, explique Daniel Guillerm, président de la Fédération nationale des infirmiers (FNI). Nous ne sommes pas opposés à la coordination des acteurs, bien au contraire, mais les propositions de la Cnam sont extrêmement médico-centrées." Un avis partagé tant par la Fédération nationale des orthophonistes (FNO) que la Fédération française des masseurs kinésithérapeutes rééducateurs (FFMKR) dont les deux présidents – Anne Dehêtre et Sébastien Guérard – rappellent le "peu de prise en compte des spécificités de l’exercice professionnel des paramédicaux" qui peuvent notamment "avoir des prescripteurs au-delà de la limite de la MSP", note Anne Dehêtre. De plus, estime Daniel Guillerm, "le statut juridique de la société interprofessionnelle de soins ambulatoires (Sisa) n’est pas une réponse adaptée pour le secteur libéral infirmier qui a une activité à majorité au domicile". Le refus de l’Assurance maladie d’intégrer les masseurs-kinés au dispositif des soins non programmés "dans le cadre du virage ambulatoire et de la sortie précoce d’hospitalisation", est un point de blocage pour la FFMKR, convaincue qu’au sein des maisons de santé, ces professionnels "peuvent apporter quelque chose en termes de non-programmation des soins". D’autant, souligne Sébastien Guérard, que plusieurs kinés libèrent déjà – et gratuitement – des plages d’urgence pour la prise en charge de ces soins non programmés. Si le comité d’administration du Syndicat national des masseurs kinésithérapeutes rééducateurs (SNMKR) s’est, pour sa part, positionné en faveur de la signature, comme l’explique Guillaume Rall, son président, ils ont informé la Cnam que son dispositif "manquait d’ambition" et qu’il faudrait poursuivre la discussion sur le développement des soins non programmés en maisons de santé, notamment pour les non-médecins. "Nous leur avons fait comprendre qu’on ne leur donnait pas un chèque en blanc et que nous n’étions pas à 100% satisfaits du texte… bien qu’on accepte d’encourager la démarche." Si pour l’heure, la Cnam ne s’y est pas engagé, Guillaume Rall compte remettre le sujet sur la table des négociations conventionnelles monoprofessionnelles en cours. L’accueil des stagiaires en MSP "valorisée dans le cas des internes en médecine mais pas des autres professions" a également freiné la FFMKR qui prévient "qu’à force de faire du-tout médecin, on finit par se mettre à dos les paramédicaux". Avec ce "tout-pouvoir confié aux médecins de ces structures, et la possibilité de salarier un autre libéral, il peut vite y avoir un glissement qui pourrait faire perdre à la maison de santé toute son autonomie", poursuit son président. Des salariés en structures libérales ? Dans son projet d’avenant que Concours pluripro a pu consulter, l’Assurance maladie prévoit d’octroyer "200 points variables dès lors que la structure intègre, parmi ses professionnels de santé, un IPA libéral ou salarié", "200 points fixes pour la réalisation de deux missions" et "40 points fixes par protocole" mis en place. Rappelant que "ce dispositif demeure identique à celui de la convention des infirmiers libéraux", il précise que "l’infirmier salarié exerçant une activité exclusive en pratique avancée peut faire bénéficier la maison de santé qui l’embauche d’une aide complémentaire de 27 000 euros (pour 1 ETP IPA, l’aide étant modulable en fonction du nombre d’ETP)". Solidarité entre confrères C’est par "solidarité avec [ses] collègues paramédicaux" que François Blanchecotte, président du Syndicat des biologistes (SDB), a décidé de ne pas signer l’avenant 1 à l’ACI-MSP. D’autant, glisse-t-il, qu’il ne "se sent pas concerné par le texte car la biologie n’y est pas présente". S’il reconnaît avoir "beaucoup d’amis dans les non-signataires" qui ont "peur que le tout-MSP nuise finalement à l’exercice libéral et qu’on se retrouve avec des salariés comme dans des mini cliniques", Philippe Besset a décidé, pour sa part, de signer l’avenant au nom de la Fédération des syndicats pharmaceutiques de France (FSPF) car...
"le fait d’augmenter les budgets et d’avoir cette nouvelle mission sur les crises sanitaires, c’est important". Pour autant, il les rejoint sur le fait qu’il "manque la brique de base à la coordination", que sont les équipes de soins coordonnées autour du patient (Escap)**. Ce que défend également Sébastien Guérard, également président des Libéraux de santé, l’intersyndicale qui porte ce dispositif de coordination : "Les libéraux y sont attachés. Ils tiennent à cette logique d’organisation qui impose de mettre le patient (et non les structures) au cœur de la prise en charge et de la coordination. Mais nous ne sommes pas entendus, notamment par la Cnam et la DGOS, peu empressées à soutenir cette modalité pragmatique de coordination, sans doute parce qu’elle ne rentre pas dans le modèle voulu par les pouvoirs publics. Certes, il n’est pas question d’opposer les deux modèles. Il faut laisser place aux initiatives sans pour autant faire croire ou imposer la vision selon laquelle la MSP est l’alpha et l’oméga. Il faut en effet tenir compte du facteur humain, tant du côté des professionnels que des populations, avec leur singularité." Du donnant-donnant. C’est ce que souhaite, pour sa part, le Dr Philippe Vermesch, président du Syndicat des médecins libéraux (SML), qui a décidé de ne pas signer. "Je veux bien signer des avenants mais à partir du moment où la Cnam promet d’ouvrir rapidement les discussions sur l’accord-cadre interprofessionnel (ACIP) mais que la parole n’est pas respectée car rien n’est fait depuis décembre, cela me gêne." Et au-delà de ce "coup" de la Cnam, il insiste : "Je ne vois pas pourquoi il faudrait favoriser 15% des médecins qui travaillent en MSP et pas les autres. On met de l’argent sur les structures et pas sur les gens qui travaillent… Alors qu’on a besoin d’effecteurs sur le terrain pour soigner la population. On délaisse l’accès aux soins pour payer des réunions aux médecins pour s’organiser." S’il précise qu’il ne "dit pas qu’il ne faut pas de MSP", il regrette le "dogmatisme de la structure" : "On voit que les autorités ont porté depuis cinq ans le projet des CPTS et des MSP et ont forcé la main à tout le monde, mais on a toujours les mêmes problèmes d’accès aux soins… et ça augmente en plus. Donc ce n’est pas tout à fait la bonne direction pour nous." Couacs et élitisme Son comité directeur était "assez partagé", concède le Dr Jacques Battistoni, président de MG France, notamment sur le fait "qu’à travers l’ACI-MSP, on va vers quelque chose de plus en plus élitiste qui risque de moins en moins convenir aux autres". Une critique de fond sur la "complexification du dispositif" qui doit être entendue, insiste-t-il. Bien que se réjouissant de l’augmentation globale des maisons de santé, il s’interroge, par exemple, sur la mission en réponse aux crises sanitaires graves car "cela nous engage à rédiger un plan blanc, qui n’est pas du ressort de la MSP qui a autre chose à faire. C’est assez rebutant de s’entendre dire qu’on aura plus d’argent mais qu’en contrepartie, il faudra réaliser un travail administratif qui n’est clairement pas le sien". Si le médecin, qui exerce à la MSP de Ifs (Caen) depuis 2008, comprend l’argument avancé par son confrère du SML, il estime pour autant qu’il faudrait favoriser le travail des médecins en MSP, même s’ils ne représentent que 15% de la profession. Car "cette minorité agissante donne une direction que les autres peuvent suivre", rappelant que sans les nouveaux modes de rémunération (ENMR), ce mouvement autour de l’exercice coordonné n'aurait pas eu lieu… MG France soutient, précise son président, toutes les formes d’exercice coordonné et défend toutes les équipes de soins primaires, et à ce titre, posera un regard "bienveillant" sur le dispositif Escap. Il ne s’agit pas d’opposer l’un à l’autre, poursuit-il, mais de respecter la progression et la pluralité des modes d’exercice coordonné, sans pour autant dire que "ce qu’on donne aux uns, on prend aux autres". Si le syndicat a décidé de signer l’avenant, il demande à la Sécu que le plan soit générique et adaptable par chaque MSP qui prend tout ou partie des propositions. "S’il faut créer quelque chose de nouveau à chaque fois, c’est clairement inutile et chronophage", insiste-t-il, et cela risque de décourager les bonnes volontés. Il faut donc une explication de texte "la plus simple et la plus aidante possible". Simple… Les échanges avec l’Assurance maladie ne l’ont pas toujours été. "Le 30 décembre 2021, on reçoit un texte qui ne convenait pas aux médecins du fait de l’article 2 relatif au service d’accès aux soins (SAS). Celui-ci précisait que si une maison de santé prend en charge tous les appels du SAS sur son territoire, mais que tous les médecins de la structure n’adhèrent pas au dispositif, la dotation ne peut être perçue, raconte le Dr Luc Duquesnel, président des Généralistes CSMF. D’ailleurs, il faisait mention de ‘médecins libéraux’ donc pas uniquement des généralistes. Nous nous sommes concertés entre syndicats de médecins pour ne pas signer cette version, demandant que le dispositif ne concerne que les généralistes, que tous les médecins de la MSP ne soient pas obligés d’adhérer – c’est d’ailleurs l’objet des discussions autour de l’avenant 9 de nos négociations conventionnelles – et que la MSP n’est pas tenue de communiquer le nom des médecins qui adhérent." Était-ce là une façon pour l’Assurance maladie de faire pression sur les médecins pour adhérer à cet avenant 9, se demande Luc Duquesnel, qui exerce dans une MSP en Mayenne. Ce « chantage » a eu du mal à passer : "Faire usage d’une telle technique n’est plus possible. On l’a vécu au moment des discussions de l’avenant 9 pour les médecins. Et ça va nous servir de leçon…" Dans le courrier envoyé aux différents syndicats représentatifs, l’Assurance maladie pose une date butoir de signature au 4 mars… soit dans deux jours. Mais pour plusieurs syndicats, il faudrait "tout remettre à plat" et "se remettre autour de la table sans heurter personne, dans un esprit pluriprofessionnel tout en tenant compte des conditions d’exercice de chacun", souhaite Anne Dehêtre. "Mais on n’en est plus là", regrette Daniel Guillerm.
** Fédération française des médecins généralistes (MG France), Confédération des syndicats médicaux français (CSMF), Syndicats des médecins libéraux (SML), Fédération des médecins de France (FMF), Union syndicale AvenirSpé-Le Bloc, Union française pour une médecine libre (UFML), Chirurgiens-dentistes de France (CDF), Fédération des syndicats dentaires libéraux (FSDL), Union nationale et syndicale des sages-femmes (UNSSF), Organisation nationale des syndicats de sages-femmes (ONSSF), Convergence infirmière (CI), Syndicat national des infirmières et infirmiers libéraux (Sniil), Fédération nationale des infirmiers (FNI), Fédération française des masseurs-kinésithérapeutes rééducateurs (FFMKR), Alizé, Syndicat national des masseurs-kinésithérapeutes
Cette possibilité de salarier des professionnels libéraux est loin de faire l'unanimité. "On a demandé à en à discuter afin de mettre des garde-fous pour ne pas créer d’énormes machines qui pourraient se transformer en des ventes d’actionnariat", explique Anne Dehêtre, qui insiste sur le fait que les libéraux doivent rester majoritaires au sein de la Sisa. Un point de blocage contourné par voie d’ordonnance le 13 mai 2021, et qui s’apparente, à leurs yeux, à un passage en force : "Quand ça ne passe pas par la voie conventionnelle, c’est traité par voie réglementaire, observe Sébastien Guérard. Et pour nous, ce n’est pas possible."
Article initalement publié par le Concours Plurirpo.
La sélection de la rédaction
Les complémentaires santé doivent-elles arrêter de rembourser l'ostéopathie ?
Stéphanie Beaujouan
Non
Je vois beaucoup d'agressivité et de contre vérités dans les réponses pour une pratique qui existe depuis 1,5 siècle . La formatio... Lire plus