"Dr" Romand, médecin imaginaire prêt à tout pour son secret

12/01/2019 Par Fanny Napolier
Faits divers / Justice

[REDIFF] - Pendant plus de 15 ans, le docteur Jean-Claude Romand a menti à sa famille et à ses proches. Celui que tout le monde croyait chercheur à l’OMS, au train de vie confortable, n’a en fait jamais validé sa deuxième année de médecine. Alors que son secret risquait d’être découvert, il a tué sa famille. Il est libérable depuis 2015, mais le tribunal a décidé ce vendredi de demander un complément d'informations, et de rendre sa décision dans les prochains jours.

  "Jean-Claude Romand avait une double vie dont il était le seul à connaître l’existence, explique Jean-Yves Coquillat, premier substitut au tribunal de Bourg-en-Bresse. Ni ses intimes ni même sa femme ne l’ont soupçonné." Au début des années 1980, un jeune couple s’installe dans le cossu pays de Gex. Jean-Claude est chercheur à l’OMS à Genève, Florence est pharmacienne. A deux pas de la frontière suisse, y vivent des cadres supérieurs, des fonctionnaires internationaux et des commerçants aisés, profitant à la fois de l’art de vivre à la française et des salaires suisses. Le jeune couple n’a pour le moment qu’un petit appartement, mais compte bien améliorer sa situation.   "C'était tellement dans sa nature de ne pas se vanter"   Et la réussite leur sourit. Voilà deux enfants, une belle villa, une BMW. Florence a tenu à ce que les enfants soient inscrits dans le privé, à l’institut Saint-Vincent, tout à côté de Prévessin-Moëns, une des écoles les plus choyées du département. Jean-Claude, lui, est plutôt discret. "Solide, silencieux, les pieds bien sur terre comme un sapin de son Jura", dit l’un de ses amis. Son assurance et sa stature de chercheur lui ont valu auprès de ses parents et dans sa belle-famille le rôle rassurant de confesseur. Pour un problème de santé, c’est à lui qu’on confie son corps. Pour un problème d’argent, c’est à lui qu’on confie son compte. Ce ponte de l’OMS assure que grâce à ses relations, il peut enrichir ses proches en plaçant leurs économies en Suisse. Il fréquente le milieu médical, est abonné à toutes les revues spécialisées, débat sur la culture cellulaire. Un soir, autour d’un dîner intime, on l’interroge sur ses études. "Je n’ai jamais voulu vous le dire, cela aurait paru prétentieux. Mais j’ai été reçu cinquième à l’internat de Paris", annonce tranquillement Jean-Claude à l’assemblée. Même sa femme Florence est ébahie. "C'était tellement dans sa nature de ne pas se vanter que, pour nous, cela confortait encore une image que nous avions de lui", se souvient un des convives, ami de faculté de Romand. Ensemble, à Lyon, ils ont bûché leur première année : seul Jean-Claude l’a eue. Mais après quelques années d’aisance, la situation se complique. L’argent vient à manquer, la banque menace, les traites de la BMW sont rejetées et, faute de rapports, ses amis ne lui confient plus d’argent. Pire : ils commencent à poser des questions. Dans dix jours, un mois, le pot aux roses sera découvert. Jean-Claude Romand est foutu. Le 8 janvier, il rentre dans la soirée, gare la BMW devant la villa et se dirige vers la chambre de ses enfants déjà couchés. Il vide sur eux le chargeur d’un 22 long rifle. Lorsque Florence s’approche, il n’a plus de balle. Il lui fracasse le crâne avec un rouleau à pâtisserie. Puis il part dans le Jura, chez ses parents.   Inscrit 12 fois en deuxième année de médecine Il mange avec eux. A une voisine, ils ont annoncé que l’Amérique réclame le "Dr Romand". Il va y être muté. Jean-Claude termine ses haricots, tire sur son père, sur sa mère et abat leur chien. Direction Paris. Il a rendez-vous avec Chantal, une ex-maîtresse qui lui a prêté 900 000 francs. Elle ne sait rien, elle parle placements, veut récupérer l’argent. Il l’entraîne dans la forêt de Fontainebleau et l’asperge de gaz lacrymogène. Chantal le supplie de l'épargner. Il la regarde longuement, la reconduit chez elle. De retour chez lui, il passera vingt heures prostré près du sapin de Noël et des cadavres de Florence, Caroline et Antoine, ses enfants. Dimanche soir, Romand avale des barbituriques, arrose les corps d’essence, incendie la ferme. La mort vaut mieux que l’infamie. Mais il survit. Peu à peu, les enquêteurs découvrent la vérité. A l’OMS, où ils se rendent après la découverte des meurtres, Jean-Claude Romand est inconnu. Occupé par un autre, ce bureau dont il désignait les fenêtres avec fierté, en passant en voiture avec ses enfants. Jamais vu, même à la bibliothèque, ce chercheur qui proposait à ses confrères de leur ramener des photocopies d’articles médicaux. Puis les enquêteurs remontent à Lyon. Si le docteur a bien réussi sa première année, il s’est inscrit douze ans de suite en seconde année, sans jamais se présenter à l’examen. "Le pire, c’est qu’il aurait été tout à fait capable de réussir, s’exclame un ami. C’est pour cela que je n’arrive pas encore à y croire. En plus, il avait la vocation." L’époux modèle, le fils parfait, le "collègue" admiré a toujours fait semblant. Romand, qui n’a jamais eu de métier, qui ne s’est même jamais inscrit au chômage, s’est inventé un double pour être à la hauteur des espérances de ses parents. Pour offrir une belle vie à sa famille, il a escroqué ses parents et amis à hauteur de 45 millions de francs. Alors que tout le monde le croyait en congrès dans les hautes-sphères de l’OMS, il passait ses journées dans sa voiture, sur un parking. Mardi 2 juillet 1996, il est condamné à la réclusion à perpétuité, assortie de vingt-deux ans de sûreté.   Le "doc" en prison   "C'est un malade mental", plaide avec éloquence son défenseur lyonnais, Me Jean-Louis Abad. "Pas du tout, affirment en chœur six experts psychiatres : il n'a jamais été privé de son discernement. Romand souffre de troubles de la personnalité, de narcissisme et de mythomanie exacerbés, avec un caractère immature et lâche." En prison, Jean-Claude Romand continue de faire le docteur. Ses codétenus de Saint-Maur (Indre) ont commencé à lui parler de leurs maux, petit à petit. "Il  a commencé en disant : je pense que vous avez telle maladie mais je ne suis pas sûr. Pourtant, il avait toujours bon. Il est vraiment très fort, vous savez. Cela s’est su et, maintenant, c’est le “doc” à qui on se confie", raconte un homme qui l’a connu en prison. "Pendant toute son existence, il a eu peur de décevoir. A Saint-Maur, ce n’est plus le cas. Il est apaisé. C’est pour cela que je ne le vois pas trop quitter la prison…", ajoute son ancien voisin de cellule. Compte tenu de la détention préventive, Jean-Claude Romand est libérable depuis 2015. Ce vendredi, le tribunal d'application des peines de Châteauroux devait rendre sa décision sur une nouvelle demande de libération conditionnelle. Finalement, une nouvelle audience a été fixée au 31 janvier. Alors que le juge n'avait pas sollicité de nouvelles pièces, des documents "de nature à influer sur la décision du Tribunal", ont été transmis par l'administration pénitentiaire.

[Avec Libération, France Soir et L’Express]

  Article initalement publié le 15 août 2013

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