Au début de la Première Guerre mondiale, le bilan effroyable du conflit pousse l’ensemble des chirurgiens à des innovations forcées en vue de soulager les grands blessés et mutilés de guerre. Parmi les praticiens au chevet des soldats, Serge Voronoff, un chirurgien français d’origine russe, s’attache à remplacer les os brisés par de la mitraille et du mortier.
La greffe osseuse est alors une technique nouvelle et le très sérieux Journal des débats politiques et littéraires s’empare de la question.
Déjà, le docteur Voronoff cherche à aller plus loin. Au-delà de l’autogreffe, il tente, comme de nombreux chirurgiens de renommée au même moment, d’implanter des os d’animaux sur des squelettes de malheureux soldats blessés.
Mais la greffe osseuse n’est pas le seul terrain d’expérimentation du docteur Voronoff. Dans les années 1920, tandis qu’il a déjà acquis une réputation avantageuse dans le monde de la chirurgie traditionnelle, il décide de s’attaquer à des techniques plus expérimentales. Voronoff souhaite en effet rendre leur vigueur sexuelle à des béliers ou des taureaux exténués. Incapables de jouer leur rôle de reproducteur après de trop nombreuses saillies, certains animaux peuvent en effet devenir impuissants.
Une solution émerge alors : la greffe glandulaire. C’est ainsi que « Jackie », taureau devenu la « risée du troupeau », retrouve une vigueur nouvelle après avoir reçu un extrait de testicule de la part d’un jeune taureau. Et dans un anthropomorphisme enthousiaste, Voronoff peut ainsi affirmer à la presse que Jackie est un taureau neuf.
Du taureau à l’humain, il n’y a alors qu’un pas – que Serge Voronoff décide de franchir avec fougue. Il s’agit, selon lui, de sauver la virilité mise à mal de certains hommes qui, comme le taureau Jackie, peinent avec l’âge à honorer qui que ce soit. Le docteur Voronoff se met donc en tête d’appliquer sa formule à l’espèce humaine et de régénérer les testicules de leurs défaillants propriétaires.
Il est cependant pour lui hors de question de greffer des testicules de taureau sur un homme. Aussi il est, selon Voronoff, « extrêmement difficile de se procurer du tissu testiculaire » en vertu d’ « une loi sévère défendant, chez nous, la castration ».
Qu’à cela ne tienne : le docteur Voronoff estime que l’animal le plus proche de l’homme est le singe – et en particulier, le chimpanzé. Ce seront donc des glandes de primates qui seront la nouvelle fontaine de jouvence masculine.
Le chimpanzé n’étant pas un animal courant dans nos contrées, Voronoff se met en tête de créer un élevage de primates pour disposer de « matière première » en permanence, sans être dépendant des transports en bateau parfois aléatoires. C’est sur la Côte d’Azur, à côté de son laboratoire de Menton, dans le château Grimaldi, qu’il fait construire sa lugubre « ferme de singes ».
La technique de Voronoff n’est pas une greffe totale du testicule. Dans les faits, il prélève une petite sélection de lamelles des bourses du singe pour les suturer sur celles de ses patients, à la manière d’une seconde peau. La vigueur sexuelle du chimpanzé serait ainsi transmise à l’homme.
Les deux premiers volontaires pour cette greffe sont un ingénieur et un prêtre catholique. Une « cause sacrée » pour Voronoff, rebaptisé le « Faust au bistouri ».
Cette fontaine de jouvence intéresse d’ailleurs beaucoup le clergé, selon les propres mots de Voronoff.
Soudainement, Menton n’est plus la modeste « capitale du citron » française mais celle de la greffe testiculaire. Les vieux messieurs fatigués se bousculent aux portes du château Grimaldi. Selon Voronoff, qui n’hésite pas à dévoiler à la presse des photos avant/après, ces hommes (à commencer par son frère aîné, l’un de ses premiers cobayes) s’en trouvent rajeunis, ragaillardis et fringants.
Même l’état de leur cerveau serait censé s’améliorer.
Pendant six ans, le célèbre Voronoff exerce à Menton et l’on estime à près de mille le nombre d’opérations pratiquées durant cette période. Jusqu’à ce que l’engouement retombe, et pour cause : la greffe n’a médicalement aucun effet.
L’effet placebo semble avoir joué un grand rôle dans le ressenti des hommes passés sur la table d’opération du chirurgien. Car bourse, glande, testicule – le chirurgien a beau tordre le problème dans tous les sens, la vigueur sexuelle d’un primate ne peut se transmettre chez l’homme par simple apposition d’un bout de peau.
Les travaux de Voronoff seront définitivement discrédités à la fin des années trente. Sa crédibilité ne fera alors que décroître. Le chirurgien qui voulait régénérer les hommes mourra dans l’indifférence quasi-générale dans le courant de l’année 1951.
Regardez le reportage sur le sujet diffusé sur Arte, « À Menton, vigoureux comme un singe »
Enzo Barnabà, Il sogno dell’eterna giovinezza (vita e misteri di serge voronoff) [en italien]
François Dagognet, La Raison et les remèdes, Presses universitaires de France, 1984
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