Constat actuel
1- L’épidémie le 29 mars n'est pas encore à un niveau majeur bien que 39 pays africains soient touchés avec une augmentation sensible du nombre de cas jour après jour en lien avec la contagiosité importante du coronavirus. Citons le 28 mars 150 cas identifiés en Côte d'Ivoire, 113 cas positifs au Cameroun. 3 décès, 2 guérisons, 24 cas à Madagascar et 6 au Bénin 2 jours auparavant. Le 29 mars le Mali a 18 cas dont 1 décès (malade arrivé mort à l’hôpital). A part l'Afrique du sud où l’épidémie a pris de l’ampleur, le nombre de morts déclarés semble plutôt faible (en relation avec la jeunesse des populations ?). Tous ces recueils analysent uniquement les cas testés et sont un reflet indirect de la prévalence réelle. 2- L’immense majorité sinon la totalité des citoyens est informée (télévision, internet, téléphonie mobile). Affolement d’une partie de la population (rumeurs, réseaux sociaux en ébullition désignant des coupables, essentiellement les élites, ceux qui voyagent, les étrangers jusqu’à souhaiter l’ostracisme…). Par exemple, les réseaux sociaux actuels peuvent véhiculer l'idée qu'après l'esclavage, la colonisation, on veut les achever avec le COVID-19. On parle de « colonisation et coronisation » (sic). Les informations fausses ou fallacieuses (fake news) se multiplient ; certaines sources européennes sont reprises en Afrique alors qu’elles avaient été détrompées en France (exemple de la responsabilité de l’Institut Pasteur dans la création de l’infection virale pour vendre des vaccins).
Au Gabon, l’hypothèse de manipulations biologiques est évoquée même dans des milieux éduqués. Au Mali, la rumeur dit que le virus a été créé par erreur ou volontairement en Chine ou aux USA dans le contexte des enjeux politiques entre ces pays. Ce type d’expression est hélas classique en situation de catastrophe annoncée (théorie du bouc émissaire emblématique). D’une façon générale, notamment par peur du lendemain, émergent des tensions sociales fortes avec déjà, mais très épisodiquement, des rebellions et des pillages nécessitant des interventions militaires ou policières plus ou moins violentes. La période à venir semble risquée. 3- L’organisation du confinement est difficile dans de nombreux pays. Nombre de pays ont décidé tôt la fermeture des écoles et universités (par exemple début mars au Sénégal). Apparemment, acceptation relative du couvre-feu...
et du confinement dans les milieux aisés ; refus fréquent dans les milieux populaires car le vivre ensemble africain est pour eux essentiel. Dans des cultures populaires du toucher et de l'oralité, comment faire respecter une certaine distance entre les gens surtout quand le refus de contact est vécu comme une insulte ? Quand on mange au même plat serré les uns contre les autres ? Quand on pense que l'individu isolé est en danger et que seul le groupe est salvateur ? Cependant, il faut noter que les régions qui avaient connu des épidémies les ayant marquées antérieurement (par exemple le choléra) s’adaptent plus facilement à ce confinement ou à un couvre-feu. Le transport en commun indispensable à la majorité des Africains pour tout déplacement (bus, taxis brousse) pose un vrai problème de distanciation sociale. S’il peut y avoir des interdictions absolues de circuler en dehors des villes, ou sur certains grands axes, les transports urbains posent un problème d’incompréhension par rapport aux difficultés de la vie de tous les jours (noté par la plupart des signataires). 4- Le retour au village : tant qu’elles restent possibles, tant que les routes sont restées ouvertes, ont été observées des ruées à partir des grandes villes très peuplées (par exemple à Abidjan à l’annonce du confinement) vers les villages d'origine (on imagine la dissémination potentielle du virus...). Il ne s’agit pas simplement d’une envie de nature, ou de meilleure subsistance voire de survie, car le retour au village, à la communauté d’origine, à la famille, a toujours été important dans la culture africaine lorsqu’il se pose une problématique existentielle, personnelle ou du groupe. C’est la possibilité de prendre contact avec les Anciens, les sages qui orientent les décisions dans la communauté.
5- Croyances fortes pour beaucoup d’Africains : le virus fait partie du monde de l’invisible… Le mal, la maladie, la malfaisance doit trouver une responsabilité soit dans le monde visible (la société, l’environnement) mais parfois aussi dans le monde invisible (où se situent Dieu, les esprits, les ancêtres). Un système explicatif est absolument nécessaire. Ce monde invisible est important dans l'imaginaire et les mythes. Certains au Mali disent que « c’est Dieu qui donne la maladie ainsi que la mort », sachant qu’au Mali toutes les églises respectent les recommandations officielles ainsi que la majorité des imams et des traditionnalistes. Il est noté toutefois la persistance de rassemblements religieux : chrétiens avec les nombreuses églises dites « réveillées », musulmans (citons les lieux saints où officient les marabouts des confréries avec parfois des grandes fêtes), animistes (fêtes rituelles, confréries de chasseurs donsow dans le Mandé). A noter une vidéo récente dans laquelle on voit une cérémonie charismatique où le célébrant touche successivement le visage de tous ses fidèles avec le même linge. La cérémonie a pour but de conjurer...
le mal en invoquant le coronavirus… Dans différents peuples, les cérémonies diverses d’initiation ou de sorties de masques ne sont pas reportées car « les ancêtres sont plus importants que la maladie ». En pays senufo (Côte d’Ivoire), il nous a été dit que la cérémonie du poro était différée. 6- Est cité dans trois pays l’espoir exprimé par la population du médicament salvateur : l’hydroxychloroquine ou la choloroquine. Ce médicament bien connu en Afrique (antipaludéen) devient ici symbolique et les discussions scientifiques françaises à ce sujet interrogent ou irritent. Le médicament est déjà très recherché dans les pharmacies avec ruptures de stock (source : Bamako). Le gouvernement sénégalais a autorisé l’utilisation de la chloroquine dans le traitement et des protocoles sont actuellement en cours d’essai sous le contrôle de la Chaire des Maladies infectieuses et tropicales Les tradipraticiens proposent déjà des traitements naturels (exemples du Gabon et du Mali). 7- Le respect des Anciens, porteurs de la parole et maîtres de la coutume et du palabre. Ce sont eux qui sont menacés. Leur sagesse résistera-t-elle à la peur ? La prise en compte des personnes âgées est réelle dans certains pays mais les effets peuvent être contraires. Par exemple, les personnes de plus de 60 ans sont invitées à ne plus circuler au Bénin ce qui est une bonne mesure. Mais les funérailles ne peuvent pas être évitées (importance du rite d’ancestralisation « les Ancêtres sont plus importants que la maladie ») ce qui pose un problème majeur (absence de distanciation sociale, contacts avec le mort). La proximité sera bien sûr à éviter en fin de vie et lors des funérailles ; on a vu que ce n'était souvent pas possible avec l'infection Ebola. A noter qu’il a pu être décidé que les personnes autorisées lors d’un enterrement puissent être en nombre limité (par ex. une 20ne en Côte d’Ivoire ce qui est déjà beaucoup).
8- Peur au plan économique dans des pays où l'économie est constituée en majorité par l’informel ou bien quand démarre une économie libérale ou planifiée. Il existe des divergences entre les responsables politiques qui prônent soit de sauvegarder l‘activité économique à tout prix soit de faire une pause ou de refonder le système économique (sic). Certains gouvernants (par exemple le Président P Talon au Bénin, interview ORTB le 29 mars) insistent sur la nécessité de garder une vie économique car seuls les Etats occidentaux peuvent se permettre de mettre l’économie en pause en organisant un confinement élargi en attendant la fin de la crise. En pratique, quasiment partout, persistance des marchés de village et grands marchés des villes car ils sont indispensables à la vie, à la survie des populations. Quelques mesures symboliques s’appliquent sans problème : ici au Mali, avant d’entrer en boutique et à la sortie, on impose de se laver les mains, ce qui est impossible dans les marchés.
Préconisations
Les participants notent qu’il existe des similitudes dans les réactions psychosociales des différentes régions d’Afrique francophones. Ces mêmes déterminants ont pu être notés dans les pays successivement...
touchés par la pandémie, depuis l’Asie jusqu’à l’Europe. Il existe toutefois des spécificités qu’il faut prendre en compte. Ce qui est commun au niveau international concerne la médiatisation objective de la crise : Les seuls faits scientifiques probants devraient être diffusés dans la population par les medias, ce qui n’est pas toujours facile car il s’agit d’une nouvelle maladie virale dont les connaissances sont en constante évolution avec parfois des avis d’experts divergents. La multiplication précoce des informations fallacieuses par les réseaux sociaux, notamment véhiculés par les groupes d’influence, nécessite en urgence un plan de communication spécifique (de « désintoxication psychosociale ») de la part des médias nationaux. Ceci nécessite l’intervention d’experts scientifiques reconnus au sein des institutions universitaires et des administrations de santé publique. Éducation bien sûr par les médias locaux et réseaux (gestes barrière et distanciation). Centres d’appel et centres de traitement spécialisés se mettent en place (Sénégal). Ceci est l’objet de réflexions un peu partout. La transparence politique est souhaitable et souhaitée par les populations. Il y a une tentation de camoufler l'épidémie un certain temps (ce que semblent faire l'Egypte et d’autres pays). Rassurer dans la mesure du possible sur les moyens techniques mis en œuvre pour la prévention et le traitement (lits de réanimation, masques, gants, tests diagnostiques etc.). C’est une problématique non spécifique à l’Afrique. Mais quelles solutions satisfaisantes dans les pays en développement dont les moyens financiers sont mesurés ? Comment orienter et assurer les aides internationales en situation de crise mondiale ? Comment peuvent agir les ONG présentes. Ce qui est plus spécifique pour le groupe de réflexion Un plan de communication et d’action intégrant les aspects psychosociaux africains (en s’inspirant des modèles étrangers notamment occidentaux ou asiatiques) avec une mobilisation de tous les acteurs potentiels +++ ce qui n'avait pas été fait pour d’autres épidémies dont Ebola. Le plan cible les responsables économiques, toutes professions confondues, les responsables scolaires, universitaires, non uniquement dans les domaines de la santé. Surtout, il ne faudra pas oublier les chefs traditionnels tels que rois, chefs des villages, les Ainés des clans et lignages, les associations de guérisseurs traditionnels, les responsables religieux (musulmans, chrétiens, traditionnalistes).
Le but est de définir de façon la plus consensuelle possible les priorités et ensuite de lancer un plan stratégique acceptable par l’ensemble de la population dans sa diversité : informer, rassurer, agir pour les plus faibles. La mise en œuvre est bien sûr politique. Nous savons qu’il y a différents modèles pour ce type de mobilisation générale telle la conférence nationale stratégique ou la déclinaison à tous les étages de responsabilité à partir d’un comité national. L’important est d’arriver de prendre en compte explicitement la dimension culturelle spécifique à chaque région. Dans ce cadre, définir une stratégie spécifique de communication et de protection vis à vis des Anciens semble incontournable. Elle doit être réfléchie au plus haut niveau et affichée. Certains évoquent le confinement sélectif quand il est difficile à réaliser globalement.
Naby Balde (Guinée), Raphaël Darboux (Bénin), Isidore Diomandé (Côte d’Ivoire), Gérard Grésenguet (Centrafrique), Abdel Karim Koumaré (Mali), Méliane Ndhatz (Côte d’Ivoire), Edouard Ngou-Milama (Gabon) , Rivo Andry Rakotoarivelo et Luc Samison (Madagascar), Martin Sanou (Burkina Faso), Ekoe Tetanye (Cameroun), Meissa Touré (Sénégal). Propos colligés par Jacques Barrier (France).
Experts sollicités : Hortense Aka psychologue (Côte d’Ivoire), Pierre Boutin religieux (France, Côte d’Ivoire), Mr Ekroa tradipraticien (côte d’Ivoire), Michel Gakomo économiste (Congo-Brazzaville, France), Chantal Gauthier ethnologue (France, Togo, Cameroun), Baba Koumaré psychiatre (Mali), Mamadou Koumaré pharmacien ancien coordinateur de la médecine traditionnelle OMS / Afriuque, Abe N’Doumy sociologue (Côte d’Ivoire), Kako Nubukpo économiste (Togo), Emmanuel Puga sociologue (Cameroun), Rokia Sanogo pharmacienne (Mali) et autres en cours.
Sous l’égide du Conseil scientifique de la Conférence Internationale des Doyens et des Facultés de Médecine d’Expression Française (CIDMEF) : Etienne Lemarié (France) et Yves Tremblay (Canada Québec).
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