Interdire dans le Code de déontologie médicale, toute relation sexuelle entre un médecin et ses patients. Voilà ce que demandent des médecins et des féministes dans une pétition lancée à l'initiative du Dr Dominique Dupagne dont le forum recueille depuis 15 ans des témoignages sur la relation médecin-patients. Mais l'Ordre s'y refuse, estimant que l'arsenal juridique actuel est suffisant pour sanctionner les abus.
Elles témoignent sous des prénoms d'emprunt, Marie, Cassandre ou Ariane se sont rencontrées sur www.atoute.org, le site du Dr Dominique Dupagne qui recueille depuis quinze ans, des témoignages sur les relations médecins-patients. Ces trois femmes meurtries, blessées, racontent toutes des histoires qui se ressemblent, forcées à des relations sexuelles plus ou moins consenties, anxiogènes et toxiques avec leurs thérapeutes. Terriblement vulnérables, elles sont tombées entre les mains de psychiatres ou médecins généralistes abuseurs, qui ont su tirer tout le profit de leurs faiblesses. L'une d'entre elle, raconte avoir été violée lors d'une consultation, dans un véritable état de sidération. Victime de violences dans son enfance, une autre raconte comment son psy lui a demandé de s'assoir sur ses genoux, avant de l'amener à une relation sexuelle… Une autre, ailleurs dans le forum, a été entraînée de longs mois dans une relation sado-masochiste, exhibitionniste et fétichiste par son thérapeute.
"Une victime livre quasiment le mode d'emploi à l'abuseur"
"La psychiatrie est la plus grande pourvoyeuse de ce genre de situations, parce qu'une victime livre quasiment le mode d'emploi à l'abuseur, toute sa vulnérabilité, toutes ses failles. Cela devient tellement facile… Mais il y a de nombreux exemples avec des généralistes, des gynécologues", développe le Dr Dupagne qui a décidé à la demande de Marie, de mener un combat pour interdire dans le Code de déontologie, les relations sexuelles entre un médecins et ses patients. Sur ce thème et sous le nom "Opération Serment d'Hippocrate", une pétition circule depuis lundi dernier sur le net, comportant déjà quelques signatures prestigieuses : Jacques Testart, biologiste, les Drs Christophe André, psychiatre, Irène Frachon, lanceuse d'alerte dans l'affaire du Mediator, Baptiste Beaulieu, médecin et auteur, Jean-Paul Hamon, président de la FMF notamment. Des féministes également, comme le Dr Emmanuelle Piet, présidente du Collectif féministe contre le viol, le Planning familial ou le Dr Muriel Salmona, psychiatre, fondatrice et présidente de l'association Mémoire Traumatique et Victimologie. "A chaque fois qu'il y a une relation émotionnelle très forte entre une victime et son médecin", la situation peut basculer explique le Dr Dupagne. "Pour que le transfert amoureux s'installe - ou pas, il peut y avoir carrément viol, comme dans le cas d'Ariane – il faut qu'il y ait une personne en situation de détresse et une autre, le médecin, en situation de sauveur, d'aidant". Dominant dans une situation déséquilibrée, le médecin doit savoir se maintenir dans un strict rôle de thérapeute. Mais parfois, cela dérape.
Ces médecins abuseurs sont très peu nombreux
Très peu de victimes portent plainte auprès de l'Ordre, une sur cent, environ. Et l'accueil qui leur est fait n'est souvent pas à la hauteur du traumatisme vécu, parfois pendant plusieurs années. Les victimes doivent se justifier, répondre à un interrogatoire à charge, suspectées d'affabulation ou d'hystérie. Et, la plupart du temps, les peines infligées aux médecins sont légères eu égard à la gravité avérée des faits. On voit ici un simple avertissement délivré par le conseil de l'Ordre régional ou, comme dans le cas de Marie, six mois d'interdiction d'exercice pour le psychiatre qui l'a abusée durant des années dans une relation perverse et destructrice. Nombreux sont les gens et les médecins qui pensent que l'interdiction est déjà actée, mais non. Rien n'interdit formellement dans le Code de déontologie médicale, une telle attitude même si, relève l'Ordre, tout concourt à l'interdire. Rien non plus, dans la dernière version du serment d'Hippocrate. Certes, les psychanalystes ont intégré sans ambiguïté l'interdit sexuel dans leur code d'éthique, sans valeur réglementaire."Et apparemment sans grand impact sur leurs pratiques," relève le Dr Dupagne. Ces médecins abuseurs (quasiment exclusivement des hommes) sont très peu nombreux, évidemment, eu égard à une profession "qui fait la preuve au quotidien du dévouement et de la probité de l'immense majorité de ses membres", peut-on lire sur le texte de la pétition. Mais dans le sillon de l'affaire Weinstein, du mouvement "balance ton porc" et d'une atmosphère de "doc bashing" assez nauséabonde, ce mouvement fait évidemment réagir. Violemment. Contre les règlements qui envahissent la vie, la pudibonderie, le politiquement correct, la chasse aux sachants… lit-on sur les réseaux sociaux. "Il ne s'agit pas de faire du doc bashing, mais de dire qu'une corporation doit faire le ménage chez elle, réagit le Dr Dupagne. Il ne faut pas laisser un pourcentage infime de se membres salir et attenter à sa réputation".
Pour l'Ordre, l'arsenal juridique est opérationnel
L'Ordre des médecins avait été contacté par le Dr Dupagne une quinzaine de jours avant le lancement de la pétition. Les deux parties ont longuement échangé, mais l'institution refuse d'entendre les arguments des pétitionnaires. Dans un long communiqué, elle rappelle que le droit français réprime le harcèlement et les abus sexuels. Et que nombre de comportements sexistes, inconduites et harcèlements à caractère sexuel de la part d'un médecin, sont "contraires à l'éthique médicale et constituent une faute déontologique". Pour l'Ordre, l'arsenal juridique est opérationnel. Le code de déontologie affirme dans son article 2 que '"le médecin, au service de l'individu et de la santé publique, exerce sa mission dans le respect de la vie humaine, de la personne et de sa dignité". Dans un commentaire accompagnant le code, il est également précisé que "le médecin ne doit pas abuser de sa position notamment du fait de la vulnérabilité potentielle du patient et doit s'abstenir de tout comportement ambigu (regard, parole, geste, attitude, familiarité inadaptée), en particulier à connotation sexuelle". L'article 3 ajoute qu'un médecin doit "en toutes circonstances, respecter les principes de moralité, de probité et de dévouement indispensables à l'exercice de la médecine", l'article 7 rappelle que le médecin "ne doit jamais se départir d'une attitude correcte et attentive envers la personne examinée" enfin, l'article 31 affirme que "tout médecin doit s'abstenir à de tout acte de nature à déconsidérer (sa profession)". En conséquence, l'institution considère qu'une inscription dans le code de déontologie d'un article supplémentaire qui interdirait toute relation sexuelle, même librement consentie, entre un médecin et son patient, serait une "intrusion dans la vie privée de personnes libres et consentantes". Dès lors que les textes applicables et appliqués permettent de réprimer en droit disciplinaire tous les abus de faiblesse sur personne en situation de vulnérabilité, y compris en matière sexuelle. Aller plus loin "contreviendrait aux principes de la liberté des personnes, alors que la Convention européenne des Droits de l'Homme, en son article 8, établit que "Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance", conclut l'institution. Fin de non- recevoir, donc.
"Envoyer sa patiente à un confrère et de lui déclarer sa flamme ensuite"
Un argumentaire qui laisse de glace le Dr Dupagne. "Je pense que l'Ordre se trompe. Cela n'a pas de sens ! Si c'est interdit et si, comme l'Ordre le dit dans tous ses commentaires, on ne doit pas avoir de rapports sexuels avec des patients dont on a la charge, je ne vois pas où est le problème de l'écrire, d'autant que d'autres pays européens l'ont fait et l'argument d'un interdit européen ne tient pas", ajoute-t-il en se référant aux cas du Royaume Uni ou de la Roumanie. "Rien n'empêche un soignant d'envoyer sa patiente à un confrère et de lui déclarer sa flamme ensuite. Nous ne sommes pas dans une position tout blanc ou tout noir", ajoute-t-il. Les signataires vont maintenant faire pression du côté de la ministre de la Santé "une femme, un médecin, qui a dû être témoin d'abus au long de sa carrière", pour qu'elle demande au Conseil d'Etat de réfléchir à cela, alors que l'Ordre reste frileux. Car la finalité de cette démarche est la suivante : parvenir à l'inversion de la preuve alors qu'aujourd'hui, il appartient à la patiente victime, de témoigner devant l'Ordre des abus subis et à se justifier. " Si l'article est intégré au Code de déontologie, le médecin devra expliquer pourquoi, il pense que c'est à bon droit qu'il a eu des relations sexuelles avec une patiente malgré l'interdiction. C'est l'inverse de la situation actuelle," explique le Dr Dupagne. Le généraliste pointe également du doigt le manque de formation de ses confrères sur le sujet. "Parmi les gens de ma génération, nous n'avons jamais eu un cours pour nous expliquer ce qu'est le transfert amoureux ou les risques d'avoir des relations sexuelles avec des patients. Tout cela est absent de la formation initiale" regrette-t-il en signalant qu'une sensibilisation existe dans certains départements de médecine générale animés par des médecins généralistes sans doute plus sensibles à ces aspects humains.
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