Insuffisance rénale : "Notre système présente de graves défauts que nous devons tous reconnaître"

24/05/2019 Par Yvan Pandelé
Patients
Jean-Pierre Lacroix, vice-président de l'association de patients Renaloo, dénonce la prise en charge inadaptée de l'insuffisance rénale en France, qui souffrirait d'un recours trop massif à la dialyse et d'un manque de diversité des prises en charge. Il demande également davantage de transparence sur les données disponibles en la matière.

La prise en charge de l'insuffisance rénale chronique est-elle à la hauteur en France ? Jean-Pierre Lacroix, vice-président de l'association Renaloo, nous a fait parvenir son témoignage. Ce patient aguerri, passé par de nombreuses associations, n'a que du bien à dire de ses médecins. Mais il dresse un constat sévère de la situation globale : inégalités d'accès à la greffe de rein selon les régions, inscriptions trop tardives en liste d'attente, problème d'accès à la dialyse à domicile, manque de moyens pour le prélèvement…  Un mot sur le contexte. La prise en charge des 85 000 patients insuffisants rénaux graves fait l'objet de critiques croissantes ces dernières années. Le problème central est, bien sûr, le manque de reins disponibles par rapport à la demande. Pour la première fois, après huit ans de hausse continue, le nombre de transplantations rénales a diminué en France : 5 781 en 2018, soit 324 de moins que l'année précédente. En 2017, environ 16 000 patients étaient en attente de greffe. Mais c'est surtout la dialyse qui focalise les critiques. Un rapport de la Cour des comptes, publié en septembre 2015, a mis le feu aux poudres. Intitulé "L’insuffisance rénale chronique terminale : favoriser des prises en charge plus efficientes", il pointe le coût élevé des dialyses, les marges importantes de certains centres spécialisés, et les salaires confortables des néphrologues libéraux, d'où une "incitation au statu quo des modes de prise en charge". A l'heure actuelle, les patients dialysés sont toujours plus nombreux (55 %) que les patients transplantés (45 %). L'affaire de l'Aurar à la Réunion, cette association privée à but non lucratif soupçonnée d'avoir maintenu des patients en dialyse à des fins éminemment lucratives, n'a pas arrangé les choses. Révélée en mars denier par Le Canard enchaîné et Le Monde, elle a précipité la rupture entre Renaloo – qui réclame plus de transparence financière – et la Société francophone de néphrologie, dialyse et transplantation (SFNDT). Au point que pour la première fois, l'association ne sera plus associée au congrès de la société savante de néphrologie, qui se tiendra à Nancy à la rentrée.   C'est dans ce contexte que nous publions le plaidoyer de Jean-Pierre Lacroix, avant de donner la parole au Pr Gabriel Choukroun, président de la SFNDT.   ---

"En menant ces combats, nous ne défions pas les professionnels de santé"

 

"À l’âge de 25 ans, alors jeune ingénieur commercial au sein d’une multinationale américaine, et futur père de ma première fille, j’ai dû envisager ce que les sociologues appellent une « bifurcation biographique ». Ce virage, je l’ai pris il y a près 50 ans, accompagné par ma femme qui a joué son rôle de proche aidant avec un cran et une générosité qui ont permis et permettent encore à notre famille de traverser toute une histoire pavée d’émotions et d’engagements en faveur de celles et ceux qui, malades, revendiquent le droit de mener une vie normale.
L’insuffisance rénale s’est incrustée dans ma vie sans que je n’y sois préparé. Après avoir connu les traitements expérimentaux, la dialyse et les douleurs associées, la greffe, l’intolérance aux médicaments antirejet, le cancer, les problèmes oculaires, la fatigue et parfois la déprime, je crois pouvoir témoigner de l’excellence de notre système de santé qui, grâce à la féroce volonté des professionnels qui me suivent depuis toujours, m’offre de belles années à vivre aux côtés des miens et des nombreux bénévoles associatifs dont j’ai croisé le chemin au cours des dernières décennies. Certains ne sont plus et mes pensées vont vers eux tous les jours ; d’autres continuent, à force de résilience, à se battre contre ce que la maladie et les traitements ont de plus amer, transformant les épreuves en ressources destinées à soutenir autrui. À titre personnel, c’est aux côtés de la FNAIR (devenue depuis France Rein) puis de Renaloo que je libère mon énergie militante depuis plus de 40 ans. Pourquoi ? Parce que si notre système de santé accomplit tous les jours des prouesses techniques et médicales, il présente aussi de graves défauts que nous devons tous reconnaître pour allant de l’avant.
Ce sont tout d’abord les défauts de pertinence qui conduisent notamment à ce que le recours à la dialyse soit prépondérant en France alors que la greffe est majoritaire dans une dizaine de pays voisins. Le succès des pays qui font mieux, et de certains hôpitaux français, montrent que la réussite repose sur l’organisation du prélèvement et sur les moyens qui y sont dédiés : un choix politique qui n’a pas encore été complètement fait en France.
L’inscription sur la liste d’attente de greffe est, en France, globalement trop lente, très hétérogène et globalement insuffisante. Pour les patients dialysés de moins de 60 ans, il faut en médiane 17 mois de dialyse avant inscription, alors que les recommandations préconisent qu’elle ait lieu 12 mois avant le début de la dialyse. Ce retard, qui ne fait du reste que s’accroître, entraîne des pertes de chances dramatiques pour les malades. Au-delà de 60 ans, l’accès à la liste s’effondre et les délais augmentent de façon considérable. 
Autre exemple, l’intérêt, pour la qualité de vie et la santé des patients, de techniques de dialyse autonomes, plus longues, plus fréquentes ou à domicile n’est plus à démontrer. Pourtant, en 2017, moins de 300 patients en France (0,7 %) sur près de 50 000 dialysés bénéficiaient de l’hémodialyse longue et près de 7 % à domicile, avec de grandes disparités régionales. Pourquoi la Bretagne, qui propose l’hémodialyse longue aux patients sous l’impulsion d’un établissement engagé, fait-elle figure d’exception ? Il faut rappeler que la dialyse est une alternative à la greffe, qui sauve la vie de celles et ceux qui ne peuvent accéder à la greffe. Ces patients doivent pouvoir compter sur les modalités de traitement qui leur procurent la meilleure qualité de vie.
Ce sont ensuite les défauts de transparence puisque les données, issues du registre REIN (Réseau Épidémiologie et Information en Néphrologie, NDLR), ne sont disponibles qu’au plan national et régional, mais malheureusement leur accès est interdit au niveau des établissements. Cette opacité empêche de savoir quelles sont les structures « qui font bien » et « celles qui font mal ». Elle est source de suspicion, car on peut se demander ce qu’elle cherche à cacher. La transparence de ces données est nécessaire pour que les patients puissent savoir comment travaillent les établissements qui les soignent mais aussi pour que les pouvoirs publics puissent jouer leur rôle de régulateurs.
En menant ces combats, nous ne défions pas les professionnels de santé. Nous visons en revanche la transformation de notre système de santé qui doit davantage se tourner vers l’intérêt des patients, le respect de leurs préférences personnelles et une plus juste allocation des ressources vers les stratégies de soins les plus performantes."
 

  Jean-Pierre Lacroix, vice-président de Renaloo, en collaboration avec Magali Léo, responsable du plaidoyer chez Renaloo.

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