C’est un texte hautement controversé qui a été examiné hier par la commission des Affaires sociales du Sénat. La proposition de loi Rist portant sur l'amélioration de l’accès aux soins par la confiance aux professionnels de santé, votée par les députés, est unanimement rejetée par les syndicats de médecins libéraux. Ces derniers voient ce texte comme une menace pour l’avenir de la profession – en particulier celle de médecin traitant – et pour la qualité des soins prodigués aux Français.
La PPL Rist, portée par la députée-médecin Stéphanie Rist, vise notamment à instaurer un accès direct aux IPA, kinés et orthophonistes dans le cadre d’un exercice coordonné. La promesse d’une médecine à deux vitesses, pour l’Ordre des médecins et les syndicats représentatifs de la profession, vent debout. Les sénateurs de la commission des Affaires sociales ont répondu en partie à la demande de garde-fous des médecins libéraux, ce jeudi 8 février.
D’abord sur le cadre de l’accès direct. Les structures d’exercice coordonné autorisées par les députés étaient les suivantes : établissements de santé ou médico-sociaux, équipes de soins primaires, maisons de santé pluriprofessionnelles, centres de santé ou encore CPTS. La sénatrice LR Corinne Imbert a estimé que les CPTS constituaient un cadre trop large et les sénateurs ont supprimé cette disposition, privilégiant "les formes plus intégrées de coopération" : MSP, ESP*, ESS**. Objectif : garantir un "lien étroit" entre les médecins et les IPA, kinés et orthophonistes.
Extension de la pratique avancée aux Iade
Les sénateurs ont par ailleurs souhaité mieux encadrer la primo-prescription par les auxiliaires médicaux, dont les IPA. Ce droit sera soumis à la publication d’un décret en Conseil d’Etat pris après avis de l’Académie de médecine, de la Haute Autorité de santé et des représentants des soignants concernés.
Au sujet des IPA par ailleurs, les sénateurs ont supprimé la distinction entre IPA spécialisés et IPA praticiens présente dans le texte initial. Inspirée d’exemples étrangers, elle apparaît "inadaptée au modèle français, hybride, de pratique avancée infirmière". "Elle est rejetée par les principales organisations d'IPA au motif qu'elle risquerait de diviser la profession, de réduire sa lisibilité et de décourager l'exercice mixte", peut-on lire dans l’exposé de l’amendement, voté.
Par ailleurs, un amendement intègre la possibilité pour les infirmières anesthésistes diplômées d’Etat (Iade) d’accéder à la pratique avancée, tel que recommandé par l’Igas.
"Si le Sénat tremble devant le corporatisme médical, nous saurons lui rappeler que la corporation infirmière ne saurait accepter d’être traitée par le mépris", a de son côté prévenu l’Union nationale des infirmiers en pratique avancée (Unipa), dans un communiqué.
Accès direct aux kinés : le nombre de séances réduit
Bien que l’accès direct aux kinés n’ait pas été abrogé par les sénateurs, ces derniers ont souhaité limiter le nombre de séances de masso-kinésithérapie autorisées dans ce cadre, et en l’absence de diagnostic médical préalable. Au nombre... de 10 initialement, ce nombre a été porté à cinq par la commission. Par ailleurs, un amendement supprime la disposition prévoyant que les kinés prennent en charge prioritairement les patients en ALD, jugée "peu opérationnelle" par la commission. "Il confie aux partenaires conventionnels le soin de définir les mesures, notamment incitatives, propres à orienter l'activité des masseurs-kinésithérapeutes vers les priorités de santé publique et la prise en charge des patients souffrant d'une ALD", peut-on lire encore.
Enfin, concernant cette profession, les sénateurs ont souhaité davantage encadrer la possibilité de prescrire de l’activité physique adaptée (Apa), conditionnant cette mesure à l’avis de la HAS et de l’Académie de médecine. "La Haute Autorité de santé recommande une évaluation médicale minimale du patient avant prescription, comprenant notamment une évaluation du risque cardio-vasculaire et une estimation des autres risques médicaux liés à la pratique d'une APA", justifie Corinne Imbert.
Dans un tweet, le Syndicat national des masseurs-kinésithérapeutes-rééducateurs a déploré "le manque d’ambition et de courage des sénateurs", regrettant que la PPL Rist ait été "vidée de son contenu". "Les kinés sont une des clefs pour désengorger les cabinets médicaux et en ont les compétences. Faites-nous confiance pour le bien des patients !", a-t-il lancé.
Manque d’ambition et de courage des sénateurs !
— SNMKR (@SNMKR1) February 8, 2023
La proposition de loi sur l’accès direct pour les kinés est vidée de son contenu. Les kinés sont une des clefs pour désengorger les cab médicaux et en ont les compétences.
Faites-nous confiance pour le bien des patients ! #teamkine
S’agissant des assistants dentaires de niveau II, un amendement conditionne l’exercice de leurs nouvelles compétences à "l’obtention d’un certificat de qualification spécifique", soulignant qu’un projet de maquette de formation avait déjà été élaboré à cette fin par la commission paritaire nationale de l’emploi et de la formation professionnelle des cabinets dentaires. Un autre amendement vise à interdire "à tout moment, la situation dans laquelle un chirurgien-dentiste ou un stomatologue aurait davantage qu'un seul assistant dentaire sous sa responsabilité et son contrôle effectif".
PDSA : suppression de la "responsabilité collective"
Suppression dont vont probablement se réjouir les libéraux : les sénateurs ont supprimé l’article de la PPL Rist ajouté par le Gouvernement, qui visait à introduire dans le code de la santé publique une "responsabilité collective" de la permanence des soins (PDS) pour les médecins, chirurgiens-dentistes, sages-femmes et infirmières. "Le Gouvernement lui-même ayant reconnu que celui-ci serait sans incidence sur le fonctionnement de la permanence, et notamment sur le principe du volontariat, ces dispositions apparaissent inutilement inquiétantes et dénuées d'effet", peut-on lire dans l’amendement de suppression. "Il laisse, en revanche, perdurer les dispositions permettant à l'ensemble de ces professions de participer à la permanence des soins ambulatoires, souhaitables pour améliorer l'accès aux soins non programmés des patients dans les heures de fermeture des cabinets."
Enfin, un autre article qui avait fait sortir les syndicats de médecins libéraux de leurs gonds a été supprimé par les sénateurs de la commission. Il s’agit de l’article 4 quarter qui prévoyait l’introduction dans le code de la santé publique de la valorisation de l'engagement territorial des médecins en faveur de l'accès aux soins de proximité, de l'accès aux soins non programmés, de l'accès financier aux soins et des actions de santé en faveur de la population du territoire. Corinne Imbert a considéré que "le périmètre des conventions médicales permet d'ores et déjà de rémunérer l'engagement des médecins en faveur de l'accès aux soins". "L'examen de ces dispositions interfère inutilement avec les négociations conventionnelles en cours", explique-t-elle aussi.
Le texte sera débattu en session publique le 14 février, jour de la manifestation des médecins libéraux.
*équipes de soins primaires
**équipes de soins spécialisés
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