En campagne, Catherine Lemorton flirte avec les médecins

21/03/2017 Par Aveline Marques

La présidente de la commission des Affaires sociales à l'Assemblée nationale est depuis peu en charge des questions relatives aux soins de ville et à l'hôpital au sein de l'équipe de campagne de Benoît Hamon. A ce titre, la députée socialiste -pharmacienne de profession- enchaîne les tables-rondes avec les représentants des professionnels de santé. Dont les médecins, avec qui les relations ont souvent été houleuses. Déserts médicaux, liberté d'installation, tiers payant, dépassements d'honoraires… Catherine Lemorton décrypte avec diplomatie -une fois n'est pas coutume- le programme santé de son candidat.

  Egora.fr : Comment pousser les jeunes diplômés à s'installer en libéral, alors que nombre de médecins vont partir à la retraite dans les 5 ans à venir ? Catherine Lemorton: Il faut continuer la politique d'incitation, et faciliter la connaissance de tous les dispositifs existants; il y a beaucoup d'aides, mais les jeunes diplômés n'y voient pas clair, parfois. Il faut continuer à faciliter les stages dans les territoires: simplifier l'obtention de l'agrément de maitre de stage, fournir des aides matérielles au logement et au transport des stagiaires, etc.   Que comptez-vous faire pour inciter les médecins à s'installer dans des territoires qui ne sont pas que des déserts médicaux ? En matière de déserts, il faut faire de la prévention. C'est ce qu'on fera avec la mission nationale d'accès aux soins. Il y a peut-être des déserts qu'on peut anticiper 5 ans avant. A partir du moment où on entend l'appel du médecin qui va bientôt partir à la retraite, il faut anticiper pour l'aider à trouver un successeur. On s'en rend compte toujours trop tard… Quand un désert s'est réellement installé, que le médecin est parti, que l'infirmière et le pharmacien sont âgés, on ne trouvera aucun médecin, même payé très cher, pour s'y installer. Dans ce cas, il faudrait recourir à des vacations : qu'un médecin installé dans une ville voisine plus importante viennent faire quelques demi-journées, pour que les gens puissent programmer des consultations. Il est évident que le médecin installé qui accepterait ces vacations serait payé beaucoup plus par la collectivité, de même qu'on paie les jeunes pour venir s'installer. D'autant qu'il ne connaît pas la patientèle et que les consultations seront, a priori, plus longues. On peut programmer des demi-journées de consultation données par des praticiens hospitaliers (ophtalmo, cardio, etc.) dans les territoires, dès lors qu'ils auraient à plateau technique à disposition. On va continuer à installer des centres de santé, même s'il vaut mieux parfois privilégier l'offre de soins existante. Dans certains territoires, les maisons de santé pluridisciplinaires ont pu faire disparaître l'offre de soin à 10 ou 15km... Il n'y a pas forcément besoin que tous soient dans les mêmes murs -qui parfois coûtent cher: les professionnels savent déjà s'organiser.    Après, concernant les médecins, il y un vrai sujet, c'est le temps administratif. Il faudrait pouvoir payer un temps complet de secrétaire, mutualisé sur deux ou trois médecins. Les transferts de compétences peuvent également être une des solutions pour dégager du temps médical. C'est vers là qu'on va, mais il faut être prudent: le Syndicat des médecins libéraux nous a mis en garde sur le fait de ne pas laisser aux médecins que les actes complexes, pour lesquels la rémunération n'est pas suffisante. Et surtout, il ne faut rien imposer. Mais si ça se passe dans d'autres pays, il n'y a pas de raison pour que ça ne marche pas chez nous. Nous avons des professionnels de santé très bien formés.   Benoît Hamon souhaite restreindre la liberté d'installation des médecins dans les zones surdotées. Ne craignez-vous pas les effets pervers qui en découleraient ? Je ne suis pas à l'origine de l'idée, j'ai dû me l'approprier pour l'expliquer. Ce n'est pas aussi restrictif que cela. On sait qu'on manque de spécialistes dans certains secteurs; l'équipe de Benoît Hamon estime que quand il y a, par exemple, une offre ophtalmo suffisante en secteur 2, le conventionnement ne pourrait se faire qu'en secteur 1. Le nouveau médecin répondrait alors à une patientèle moins solvable. Les gens qui ont du mal à payer les dépassements d'honoraires iraient spontanément chez cet ophtalmo.   Et cela concernerait également les généralistes ? Non, je n'ai entendu parler que de spécialistes.   Quelle est la position de Benoît Hamon sur le numerus clausus ? On va continuer à l'augmenter, tout en s'assurant des capacités de formation. Les internes comme la conférence des doyens de faculté nous ont bien mis en garde sur la saturation des services. Moi je suis pour l'augmentation du numerus clausus parce qu'il est aberrant que nos étudiants soient obligés d'aller se former dans l'Union européenne pour revenir exercer en France parce qu'ils ont loupé le concours à 0.01 point. Après, il faut voir comment on répartit le numerus clausus. Il faut être au plus près des régions, pour la formation comme pour le diagnostic des déserts médicaux en devenir.   Au 1er mai, la consultation des médecins généralistes sera revalorisée à 25 euros: est-ce suffisant? Le paiement à l'acte est-il toujours le mode de rémunération le plus adapté ? La rémunération a déjà commencé à évoluer avec les Rosp, les forfaits structure, etc. Mais il ne faut pas non plus que les médecins deviennent des salariés de la Sécu. Il faut garder de l'acte, rémunéré à sa juste valeur. 25 euros pour un patient qui est suivi régulièrement par son médecin et qui vient se faire vacciner, on peut penser que c'est suffisant. Pour une consultation de 30 minutes, pour des patients polypathologiques ou pour quelqu'un qui est sous psychotropes, je ne sais pas si 25 euros ça suffit. Il faut trouver un mix, en fonction des besoins de la population, des territoires. Il faut affiner davantage la rémunération. J'ai pas mal de copains médecins et je sens que les critères, les référentiels les agacent, même s'ils savent que ça ne peut pas être autrement; ils ont conscience qu'il faut diversifier. C'est pareil pour les pharmaciens: est-ce que la rémunération à la boite d'un pharmacien qui délivre un buprenorphine haut dosage à un toxicomane agacé et qui passe 40 minutes à le calmer suffit? La réponse est non. Pour toutes les professions, la rémunération uniquement à l'acte ou à la boite n'est plus adaptée. Mais ils veulent garder leur statut libéral et moi je n'y toucherai pas, contrairement à ce qui a pu être dit. Je rappelais juste que la solvabilisation des professions de santé passaient par les cotisations sociales et les restes à charge des complémentaires. Ce n'est pas injure que de le dire! Notre système fonctionne comme ça, donc oui nos concitoyens sont en droit d'exiger de leurs politiques qu'on leur donne une offre de soin suffisante.   Le tiers-payant généralisé s'appliquera en novembre, malgré l'opposition de nombreux médecins. Que leur répondez-vous ? On le maintient. Et on leur répond: moyens administratifs mis à leur disposition. La collectivité pourrait prendre en charge, par exemple, un prestataire qui recouperait les versements bancaires et les flux télétransmis et s'occuperait des réclamations, d'appeler les mutuelles. Il y a des sociétés qui se sont spécialisées là-dedans et sont très efficaces.   Comment réduire le reste-à-charge des patients ? Faut-il supprimer les compléments d'honoraires ? Non, on ne va pas les supprimer. Pour les soins dentaires, les audioprothèses et l'optique, il va falloir travailler avec les complémentaires et les professionnels. Ce n'est pas tant le dépassement d'honoraire qui est un problème, mais le coût d'une prothèse dentaire, d'une audioprothèse et des lunettes. L'audioprothésiste ne vend pas que la prothèse, mais aussi le service pour régler la prothèse: ça a un coût. Il faudra trouver avec ces professions, à travers les complémentaires, des contrats comme on l'a fait avec les réseaux de santé: ils ont fait baisser les coûts et je ne crois pas que les gens soient moins bien soignés. Le dépassement d'honoraires, on n'y touche pas. Après, il ne faut pas non plus que ça occasionne des refus de soins sur un territoire. C'est pour ça que l'idée d'un conventionnement conditionné au fait que ce soit du secteur 1 là où il y a déjà beaucoup de spécialistes en secteur 2 n'est pas idiote.   Comment assurer l'équilibre des comptes de l'Assurance maladie? Quels sont les choix de remboursement qui seront faits ? Politiquement, ce n'est pas notre métier d'évaluer des médicaments, des dispositifs ou des techniques médicales. Il y a les autorités sanitaires pour cela. Il faudrait remettre à plat toute la classification commune des actes médicaux. Par certains côtés, elle n'est plus adaptée. Un spécialiste hospitalier me disait l'autre jour: "on fait des actes chers, douloureux parce que c'est dans la nomenclature, alors qu'on a une technique nouvelle moins chère, moins douloureuse". On remet tout à plat; peut-être que des choses sortiront du remboursement et d'autres, plus nouvelles, rentreront. Mais il est sûr qu'on ne peut rajouter et tout garder.   S'agissant des médicaments innovants et très coûteux, Benoît Hamon veut pouvoir recourir à la licence d'office. Dans quelle mesure ? Si on fait un parallèle un peu osé avec la défense de notre pays, la licence d'office c'est un peu l'arme nucléaire. Une arme de dissuasion à l'inflation des prix de la part des laboratoires. J'en connais les conséquences potentielles: si une innovation thérapeutique arrive, le territoire français pourrait ne pas être servi le premier. Il faut d'abord que tous les pays européens solvables s'accordent. Si on laisse un seul pays déraper sur le prix, on est pieds et poings liés. Il faut que les laboratoires rencontrent des forces internationales de solidarité -l'Union européenne en premier lieu- par rapport à ces traitements et à leur prix.   Comment améliorer les conditions de travail à l'hôpital? La réforme de la T2A est-elle au programme de Benoît Hamon ? Dans certains secteurs, comme la gériatrie, la T2A n'a aucun sens. Le prendre soin n'est pas valorisé, parce qu'on pousse à l'acte, qu'on a financé que le traitement. On a essoré les personnels. Ils se sentent maltraitants, parfois, et sont meurtris. On ne pourra pas faire autrement que d'embaucher. Il faudra aussi accélérer l'organisation des soins ambulatoires. Il y a encore trop de cloisonnements entre la ville et l'hôpital. Je ne crois pas que tous les médecins traitants aient des nouvelles de leur patient quand ils sortent de l'hôpital… On peut pas en vouloir non plus aux hospitaliers: ils sont débordés! Des soignants qui sont pas bien, comment voulez-vous qu'ils soignent bien?  

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Mais quelle mentalité de geôlier, que de vouloir imposer toujours plus de contraintes ! Au nom d'une "dette", largement payée, co... Lire plus

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