Alors que les juges d'instruction enquêtant sur l'exposition à la fibre cancérigène dans les usines Ferodo-Valeo de Condé-sur-Noireau (Calvados) s'apprêtent à prononcer un non-lieu, le site Mediapart publie une enquête à charge contre le médecin du travail qui y a exercé durant 25 ans. Cet expert réputé de l'amiante, membre d'un lobby, n'aurait jamais donné l'alerte.
En 2007, le Dr Claude Raffaelli est mis en examen pour blessures et homicides involontaires, et non-assistance à personne en péril. C'est la première fois en France qu'un médecin du travail est poursuivi. Mais en 2016, sur la base d'un rapport d'expertise, le médecin est finalement placé sous le statut de témoin assisté. Il devrait finalement bénéficier du non-lieu général dans l'affaire de l'équipementier automobile Ferodo-Valeo. Les juges d'instruction estiment en effet est impossible "d'établir a posteriori la date effective de la commission d'une éventuelle faute ayant entraîné une contamination puis intoxication" des ouvriers, et donc de l'imputer à une personne physique. Pour l'une des avocates de l'Association nationale des victimes de l'amiante (Andeva), "c'est un contresens scientifique": "l'amiante est un cancérogène sans seuil. Il n'existe pas de seuil d'innocuité", rappelle Sylvie Topaloff. Or, pour Mediapart, qui a épluché les 250 pages du dossier, le Dr Raffaelli, arrivé en 1978 dans l'entreprise, a manqué à sa mission de prévention et de protection des travailleurs. Reconnu comme l'expert français de l'exposition à l'amiante, "en vingt-huit ans, jamais il n'a donné l'alerte, il n'a quasiment jamais dit un mot sur l'amiante durant les réunions du CHSCT", charge Michel Ledoux, avocat de l'Andeva. Et ce malgré les nombreux droits d'alerte pour danger grave et imminent lancés par les représentants du personnel. C'est que, rappelle Mediapart, Claude Raffaelli était membre du Comité permanent amiante (CPA), une structure de lobbying créée dans les années 1982 qui aurait joué "un rôle non négligeable dans le retard de l'interdiction de ce matériau en France", d'après un rapport du Sénat, en prônant un usage contrôlé de l'amiante. Le site d'enquête reproduit notamment un extrait d'une lettre adressée en 1991 par le Dr Raffaelli à l'un de ses confrères, le pneumologue Patrick Brochard, également membre du CPA. Ce dernier venait de lui envoyer pour avis son article montrant que l'usage contrôlé de l'amiante n'empêche pas le développement des pathologies provoquées par le minéral. Le médecin de Ferodo-Valeo lui aurait envoyé pas moins de trois courriers pour le dissuader de publier cette étude "polémique" de nature à entrainer des mises en cause. "Les médecins comme d'autres au sein du CPA auront à répondre", écrit-il. L'Andeva compte compte demander la récusation des juges d'instruction qui, dit-elle, "se sont ingéniés à détricoter toutes les charges qui pesaient sur les principaux protagonistes de cette affaire", et auraient fait pression entre 2015 et 2016 sur les expertes pour que ces derniers rendent un rapport favorable au médecin du travail. "Les juges ont appliqué le droit pénal car, amiante ou pas amiante, pour poursuivre un médecin, on doit prouver qu'il a commis une faute médicale lourde", défend l'avocat du médecin, François Saint-Pierre. "Le docteur Raffaelli n'a jamais rempli ses obligations réglementaires d'alerte et de protection des salariés, rétorque François Desriaux, président de l'Andeva. Compte tenu de la gravité des conséquences de son incurie pour la vie de centaines d'ouvriers, si cela n'est pas une faute médicale lourde alors cela signifie que jamais un médecin du travail ne pourra être poursuivi." [avec AFP et Mediapart]
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