Rémunération de la télémédecine : "Je suis convaincu que cet avenant propose des valorisations pertinentes"

14/06/2018 Par Catherine le Borgne
Système de santé

Nicolas Revel, le directeur général de la CNAM, explique en quoi l'avenant conventionnel N° 6, mettant en place les conditions de la pratique de la télémédecine en France par les médecins libéraux, risque de transformer leur quotidien.  "Après tant d'années de tâtonnement, la télémédecine se met enfin en place en France", se félicite-t-il, après que la CSMF, le SML, MG France et le BLOC ont décidé de signer le texte.  

    Egora : Les conditions exigées par l'assurance maladie ne sont-elles pas trop contraignantes alors que les organismes complémentaires privés ont déjà entamé le maillage de notre territoire, avec une grande souplesse pour l'utilisateur ? Quelle pourra être la place des organismes complémentaires, dans la télémédecine et la téléexpertise? Nicolas Revel : Notre dispositif ne pose a priori aucune condition technique ou clinique – à part évidemment la sécurisation des échanges et la confidentialité des données médicales. Les téléconsultations pourront ainsi être pratiquées par tous les médecins, pour tous les patients, dans tous les territoires et depuis n’importe quel lieu. La logique est de considérer que seul le médecin doit être juge si la situation du patient se prête à une téléconsultation, et qu’il peut ainsi engager sa responsabilité médicale sans requérir un examen clinique en présentiel. Si la télémédecine devrait pouvoir ainsi se développer sans obstacle, elle ne doit pas pour autant percuter les principes d’organisation de notre système de santé, que ce soit la place du médecin traitant dans le suivi des patients ou les règles du parcours coordonné.  

  Face au développement des pathologies chroniques ou à la raréfaction de la ressource médicale dans certain territoire, il faut renforcer les organisations de soins dans les territoires et non pas les contourner. La solution ne peut pas être de développer une télémédecine nomade, hors-sol, qui voudrait se substituer à la médecine de proximité. Ce n’est pas l’intérêt des patients, ce n’est pas la volonté des médecins eux-mêmes, ce n’est pas ce que nous voulons construire comme système de santé pour demain. Les organismes complémentaires peuvent trouver une place, notamment les mutuelles qui développent de l’offre de soins dans les territoires, mais à la condition de s’inscrire dans ce cadre.   Des syndicats ont fait état de leurs réticences à accepter, pour la téléexpertise, des tarifs trop peu élevés, et dans tous les cas, inférieurs aux tarifs de la CCAM actuellement en vigueur dans la spécialité.  Que pouvez-vous leur répondre ? Ne redoutez-vous pas que ces tarifs, trop peu attractifs pour les médecins consultés, interdisent à la téléexpertise de se développer ? C’est une question difficile car nous devons fixer le tarif d’un acte qui n’existe pas aujourd’hui dans notre nomenclature. Autant pour la téléconsultation, nous nous référons aux tarifs des consultations, autant l’acte de téléexpertise n’a aucun équivalent. Il ne s’agit pas en effet d’un acte, technique ou clinique, en présence d’un patient ; il s’agit d’une expertise venant répondre à une question posée par un confrère et assorti d’éléments diagnostiques joints. Nous nous sommes rapidement entendus pour distinguer plusieurs niveaux car toutes les expertises n’ont pas le même degré de complexité. La fixation des niveaux de rémunération a été plus délicate, car je n’ai pas voulu que leur tarif puisse atteindre celui d’une consultation classique. Les téléexpertises sont par définition plus rapides et circonscrites. Je suis convaincu que cet avenant propose des valorisations pertinentes, qui permettront à de nombreux médecins de s’y engager. Nous observerons les pratiques et s’il faut ajuster, nous le ferons, notamment pour définir le cas échéant, un 3ème niveau tarifaire pour des expertises très complexes.   Quels seront les moyens dégagés par l'Assurance maladie pour assurer le succès de cette innovation ?Comment le professionnel de santé, qui pourra assister un patient lors d'une téléconsultation sera-t-il rémunéré ? Ils portent d’abord sur la rémunération des actes réalisés, mais cela ne suffira pas car il faut aussi répondre aux besoins d’équipement des professionnels. C’est pourquoi nous avons augmenté le forfait structure des médecins pour contribuer au financement de leurs abonnements à des infrastructures sécurisées et de l’acquisition d’équipements médicaux connectés. C’est une aide pérenne annuelle. Nous devrons veiller à ce que les établissements sanitaires et médico-sociaux soient aussi accompagnés. Je pense notamment aux EHPAD. Et nous devrons décliner ce dispositif avec les autres professions de santé, car beaucoup ont vocation à s’engager dans le déploiement de la télémédecine. Je pense évidemment d’abord aux infirmières qui interviennent au domicile des patients, notamment en perte d’autonomie. Une négociation est en cours ouverte avec les syndicats infirmiers sur plusieurs sujets. Nous leur proposerons une rémunération pour le temps nécessaire à l’accompagnement du malade pendant une téléconsultation. Nous aborderons aussi le sujet avec les pharmaciens.   Quelles sont les conditions requises, par un médecin généraliste ou un autre spécialiste, pour devenir acteur de la télémédecine ? Qu'est-ce que cette nouvelle technique risque de changer dans son quotidien ? Le cadre actuel des expérimentations était juridiquement contraignant car il fallait que le médecin signe un contrat avec l’ARS mais aussi avec les autres médecins qu’il pouvait requérir pour une téléconsultation ou une téléexpertise d’un de ses patients. Le décret va évoluer pour supprimer ces formalités. Dorénavant, ce seront des actes ordinaires, inscrits à la nomenclature et ouverts à tous les médecins, dès lors que sont respectées les deux garanties essentielles que je rappelais plus tôt : la confidentialité des données médicales échangées et les règles du parcours coordonné. Nous en avons ajouté une autre : la nécessité que le patient soit connu du médecin et que ce dernier l’ait reçu en consultation présentielle dans les 12 mois précédents. Cette règle connaîtra évidemment des dérogations, notamment pour les patients sans médecin traitant, mais il nous a semblé essentiel de la poser. Nous voulons tous qu’après tant d’années de tâtonnements, la télémédecine se développe enfin, car elle répond à de vrais besoins de santé pour éviter des déplacements inutiles ou accélérer la réponse médicale quand cela est possible. La télémédecine va donc  apporter un vrai « plus » pour notre système de santé mais cela ne doit pas nous faire perdre de vue un point essentiel : la médecine, c’est une relation directe, un contact humain, une confiance qui s’établit entre un soignant et un patient. Le cadre conventionnel que nous avons posé veille à cet équilibre.  

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