L’annonce par le gouvernement d’un possible regroupement de tous les numéros d’urgence sanitaires et sécuritaires inquiète l’ensemble des médecins et rapproche, une fois n’est pas coutume, hospitaliers et libéraux, contre le ministère de l'Intérieur et sa police.
[Article initialement publié le 22 février 2018]
Finis les bons vieux numéros 15, 17 et 18 ? Déjà aux abonnés absents, le nouveau "116 117" pour la permanence des soins ? Pour l’instant, rien n’est encore définitivement tranché, mais l’idée d’un numéro unique fait son chemin. C’est, en tous cas, le souhait qu’a exprimé le président de la République, en octobre dernier à l’Elysée, au décours d’un discours de remerciements aux forces mobilisées sur les feux de forêts et les ouragans.
"Nous n'avions pas saisi tout le potentiel"
"Ce quinquennat doit être l’occasion de mettre en place des plateformes uniques de réception des appels d’urgence" a dit Emmanuel Macron, citant les exemples du 911 aux États-Unis ou du 112 dans l’Union européenne créé en 2000 et pleinement utilisé en Espagne, au Portugal, au Luxembourg, en Finlande et en Suède. "Nous n'avions pas alors saisi tout le potentiel et l'opportunité offerte par cette réforme, a regretté le chef de l’État. Nous avons besoin d'avoir une plateforme commune de réception des appels beaucoup plus simple - des innovations ont été faites sur certains territoires, des centres communs ont émergé dans une quinzaine de départements, je souhaite que nous puissions aller plus loin". En France, le 112 fonctionne et renvoie majoritairement chez les pompiers. Mais les appels restent rares, le numéro étant surtout composé par des Européens en voyage. Quelques jours après ces déclarations d’Emmanuel Macron, le ministre de l’Intérieur en a remis une couche lors du congrès annuel de la Fédération nationale des sapeurs-pompiers de France à Ajaccio. "Nous ne pouvons plus nous permettre d’avoir en France cinq numéros d’appel (15, 17, 18, 112 et 115) quand chez nos voisins, il n’en existe qu’un seul, a martelé Gérard Collomb. Je souhaite donc qu’à horizon de cinq ans, nous puissions avancer vers un numéro unique, ce qui, pour nos concitoyens sera gage de simplicité, et pour les services de secours, gage d’efficacité". Selon le ministre, les systèmes d’information et d’alerte sont trop disparates selon les départements. Et cette situation est coûteuse : plusieurs dizaines de millions d’euros par an.
"Chacun chez soi"
Interrogée, la direction générale de l’offre de soins (DGOS) du ministère de la santé s’est bornée à répondre que la question s’inscrit dans le cadre de travaux lancés depuis la fin de l’année 2017 avec les représentants des médecins urgentistes. Par ailleurs, une mission conjointe de l’inspection générale des affaires sociales (Igas) et de l’inspection générale de l’administration (Iga) dépendante de la place Beauvau se penche actuellement sur la question du référentiel entre les SAMU et les SDIS (service départemental d’incendie et de secours), "organisant le secours à la personne et l’aide médicale urgente, avec notamment la question d’un projet de numéro et de plateforme uniques de recueil des appels". Dans une lettre de saisine commune du 5 janvier, qu"Egora s’est procurée, Agnès Buzyn et Gérard Collomb demandent à leurs deux inspections d’établir "un état des lieux précis de la coordination entre les acteurs sanitaires et les services d’incendie et de secours" et de formuler "des recommandations". Ainsi, elles devront décrire plusieurs scénarios "dans lesquels peuvent se mettre en place des plateformes communes de réception des appels d’urgences, en partant du besoin des usagers et en tenant compte du champ de compétence et des spécificités des métiers de chaque service implique aujourd’hui dans le traitement des appels". Les premières conclusions sont attendues dès la fin du mois de mars. Dans l’intervalle, les "blancs" du Samu, les "rouges" des pompiers, voire les "bleus" de la police veillent au grain. Du côté du Samu-Urgences de France, on défend toujours le "chacun chez soi (…) Notre position est qu’on peut discuter d’une simplification des numéros d’appels mais cela ne veut pas dire n’en avoir plus qu’un seul, résume son président, le Dr François Braun. Nous ne sommes pas favorables à une plateforme commune avec les sapeurs-pompiers et la police car la santé est un domaine beaucoup plus vaste. En revanche, on pourrait promouvoir une plateforme de régulation médicale qui regrouperait l’aide médicale urgente, la permanence des soins, la réponse toxicologique d’urgences apportée par les centres antipoison, voire la centralisation des sujets liés à la télémédecine".
"La bonne volonté des personnes"
Selon un rapport d’information sénatoriale sur l’évolution de l’activité des SDIS en matière de secours à la personne rendu public en octobre 2016, seulement 20 départements disposent d’un centre commun au numéro d’appels 15 et 18. "Trop souvent cependant, cette coopération repose sur la bonne volonté des personnes, tant du côté du Samu que des SDIS qui conduisent un travail aussi remarquable qu’opiniâtre, dépassant les pesanteurs de leurs administrations respectives", notaient les rapporteurs, le communiste Pierre-Yves Collombat et la LR Catherine Troendlé. Ainsi, par exemple, le centre de traitement de régulation de l’alerte (CETRA) de Tours, créé en 2007, est implanté au CHRU Trousseau. Le décroché y est unique pour les appels au 15 ou au 18 voire au 112. Les 21 opérateurs des deux entités répondent indifféremment aux deux numéros. A noter que sont également présents sur cette plateforme une permanence des ambulanciers et un médecin régulateur libéral pour la permanence des soins. "Le minimum serait qu’il y ait déjà une interconnexion des appels entre le Samu et le SDIS avant d’essayer ensuite d’établir des plateformes communes, plaide Pierre-Yves Collombat. Le constat que nous avons également fait est que dans certaines zones, notamment rurales, ce sont essentiellement les pompiers qui interviennent". De fait, il existe 6897 centres de secours du SDIS pour 463 points SMUR. Il y a une dizaine de mois, Samu-Urgences de France a commandé un audit de ces plateformes communes existantes, par une société indépendante. Les résultats sont attendus début mars. "Il faut mesurer le rapport bénéfice/risque de ce type d’organisation, poursuit son président. En revanche, ce qui nous paraît évidemment très pertinent est qu’il y ait partout une interconnexion informatique entre les différentes plateformes du Samu et des pompiers".
"Les médecins sont favorables à un rapprochement"
Une position partagée par le Dr Christophe Prudhomme, porte-parole de l’Association des médecins urgentistes de France (Amuf) et urgentiste au Samu de Bobigny. "Les médecins sont favorables à un rapprochement et une meilleure coordination avec les pompiers mais pas forcément à un numéro d’appel unique, dit-il. En revanche, ils sont fermement opposés à la volonté du ministère de l’intérieur d’avoir un numéro unique pour tout". Si le numéro unique fonctionne dans les pays anglo-saxons, explique-il, c’est parce que les secours pratiquent le "scoop and run", c’est-à-dire ramasser la victime et la conduire le plus rapidement possible à l’hôpital. Tout l’inverse de la culture française de l’urgence. "Le centre 15 permet de trier, de donner des conseils éventuellement et d’envoyer dse véhicules de réanimation avec un médecin quand c’est nécessaire, rappelle le Dr Prudhomme. C’est un système qui a fait ses preuves notamment pour la prise en charge de l’urgence cardiaque et vasculaire. Le plus important pour nous aujourd’hui est d’avoir des moyens en personnels suffisants afin de répondre rapidement aux appels. Le standard de qualité pour un appel d’urgence est un décroché dans les 20 secondes". Dernière crainte de cet urgentiste de Seine-Saint-Denis : la préservation du secret médical en cas de plateforme commune avec la police. "La police c’est la sécurité publique cela n’a rien à voir avec le secours à personne, nous sommes contre le mélange des genres" dit-il. On ne sait pas encore si ministre de la santé saura faire comprendre cette particularité à son collègue de l’intérieur.
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