La plateforme DeuxiemeAvis.fr a été lancée à la fin de l'année 2015.
"Avoir l'avis d'un grand ponte de la médecine en 7 jours, ça n'a pas de prix" : le pari réussi de Deuxième avis
"Médecine à deux vitesses", "désorganisation du parcours de soins"… A son lancement, à la fin de l'année 2015, DeuxiemeAvis.fr avait fait polémique au sein de la communauté médicale. Malgré les controverses, la plateforme, spécialisée dans la validation de diagnostic ou de traitement, a fait son nid dans le paysage sanitaire. Désormais pris en charge par bon nombre de complémentaires santé, le nombre de "deuxièmes avis" rendus a été multiplié par deux l'an dernier. Et quelque 350 médecins, experts reconnus dans leur domaine, y collaborent.
La plateforme DeuxiemeAvis.fr a été lancée à la fin de l'année 2015.
Environ une fois par semaine, le Pr Jérôme Allain, chirurgien orthopédiste à la clinique Geoffroy Saint-Hilaire (groupe Ramsay), se prête à un exercice particulier. Confortablement installé chez lui ou dans le calme de son bureau, à la fin de sa journée de bloc ou de consultations, le médecin se penche sur le cas d'un patient… qu'il n'a jamais vu. Passant au crible les réponses de ce dernier à un questionnaire pointu, décortiquant la masse de comptes-rendus et d'examens d'imagerie qui retracent l'historique de sa pathologie, le chirurgien, spécialiste du rachis, a pour mission de rendre un deuxième avis : le diagnostic posé par son confrère est-il le bon ? La prise en charge proposée est-elle bien la plus indiquée ? "Ça fait plus de cinq ans que je fais ça", témoigne Jérôme Allain. "Sur le rachis, je devais être l'un des premiers médecins référencés par Deuxième avis", se souvient-il. Ancien président de la Société française du rachis et ancien président de l'Institut parisien du rachis, Jérôme Allain a été référencé sur la base de son parcours et de son expérience par le conseil scientifique de la plateforme.
Sur Deuxième avis, ils sont ainsi 350 médecins, "connus, reconnus nationalement voire internationalement", "qui font de la recherche, publient et qui exercent dans la pathologie pour laquelle ils se déclarent référents", à répondre chaque jour aux demandes déposées directement par les patients, précise Amandine Gailly, directrice innovation de la société, rencontrée au Congrès du Collège de médecine générale. La promesse de la plateforme : accéder à un deuxième avis d'expert en moins de 7 jours. "On tient ce délai, on est en moyenne à 5,4 jours", met en avant Amandine Gailly. "L'ADN de Deuxième avis, depuis le départ, c'est vraiment rendre l'expertise accessible à tous, quels que soient le niveau social et le lieu d'habitation", insiste cette dernière, balayant les critiques d'une "médecine à deux vitesses" que la plateforme a essuyées à son lancement.
L'activité de l'entreprise, qui emploie une vingtaine de personnes, est en forte croissance, souligne-t-elle. Quelque 16 000 avis ont été rendus depuis 2021 et leur nombre a été "multiplié par deux l'an dernier". La clé du succès ? Les partenariats noués avec "plus de 80 complémentaires santé ou instituts de prévoyance", qui ont inclus le service - facturé 295 euros à son lancement* - dans le contrat de base de leurs adhérents. 28 millions de personnes y ont ainsi accès "gratuitement" et directement, sans devis nécessaire ou avance de frais. "Quand on voit les délais d'accès aux spécialistes en France, pour nous ce service est hyper important", insiste Camille Mosse, directrice technique et offre chez Mercer, qui le propose depuis début 2023. "Quand on a une maladie grave, on ne peut pas se dire qu'on s'en reparle dans 6 mois. Cette solution-là permet d'avoir un retour d'un ponte en 7 jours, ça n'a pas de prix", souligne la représentante de ce courtier gestionnaire. Pour un organisme complémentaire, le coût du service est relativement minime, en comparaison de la masse des dépenses de soins remboursées, ajoute-t-elle.
"On ne refuse jamais une prise en charge"
Et quand une demande est déposée par un patient dont la mutuelle ne prend pas en charge le service, la plateforme lui "propose" à titre exceptionnel de verser un "don" à la hauteur de ses moyens, "sans aucune obligation". Il faut en effet rémunérer l'expert, qui perçoit 120 euros par avis rendu, quelle que soit son expérience ou sa spécialité – une somme qui n'a pas évolué depuis le démarrage.
Au contraire d'une plateforme de télémédecine lambda, Deuxième avis n'est pas destiné au tout venant. "Il faut avoir un premier diagnostic de maladie rare, grave ou invalidante", explique Amandine Gailly. Les trois grands domaines d'expertises sont ainsi les cancers et tumeurs, la gynécologie, l'orthopédie et la rhumatologie ; 750 pathologies, au total, sont couvertes par les experts. "On n'est pas dans le petit rhume du quotidien, résume Camille Mosse, qui note un taux de recours de 1/1000 chez Mercer. Mais ce sont quand même des pathologies qui vont concerner de plus en plus de monde, comme l'endométriose." Le nombre d'avis rendus sur l'endométriose a d'ailleurs doublé, entre 2021 et 2023, à mesure que cette pathologie sort de l'ombre.
Pour Deuxième avis, c'est l'exemple même d'une maladie "pour lesquelles il y a vraiment besoin d'être spécialisé" et pour laquelle l'accès à un avis d'expert permet de raccourcir l'errance diagnostique - mesurée à 7 ans en moyenne il y a quelques années.
75% d'avis "concordants" avec ceux posés initialement
De son côté, dans "neuf cas sur dix", Jérôme Allain est sollicité sur des cas relatifs au rachis, "son activité princeps". "Je rends quelques avis sur la chirurgie de la hanche ou du genou, mais c'est vraiment plus rare." Plus rare, car moins sujet à débat. "Quand vous avez une arthrose de la hanche, pour faire simple, vous faites une prothèse de hanche, illustre-t-il. Il n'y a pas trop de discussions, tout le monde est d'accord. Après ce sont simplement des querelles de chapelle : 'je passe par la voie latérale', 'je passe par la voie antérieure', 'je mets une prothèse en céramique'… Alors que dans la pathologie de la colonne, il y a beaucoup d'options possibles, beaucoup de traitements possibles, c'est beaucoup plus ouvert."
Pour autant, dans 75% des cas, les avis rendus par l'expert sont "concordants" avec ceux posés initialement par leurs confrères - une moyenne conforme aux statistiques de la plateforme. "Pour le patient, l'avantage c'est d'avoir l'avis de quelqu'un qui ne va pas chercher à recruter des patients car on ne les prend pas en charge. Il n'y a pas de clientélisme dans cette affaire", relève le médecin. Cet "œil neuf" et "neutre" peut les aider à sauter le pas en cas de doute, considère Jérôme Allain. "Il n'y a pas longtemps, j'ai été confronté au cas d'un patient qui avait une compression de la moelle épinière, se souvient-il. Un chirurgien était prêt à l'opérer deux jours après. Il a pris peur, il s'est dit 'pourquoi il veut m'opérer aussi vite'. Alors que ce confrère avait raison. Je me suis dit qu'il ne fallait pas que je laisse trainer ça. Pour la première fois, après avoir rédigé mon compte-rendu, j'ai téléphoné au patient en lui disant : 'Allez vous faire opérer le plus vite possible, sinon vous allez finir tétraplégique'. Ça lui a permis de ne pas avoir des séquelles de cette compression, qui risquait d'être définitive, et d'y aller étant rassuré." "On sait que le fait d'adhérer au traitement améliore les chances de succès", insiste Amandine Gailly.
Pour les patients en "échec" de chirurgie, l'avis rendu peut permettre de mieux accepter et comprendre la situation, relève encore l'expert. Ces patients "peuvent penser qu'il y a eu un problème durant l'intervention et que le chirurgien ne veut pas le dire, par peur d'une plainte", poursuit Jérôme Allain. "Nous, on arrive derrière pour rassurer, dans la plupart des cas, sur ce qu'il s'est passé, leur redire que malheureusement, la chirurgie ce n'est pas 100% de succès."
Et en cas d'avis divergents ? "Si le traitement proposé était une chirurgie, ce sont des dépenses évitées", insiste la représentante de Deuxième avis. Une économie non négligeable pour l'Assurance maladie et les complémentaires santé, notamment dans le cas de l'endométriose (voir encadré).
Jérôme Allain, quant à lui, n'a "aucun problème" à dire qu'il n'est pas d'accord avec un confère. Pour les chirurgies "fonctionnelles", qui visent à améliorer la qualité de vie, "il y a toujours une balance entre un bénéfice d'un côté et des risques de l'autre ; c'est difficile pour nous d'être formel, même en consultation", argumente-t-il en avant. Et "comme dans toutes professions, il y a des attitudes différentes : il y a des chirurgiens qui opèrent très vite, d'autres qui opèrent très tard, des chirurgiens qui sont très inquiets, d'autres très sereins", souligne l'expert. "Ça dépend aussi de notre état d'esprit quand on voit un patient. Si vous venez d'opérer et qu'il y a eu une complication, que vous êtes malheureux pour le patient et inquiet de savoir s'il va porter plainte, quand vous arrivez à la consultation, vous n'avez plus envie d'opérer personne. On est humain.
L'esprit libéré de ces considérations, Jérôme Allain se plait à observer les pratiques de ses confrères. "Je connais la grande majorité des chirurgiens de la colonne en France et des fois je m'énerve", plaisante l'ancien président de la société savante. "Peut-être qu'un autre réagirait pareil vis-à-vis de moi…"
"Un service rendu qui valorise notre profession"
Pour le médecin, la collaboration avec Deuxième avis est "un service rendu qui valorise notre profession". Si certains dossiers sont "simples" et ne prennent qu'une quinzaine de minutes – typiquement, le cas de la hernie discale qui peut bénéficier d'une infiltration, cite Jérôme Allain – d'autres sont particulièrement complexes. "Parfois, on a des patients qui ont déjà été opérés deux ou trois fois. Quand on voit dans la partie gauche de l'écran 25 bilans radios, IRM, scanners, comptes-rendus de courrier, on sait qu'on est partis pour deux heures", témoigne le chirurgien. Dans ces conditions, "ce n'est vraiment pas intéressant financièrement parlant d'être payé 120 euros l'avis, relève-t-il. On ne fait pas ça pour l'argent… Sinon on ne serait pas très malin ! Il est clair qu'on gagnerait beaucoup plus d'argent en faisant autre chose."
"Nos médecins référents apprécient d'avoir accès à des dossiers complets, ajoute Amandine Gailly. Ces spécialistes nous expliquent que dans 30% des cas, alors qu'ils ont des délais de rendez-vous de 3 à 6 mois, les patients arrivent avec des dossiers qui ne sont pas complets, c'est très frustrant pour eux." Pour s'assurer de la "complétude des dossiers envoyés aux médecins référents, Deuxième avis a mis en place un "service patient, composé d'infirmières, d'un médecin généraliste et d'une patiente-experte". "On a 750 pathologies, on a quasiment 750 questionnaires différents, c'est assez complexe à mettre en place et à maintenir", souligne la directrice innovation.
En bout de course, un compte-rendu est systématiquement remis au patient à destination de "l'équipe médicale traitante", insiste Amandine Gailly, qui assure que Deuxième avis s'est montré attentif, dès le départ, à ne pas désorganiser le parcours de soins. "Mon rôle aujourd'hui est de faire en sorte que l'équipe traitante soit à l'origine des demandes, d'où notre présence sur les salons, pour nous faire connaître d'eux", afin qu'ils deviennent "des médecins orienteurs". Deuxième avis n'a pas fini de tisser sa toile.
Un deuxième avis rendu sur l'endométriose ferait économiser 2170 euros
En France, 10% des femmes seraient atteintes d'endométriose, d'après le ministère de la Santé. Alors que les premières recommandations de la HAS ne datent que de 2017 et que la maladie n'a été intégrée au cursus des étudiants en médecine qu'en 2020, l'errance diagnostique reste importante… et coûteuse. Entre les soins, les traitements et les recours massifs à la FIV, ce retard coûterait plus de 750 millions d'euros par an à la société française. C'est dans ce contexte que Deuxième avis a commandé en 2021 une étude médico-économique à Kamedis Conseils, visant à calculer les coûts évités par un avis validant un diagnostic ou un traitement d'endométriose.
En 2019 et 2020, 279 avis concernant l'endométriose ont été rendus par les médecins référents de la plateforme ; 85% des demandes étaient initialement orientées vers un traitement chirurgical, lourd, coûteux et que les experts réservent aux cas les plus sévères. 65% des deuxièmes avis rendus ont divergé avec le premier. Les experts ont orienté les patientes vers une prise en charge de la douleur dans 19,2% des cas et vers des traitements hormonaux en continu dans 32,6% des cas. Se basant sur les coûts associés à ces divers traitements, l'étude démontre qu'un deuxième avis permet d'éviter en moyenne 3330 euros de dépenses (2660 euros pour l'Assurance maladie obligatoire, 670 euros pour la complémentaire) par patiente réorientée et 2170 euros, quel que soit l'avis, convergent ou divergent. A noter que la connaissance sur la maladie progresse, le taux de divergence se réduit : 46% en 2021 et 24% en 2023.
*Les complémentaires santé qui incluent le service paient aujourd'hui un montant annuel en fonction du nombre de personnes qu'elles protègent.
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