"Lorsque j'étais remplaçant, j'ai remarqué qu'il y avait beaucoup de consultations qui étaient gérées par téléphone et par mail, et d'ordonnances qui étaient laissées sur un coin de table dans la salle d'attente ou envoyées par courrier", raconte le Dr Jean Tafazzoli, médecin généraliste dans la région lyonnaise. Ces "consultations de couloir", gérées sans cadre légal et sans sécurisation, constituent le quotidien des professionnels de santé, les empêchant d'optimiser leur temps de travail et, de fait, de garantir la sécurité des échanges aux patients. D'après une enquête de l’URPS Île-de-France de juin 2015 et incluant 2 822 médecins, 54 % des médecins disent conseiller en moyenne quatre patients par jour par téléphone. "Il fallait trouver une solution de communication sécurisée avec le patient, et qui, idéalement, apporte au médecin toute la latitude qu'il a dans un cabinet, c'est-à-dire de pouvoir échanger avec la patient en visioconférence et l'examiner à distance, lui transmettre une ordonnance, envoyer des documents à tête reposée", explique le médecin. Alors, en mai dernier, le Dr Tafazzoli a décidé de lancer MaQuestionMédicale, sa propre plateforme de télémédecine, avec 130 médecins pour actionnaires. Et après six mois de test, la start-up compte déjà plus de 10 000 inscrits et plus de 250 médecins utilisant quotidiennement l'outil.
À la fin de l'année, le site subira également un changement d'interface qui lui permettra de proposer de nouvelles fonctionnalités, comme l'aide à la prescription et la télétransmission. "Vu notre avancée technologique et les retours des médecins, on espère pouvoir devenir le leader sur le marché", confie le fondateur, loin d'être effrayé par les géants déjà bien présents. Qare, Livi, MedecinDirect… de nombreux acteurs commerciaux se sont...
en effet engouffrés dans la brèche ces dernières années. Plus récemment, en janvier 2019, Doctolib, leader de la prise de rendez-vous médicaux, a également lancé son service de téléconsultation à distance. Mais pas question pour le Dr Tafazzoli d'entrer dans "une logique commerciale". "Nous voulons seulement que ce soit une extension du cabinet, que ça permette d'augmenter l'efficience de la permanence de soin", assure-t-il, conscient que de nombreux médecins sont sceptiques vis-à-vis de ce type d'initiatives. "La rogne" des professionnels Les réticences, Jean Tafazzoli les entend et les comprend. Avant de se lancer dans la création de sa plateforme, lui-même portait un regard critique sur les différentes offres disponibles sur le marché. Financement par des mutuelles et assurances, données des patients sauvegardées sur le serveur de la société, médecins absents du processus, le mode de fonctionnement de ces plateformes ne convainc pas l'ensemble des médecins français. Surtout, "cela ne répond pas aux réalités du métier". "Jusqu'ici, que ce soit au niveau technique ou déontologique, on a présenté n'importe quoi aux médecins", estime-t-il.
"Est-ce que mes patients ont conscience que quand ils viennent nous voir trois fois en un mois, un célèbre agenda en ligne sait qu'ils sont venus nous voir trois fois en un mois ? s'interroge le praticien. Je ne suis pas sûr qu'ils fassent attention." C'est pour cette raison que le médecin généraliste a décidé de...
replacer les médecins au centre de la chaîne, tout en apportant des garanties aux patients. "Les données des utilisateurs ne sont pas sauvegardées. Une fois la téléconsultation terminée, elle est détruite, assure-t-il. Le médecin peut soit exporter les données vers sa machine ou vers son espace sécurisé." Et pour garantir l'indépendance médicale, le fondateur ne compte pas s'arrêter là. "La plateforme qui se démarquera sera celle qui obtiendra l'aval de tous les soignants", assure le généraliste, convaincu. En 2020, il espère ainsi intégrer d'autres professionnels de santé dans sa structure, comme les pharmaciens. Ils bénéficieront d'un kit à moins de 1500 euros, remboursé intégralement par le forfait CPAM, grâce auquel ils pourront réaliser des téléconsultations. Et le concept semble séduire puisque MaQuestionMédicale vient de rejoindre le biopôle de Lyon, un pôle de compétitivité à rayonnement international. "L'État devrait arrêter son double discours" Pourtant, si la téléconsultation commence à trouver ses adeptes, notamment grâce à un cadre légal mieux défini, elle peine encore à s'imposer comme un réflexe, tant pour les patients que pour les professionnels de santé. Pour Jean Tafazzoli, le problème est avant tout générationnel. "Les jeunes médecins jusqu'à 40-50 ans sont davantage demandeurs de fonctionnalités de télémédecine, constate le praticien. Mais certains services proposés par l'État sont les mêmes qu'il y a trente ans, avec des technologies qui n'ont pas évolué." Le président de MaQuestionMédicale estime que "l'État devrait arrêter son double discours : promouvoir la télémédecine tout en limitant les actes possibles". Il vise notamment le processus de télé-expertise, qui permet à un médecin de solliciter l'avis d'un confrère. Selon la règle en vigueur, le médecin requis ne peut réaliser que 4 actes de télé-expertise de niveau 1 par an pour un même patient, et deux pour les télé-expertises de niveau 2.
Le patient n'a pas besoin d'avancer les frais puisque la plateforme propose depuis mai 2019 la téléconsultation en tiers payant généralisé. Le site génère une feuille de soin papier pré-remplie, ainsi qu'une facture mutuelle. D'ici plusieurs semaines, le système va se moderniser avec, par exemple, la création d'un porte-monnaie pour les médecins.
Comme la plateforme est en phase test, les praticiens peuvent, pour le moment, utiliser le site gratuitement. Mais le modèle économique reposera à terme sur les consultations. En 2020, le site prélèvera un pourcentage de 3% sur le prix des consultations, dégressif et plafonné.
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