L’absinthe a été créée à la fin du 18ème siècle par un médecin qui s’était exilé en Suisse. La recette de cette boisson a été vendue en 1798 à Henri-Louis Pernod qui développa alors sa première fabrique à Couvet. Cependant, compte tenu du succès de cette production, une délocalisation en France de l’unité de production devint effective en 1805. Très vite, l’absinthe fut la boisson à la mode parmi les artistes et les gens de la haute société. Ainsi, certains peintres et écrivains célèbres ont fait part de leur consommation parfois effrénée d’absinthe. Toulouse Lautrec, par exemple, avait l’habitude de dissimuler dans le pommeau de sa canne une fiole contenant ce breuvage. Par ailleurs ce dernier avait conçu un cocktail associant l’absinthe et le cognac : « le tremblement de terre ». En 1868, le Dr Magnan constate que l’absinthe induit, outre les réactions classiques en rapport avec une alcoolisation, des cas de comitialité. Cet élément a très progressivement alerté la communauté scientifique. A partir des années 1870, l’absinthe quitta les salons chics parisiens, et se démocratisa ; phénomène favorisé par les succès économiques induits par la révolution industrielle. De ce fait, toutes les couches sociales ont pu consommer aux terrasses des bars de l’absinthe ; boisson qui a remplacé la production viticole environnante. En 1906, compte tenu du fléau induit par un alcoolisme massif des masses populaires, la ligue contre l’alcoolisme décida de faire la guerre à l’absinthe. Très à l’écoute du peuple, Clémenceau diligenta une étude dans les asiles d’aliénés pour évaluer les ravages induits par l’absinthe ; enquête qui ne sera pas très contributive. En parallèle, une substance contenue dans l’absinthe a été identifiée, et reconnue comme étant à l’origine de l’altération des facultés mentales chez les consommateurs : la thuyone. Dès lors, le 7 janvier 1915, l’absinthe disparaît des débits de boisson du fait d’une interdiction de commercialisation.
La thuyone est une substance qui peut induire des hallucinations, et des problèmes de troubles de comportement en donnant des effets comparables au THC (tétrahydrocannabinol). Lorsque la consommation de thuyone est importante, une forme isomérique de cette entité (l’alpha) peut favoriser le développement de convulsions car...
elle se fixe sur des récepteurs cérébraux. Or, cette toxicité cérébrale dépend de la quantité de thuyone contenue dans la boisson consommée. Les détracteurs de l’absinthe mettaient en avant une quantité de 250 mg/l dans les breuvages commercialisés. En réalité en 2002, Ian Hutton a effectué des analyses sur des bouteilles de cette époque, et la concentration en thuyone était bien plus faible (6mg/l) ; concentration qui ne pouvait pas avoir de réels impacts sur le cerveau. En fait, il est important de se replacer à cette époque de grands changements économiques. Comme nous avons pu le dire précédemment, la révolution industrielle a permis à toutes les couches sociales d’avoir les moyens de s’alcooliser. Ainsi l’alcool est le fléau qui sévit à la fin du 19ème siècle. La consommation d’alcool était en 1874 de 7000 hl, et en 1900 elle a grimpé de manière prodigieuse en atteignant les 36 000 hl. Néanmoins, parmi les boissons alcoolisées, 72% de ces boissons concernaient le vin de table, et 28% les autres formes d’alcool ; l’absinthe ne représentant que 3% de cette consommation.
En fait, la popularité de l’absinthe a été à l’origine de sa perte. En effet, des contestations naquirent parmi les viticulteurs qui ont vu, du fait du succès de cet alcool industriel, une mévente de leur production. L’absinthe est donc très rapidement devenue un bouc émissaire dans ce combat. Compte tenu de ces éléments, des études ont été effectuées dans le milieu psychiatrique pour conforter cette idée. En fait, pour contenter le pouvoir politique, les aliénistes mirent en avant la responsabilité de l’absinthe dans 20% des cas. Or les chiffres donnés étaient une base très...
subjective, et ne reflétaient pas la réalité observée. En parallèle, la responsabilité de l’absinthe a été mise en avant dans les problèmes de violences conjugales, l’augmentation du nombre de viols, et l’ascension fulgurante du nombre d’affaires criminelles. Or aucune base scientifique et statistique n’avait permis d’étayer ces propos. Tous ces éléments contradictoires pour la plupart ont conduit Raymond Poincaré à interdire cette consommation le 7 janvier 1915. Cependant, cette interdiction ne fut pas salutaire sur l’alcoolisme, et très rapidement de nouveau breuvages à base d’anis furent commercialisés en compensation ; boissons produites par Pernod-Ricard.
Le 2 novembre 1988 un décret promulgué par Michel Rocard permet de nouveau la commercialisation de l’absinthe. La concentration en thuyone est fixée par une directive européenne à 35 mg/l. L’absinthe a donc été sacrifiée pour permettre de répondre aux attentes d’une frange de la population, mais aussi pour lutter contre un fléau qui sévissait à l’époque : l’alcoolisme. De nos jours l’absinthe est disponible, et elle n’est plus aussi décriée qu’à cette époque, mais son heure de gloire est révolue.
Bibliographie: 1/ Delahaye MC. Gradeur et décadence de la fée verte. Histoire Economie et Société 1988 ; 7 (4) : 475-484.
Auteurs: 1/ FRANCES Pierre médecin généraliste 1 rue Saint Jean Baptiste 66650 Banyuls sur mer. 2/ REGNAULT Arthur interne en médecine générale 67000 Strasbourg
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