Depuis 1869, cette île de 50 hectares à l'est du Bronx, sert de tombe aux pauvres et aux indigents, y compris des centaines de milliers d'enfants, mais aussi à de nombreux malades du sida morts au début de l'épidémie dans les années 80, à une époque où ils étaient souvent rejetés par leurs proches ou refusés par d'autres cimetières. Quelque 1 200 personnes sont encore enterrées à Hart Island chaque année, la plupart du temps par des prisonniers amenés depuis la prison de Rikers Island toute proche, moyennant une rémunération limitée à un dollar de l'heure. Car l'île était jusqu'ici gérée par la direction des prisons new-yorkaises, qui n'autorisait les visites qu'au compte-gouttes, et seulement depuis 2007 : c'est à compter de cette date que les proches des personnes inhumées sur l'île ont pu s'y rendre, même si elles ne pouvaient observer les tombes que de loin. Après une plainte au civil, leurs droits à des visites plus régulières avaient été reconnus en 2015. Mais ils restaient dépendants d'un calendrier fixé arbitrairement par la direction des prisons, limité à deux jours de visites par mois. Le public, lui, était banni. Seuls les journalistes pouvaient participer à des visites organisées sous étroite surveillance, deux fois par an. Elaine Joseph, infirmière retraitée de 65 ans, fait partie de ceux qui se battaient pour se rendre librement sur cette île où est enterrée sa fille, morte en janvier 1978 à l'hôpital, quelques jours seulement après sa naissance prématurée. Son bébé est décédé en pleine tempête de neige : coincée chez elle...
faute de transports, Mme Joseph n'a su qu'une semaine après que l'hôpital l'avait fait enterrer sur Hart Island, dont elle ignorait alors l'existence. "Je ne veux pas qu'on me dise à quels moments j'ai le droit de me rendre sur la tombe de mon bébé, je veux pouvoir y aller quand je veux", explique cette infirmière retraitée. La décision entérinée mercredi par le maire de New York Bill de Blasio est pour elle, comme pour beaucoup d'autres, une grande victoire : elle transfère la gestion de Hart Island à la direction des parcs new-yorkais, et prévoit l'ouverture de l'île au public et des ferries réguliers pour la desservir, dans des conditions qui restent à préciser d'ici 2021. "C'est une étape majeure dans le combat pour faire de Hart Island un cimetière digne [...] et alléger le fardeau de ceux qui veulent rendre hommage à leurs proches", s'est félicité le président du conseil municipal Corey Johnson. Le texte devrait permettre de "lever les stigmates liés aux enterrements municipaux", s'est aussi réjouie Melinda Hunt, qui se bat depuis 30 ans pour rendre le cimetière plus accessible. "Diversité new-yorkaise" À partir de 2021, Elaine Joseph et tous ceux qui le souhaitent devraient donc pouvoir se rendre régulièrement, comme dans tout parc public, sur cette île peuplée de biches et d'oies en liberté, où viennent nicher les balbuzards ou se prélasser les phoques. Ils y trouveront de petits marqueurs blancs, indicateurs de fosses communes renfermant chacune les dépouilles soit de 150 adultes, aux cercueils empilés trois par trois, soit de 1.000 enfants, empilés cinq par cinq. Les cercueils sont généralement anonymes, désignés uniquement par des numéros. Il n'y a aucune pierre tombale. Parmi les morts de Hart Island, on trouve toutes sortes de nationalités, y compris des Chinois, des Nigérians ou des Népalais, a expliqué à l'AFP le chapelain Justin von Bujdoss, qui guidait récemment quelques journalistes sur les lieux. "Hart Island représente un échantillon de la diversité new-yorkaise, et en cela elle mérite vraiment d'être considérée comme une terre sacrée", dit-il. Chaque année, 40 à 50 cercueils sont exhumés - parfois 15 ans après avoir été enterrés - lorsque des parents retrouvent les traces d'un proche et font transférer sa dépouille ailleurs. L'histoire de l'île est riche : elle fut camp de prisonniers pour les confédérés pendant la guerre de Sécession, asile psychiatrique, sanatorium pour tuberculeux, prison pour adolescents, et même base de missiles pendant la Guerre froide. Mais la plupart des bâtiments de l'île sont aujourd'hui en ruines, et il faudra beaucoup d'argent pour les restaurer. L'érosion, aggravée par l'ouragan Sandy qui frappa New York en 2012, a aussi abîmé les rives et déterré certains ossements, au nord de l'île, nécessitant l'intervention d'archéologues, en attendant un projet de fortification des côtes en cours. Elaine Joseph espère que le renouveau promis de l'île lui permettra de faire enfin apposer une plaque portant le nom de son bébé, Tomika, sa date de naissance, et quelques mots d'hommage. "Je voudrais que ce soit comme n'importe quel cimetière", dit-elle.
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