Alors que la Cnam a déjà enregistré plus de 100.000 demandes d'indemnisation des médecins pour perte d'activité, la situation reste compliquée pour les professionnels de santé, qu'ils soient généralistes ou spécialistes. La forte baisse d'activité liée au confinement a laissé des traces que les soignants exercent en zone verte ou rouge. Depuis le 11 mai, Doctolib a enregistré 5,9 millions de prises de rendez-vous, soit 44% de plus que la semaine du 4 mai. "Une grosse reprise" d'abord due à "un gros effet rattrapage", explique Stanislas Niox-Chateau, président de Doctolib, précisant que 20% de ces rendez-vous "avaient été annulés pendant le confinement". "Pendant le confinement, nous avons enregistré une très grosse baisse d'activité. Les patients pensaient que nous étions débordés. Ils ne voulaient pas nous déranger. Certains ont même arrêté leurs traitements", témoigne le Dr Alice Perrain, généraliste en maison de santé. "Aujourd'hui c'est d'autant plus compliqué. Les patients n'imaginent pas tout le travail qu'il y a derrière la prise en charge des pathologies chroniques", explique la soignante installée en Touraine. Activité catastrophique La praticienne, qui exerce en zone verte, n'a "pratiquement pas eu d'activité" les deux premières semaines du confinement. Les consultations sont reparties à la hausse après le discours du Président Macron, le 13 avril dernier lors duquel le chef d'État a enjoint les Français à continuer à se soigner.
Même constat, en zone rouge, chez le Dr Jean-Claude Soulary. Chez ce généraliste du Nord, installé près de Douai, les deux premières semaines du confinement ont été catastrophiques. "Moi qui voyais environ 25 patients par jour, j'ai vu l'activité plonger à 4 ou 5 patients", constate le généraliste qui a profité...
du creux des premiers jours pour mettre en place la téléconsultation. Mais deux semaines après le 15 mars, alors que l'activité n'avait toujours pas repris, le médecin de famille s'est inquiété pour ses malades. "J'ai appelé mes patients pour faire le point", raconte le Jean-Claude Soulary. Pour le praticien la reprise s'est faite lors de la dernière semaine de confinement, à un rythme d'environ 15 à 20 patients par jour. "Les patients ont eu envie de nous revoir et de revenir", constate le généraliste qui a constaté un changement du côté de ses patients. "Pour les petites pathologies, ils attendent un peu plus avant de consulter, ce qui n'était pas le cas avant. Nous verrons à l'avenir si cette tendance se poursuit", observe-t-il.
"Trésors d'inventivité" En pratique, la crise du Covid-19 a laissé des traces dans la gestion quotidienne des cabinets médicaux. "Les médecins ont utilisé des trésors d'inventivité pour faire face", s'enthousiasme le président de la CSMF, Jean-Paul Ortiz. A l'image d'Alice Perrain qui a condamné sa salle d'attente pour la dédier aux malades avec de la fièvre ou des syndromes infectieux. "Cela permet de ne pas risquer de contaminer nos cabinets. Les patients attendent désormais dans leur voiture ou dehors", explique la généraliste. C'est la secrétaire du cabinet qui est en charge de faire le tri en posant des questions aux patients par téléphone et en redirigeant certaines visites vers de la téléconsultation. Ainsi, sur la semaine du 30 mars au 5 avril par exemple, près d’un million de téléconsultations été facturées par les pratciens à l’Assurance maladie. Sur l'Ile d'Oléron, le Dr Valérie Duthil, a d'emblée mis en place la téléconsultation dès les premiers jours du confinement. Elle a ainsi pu conserver 70 à 80 % de son activité...
et a poursuivi certains actes en présentiel, notamment la vaccination des bébés. "Nous nous sommes arrangés pour alterner consultation et téléconsultation pour faire en sorte que les patients ne se croisent pas", indique la praticienne. "Entre chaque patient tout le matériel est désinfecté, jusqu'aux chaises des patients et l'avant du bureau sur lequel les malades posent leurs mains", ajoute-t-elle. "Zone de transition" Financièrement, la situation est trouble pour les généralistes interrogés. "Pour l'instant la tresorerie est bonne puisque nous venons de toucher les forfaits et que les prélèvements Urssaf et Carmf n'ont pas encore été prélevés. Mais ils le seront", anticipe Alice Perrain. "Nous sommes dans une zone de transition. Il faudra faire les comptes à la fin de l'année", estime-t-elle. De son côté, Valérie Duthil n'a pas encore fait les calculs de ses éventuelles pertes. Mais la généraliste, installée sur l'Ile d'Oléron redoute une saison estivale beaucoup plus calme que les années précédentes ce qui pourrait grandement impacter son activité. Dans le Nord, "l'activité ne reviendra pas à la normale avant septembre au moins", prédit Jean-Claude Soulary. Mais le généraliste relativise et rappelle un phénomène que la crise du Covid-19 aurait presque fait oublier. "Beaucoup de médecins des environs vont prendre leur retraite sans être remplacés. La baisse d'activité va vite être compensée par la chute démographique".
Si pour les généralistes, l'activité a été réduite d'en moyenne 40%, la chute a été encore plus vertigineuse pour les spécialistes. Le Dr Franck Devulder, président du syndicat Les spécialistes CSMF a enregistré une baisse d'activité de 80% dans son cabinet de groupe de gastro-entérologie qui rassemble 10 mêmes spécialistes au sein d'une clinique de Reims. Rapidement après les premiers jours de confinement, la clinique a mis en place un secteur Covid en multipliant par deux et demi les places en réanimation notamment. "Toutes les spécialités ont contribué à la gestion des patients Covid en fonction de leurs âges et de leurs facteurs de risque. Nous n'avons eu aucune reconnaissance ni rémunération pour ce travail", déplore-t-il.
Au-delà de ce manquement gouvernemental, le spécialiste est scandalisé de ne pas pouvoir soigner ses patients comme il le faudrait. Car depuis le 11 mai, l'activité repart à la hausse et les malades reviennent consulter. Mais les praticiens n'ont quasiment pas d'accès au bloc ni au secteur de l'endoscopie digestive. "On ne nous propose que la moitié des capacités d'intervention pendant au moins 4 à 6 semaines. Cela pose un vrai problème de perte de chance. Cela me met dans une colère énorme", s'indigne le gastro-entérologue. "Je n'ai jamais voulu déranger le ministre de la Santé depuis qu'il est en poste mais là je lui ai envoyé un message pour l'avertir de ce qui est en train de se passer. C'est une bombe absolue. Nous sommes aux portes d'un scandale sanitaire sans précédent. Tous les blocs ont été déprogrammés. On est clairement en train d'empêcher de soigner nos patients qui ont besoin de mettre un pied dans un bloc", martèle-t-il. "Dans plusieurs régions, des cadres de santé des ARS sont chargés de valider ou non les interventions", rapporte Franck Devulder.
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