Colchicine : nouveau traitement du post-infarctus ?

06/02/2020 Par Corinne Tutin
Cardio-vasculaire HTA
Les 30es Journées européennes de la Société française de cardiologie, qui se sont déroulées à Paris du 15 au 18 janvier 2020, ont fait le point sur l’actualité diagnostique et thérapeutique dans les coronaropathies, l’insuffisance cardiaque, le risque lipidique. Une session phare du congrès a fait le point sur rôle de l’inflammation dans l’infarctus du myocarde, qui est de plus en plus étudié, avec à la clé de nouvelles possibilités thérapeutiques.
 

"L’athérosclérose est au moins en partie une maladie inflammatoire et on sait que le recrutement de polynucléaires et la production d’interleukine 1 participent à la formation de la plaque d’athérome, à sa déstabilisation", explique le Pr François Roubille (CHU de Montpellier).  En 2017, le canakinumab, un anticorps monoclonal dirigé contre l’interleukine 1 bêta a d’ailleurs démontré sa capacité à réduire significativement (- 14 % en 48 mois), à la dose de 300 mg, le nombre d’événements cardiovasculaires dans l’étude Cantos qui a recruté 10.161 patients avec des antécédents d’infarctus du myocarde et un taux de CRP élevé (1). Reste que le canakinumab est à l’origine d’infections graves car il détermine des neutropénies. Une étude académique internationale, Colcot, réalisée grâce à un financement canadien, a eu l’idée d’analyser les effets d’un autre médicament ancien, bien moins coûteux, la colchicine, "qui a la propriété d’inhiber l’inflammasome, et comme le canakinumab, l’IL 1", rapporte le Pr Roubille. Cet essai a testé, en double aveugle contre placebo, la colchicine à faible dose, 0,5 mg/j, chez 4 745 patients (dont 1 100 d’une vingtaine de centres français), ayant développé un infarctus du myocarde au cours des 30 jours précédents (2). "A la différence de l’étude Cantos, les malades ne devaient pas avoir un taux de CRP élevé, dont l’interprétation est en fait délicate dans les suites d’un infarctus", estime le Pr Roubille. Les malades, dans 81 % des cas des hommes, avaient un âge moyen de 60,6 ans "mais des patients avec un âge allant jusque 80 ans puis 90 ans ont été inclus", signale ce cardiologue. Plus de la moitié d’entre eux étaient hypertendus. Les patients recevant la colchicine (n = 2 366) ou le placebo (n = 2 379) étaient globalement très bien traités (99 % de prise de statines, 93 % d’angioplastie coronaire...). Pourtant, après 22,6 mois en moyenne, les résultats, ont été nettement supérieurs sous colchicine avec une diminution de 23 % (p = 0,02) en comparaison du placebo, du critère de jugement primaire (5,5 % versus 7,1 %), un paramètre composite associant décès cardiovasculaires, arrêts cardiaques resuscités, infarctus du myocarde, AVC, et hospitalisations en urgence avec revascularisation coronaire. "Ces résultats étaient essentiellement sous-tendus par une réduction importante du nombre d’AVC (- 74 %), et des hospitalisations avec revascularisation coronaire (- 50 %)", indique le Pr Roubille, tandis que la baisse a été plus modeste pour les récidives d’infarctus (- 9 %), les décès cardiovasculaires (- 16 %), et les arrêts cardiaques resuscités (- 17 %). "Fait rassurant,...

l’effet préventif de la colchicine a aussi été relevé chez les patients qui avaient développé plusieurs infarctus." "Les courbes divergeaient rapidement entre les deux bras, ce qui suggère que la colchicine agit immédiatement."   Une bonne tolérance La colchicine a été bien tolérée, avec seulement un peu plus de nausées (1,8 %) que sous placebo (1 %, p = 0,02) et une faible augmentation non significative statistiquement des diarrhées (9,7 % contre 8,9 %, p = 0,35). "Cette bonne tolérance digestive de la colchicine pourrait être liée au fait que les excipients utilisés pour la préparation galénique différaient de ceux utilisés en France", rapporte le Pr Roubille. Globalement le taux d’effets secondaires était comparable dans les deux groupes (16 % et 15,8 %). Mais une élévation non significative des infections (2,2 % contre 1,6 %) et un accroissement significatif des pneumonies a été noté (0,9 % des patients sous colchicine et 0,4 % sous placebo, p = 0,03). "Cet effet secondaire est à surveiller", admet le Pr Roubille, "même si ces pneumonies étaient non sévères et facilement guéries par antibiothérapie". Le mode d’action de la colchicine, chez ces patients coronariens, n’est pas totalement expliqué mais, pour le Pr Roubille, il ne met pas en jeu une réduction des péricardites (contre lesquelles la colchicine a aussi démontré une efficacité). Des analyses sont actuellement menées pour voir "quels sont les effets de la colchicine sur l’inflammation vasculaire, ou la réduction des chiffres tensionnels, et si elle pourrait prévenir des troubles du rythme". "La colchicine pourrait avoir des effets pléïotropes", pense le Pr Roubille. En plus des analyses sur sous-groupes et d’une étude médico-économique (qui a toutes chances d’être positive vu le prix de la colchicine), les investigateurs de l’étude Colcot prévoient de mettre en place, au cours de l’année 2020, une étude de prévention primaire avec la colchicine chez des patients diabétiques. Cet essai, qui disposera lui aussi de financements canadiens, devrait inclure 10.000 patients diabétiques n’ayant pas subi d’événement coronaire. On attend aussi la publication fin 2020 de l’étude LoDoCo2, entreprise sous la responsabilité du Pr Stefan M Nidorf (Heart Research Institute, Perth, Australie), qui évalue les effets de 0,5 mg/j de colchicine contre placebo chez plus de 5 000 patients avec un angor stable (3). Un essai pilote précédent LoDoCo (Low Dose colchicine) avait en effet suggéré que "ce médicament est sûr et efficace en prévention secondaire cardiovasculaire", indique cet investigateur australien. Une chose est certaine. Les essais académiques représentent une voie d’avenir, et la colchicine n’a pas fini de faire parler d’elle en cardiologie.

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