L'assistance médicale à la fin de vie (suicide assisté, euthanasie) pour des motifs psychiatriques est autorisée dans un certain nombre de pays lorsque les souffrances psychiques sont considérées comme graves, incurables et intolérables. Mais que doit on définir comme tel ? Les outils d'évaluation de la souffrance sont insuffisants, et il est difficile de pronostiquer à long terme le devenir de certaines pathologies psychiques comme les états dépressifs sévères (bipolaires ou unipolaires) qui constituent une part majoritaire des demandes dans les pays concernés. Les douleurs psychologiques et physiques du patient, sa personnalité, ses expériences personnelles, ses ressources et sa vitalité, ainsi que son contexte social rendent l’évaluation d’incurabilité complexe.
En outre, la souffrance psychique déborde largement le cadre médical de la psychiatrie, car elle fait aussi intervenir la culture du patient et son rapport à la mort. En Belgique, tous les traitements d’evidence based medicine doivent avoir été utilisés avant d’envisager l’acceptation de l'euthanasie, ce qui exclut les patients refusant un traitement efficace. Dans le même temps, les médecins doivent faire preuve de mesure et ne pas verser dans l'acharnement thérapeutique. Selon le Dr Pierre Oswald (CH Jean Titeca, Schaerbeek, Belgique), qui a présenté l’expérience belge au congrès, "il y a un vif débat entre les militants de l'autonomie totale et complète des patients et les psychiatres" qui doivent trouver l'équilibre entre les deux, sans être certains à aucun moment que la maladie psychiatrique est incurable, et "dans un contexte où le seul soutien au désir d'autonomie du patient vient interroger la place même de psychiatre".
L’importance de la relation au traitement
L’analyse des demandes d’euthanasie et suicide assisté pour motifs psychiatriques au Benelux, menée à partir des données de la littérature et des équipes impliquées, montre la fréquence de l’isolement social, des antécédents de tentative de suicide et d’hospitalisation en psychiatrie. Aux Pays-Bas, où le refus de traitement n'exclut pas l’acceptabilité de l'euthanasie, la moitié des patients dépressifs demandeurs avaient refusé un traitement recommandé, par manque de motivation, inquiétude vis-à-vis des effets secondaires ou manque d'efficacité. Comment comprendre cette attitude ?
La Pre Emilie Olié (psychiatre, CHU de Montpellier) et son équipe ont repris ces données et ont montré que le nombre de dimensions atteintes dans une évaluation qualitative de la douleur psychologique, menée à partir d’un questionnaire validé, était associé à la propension du patient à refuser un traitement recommandé. Et, à rebours de l’idée admise, leurs travaux ont aussi montré une association entre l’existence de bonnes capacités de prise de décision et l’expression d’idées suicidaires en situation de souffrance psychique. L’expression de l’idée de suicide ou de souhait de suicide pourrait donc constituer une stratégie de coping (ie, ensemble des processus cognitifs et comportementaux destinés à maîtriser, réduire ou tolérer les exigences internes ou externes qui menacent ou dépassent les ressources d'un individu), n’impliquant pas forcément un passage à l’acte. D’ailleurs, 11 des 48 patients pour lesquels la demande d’euthanasie pour raisons psychiques avait été acceptée ont changé d’avis. "Comme si, peut-être, il y avait un soulagement de cette souffrance et de cette situation intolérable par l'accessibilité théorique à cette porte de sortie", a-t-elle expliqué. Et "si certains sont émotionnellement épuisés" d’autres "ont véritablement une ambivalence vis-à-vis de cette idée de mort et vont demander le suicide pour en entendre l'inéligibilité", a précisé le Pr Sami Richa (Beyrouth, Liban, et membre du comité consultatif national d’éthique libanais).
La place du thérapeute et de la thérapie
"La psychothérapie, c'est-à-dire la relation avec le malade, est le ciment de l'évolution de la pathologie", a poursuivi le Pr Richa. La prise en charge de la douleur psychologique doit donc pouvoir aider les patients à être soulagés et réduire leur perception de l’assistance à la fin de vie comme la seule solution envisageable. Mais son succès dépend étroitement de la qualité de cette relation, des approches mises en place, et plus largement de l’intersubjectivité. Une différence majeure avec les maladies somatiques où les traitements reconnus comme efficaces ne dépendent pas aussi étroitement de cette relation.
Au cours de la prise en charge, l’une des difficultés que rencontre le psychiatre est de déterminer si une demande d'euthanasie est guidée par un symptôme d'un trouble psychiatrique ou plutôt par une notion qui dépasse la maladie. Le désir de mort comme symptôme psychiatrique et les distorsions cognitives sur le soi, le monde et le futur dans les situations de dépression sévère constituent d’autres éléments pour considérer l'euthanasie pour raisons psychiatriques avec la plus grande prudence. "Accéder à ce type de demande peut aussi être considéré comme une perte d'espoir vis-à-vis du patient, un accompagnement dans son désespoir pathologique", a souligné Emilie Olié. De fait, au niveau international, les sociétés savantes ne sont pas d’accord sur la place du psychiatre et/ou de l’euthanasie pour motifs psychiatriques.
La pression sociétale
Il existe aussi une pression sociale et une emprise de la société ou des proches sur la démarche d'euthanasie et de suicide assisté, qui en font une forme de courage, "la manifestation de l'extériorisation d'une souffrance légitime et extrême acceptée socialement", qui contraste avec le suicide "qu'on fait dans son coin, qui est encore fortement stigmatisé socialement", a admis Pierre Oswald. "Notre engagement de thérapeute, de médecin, est un engagement inconditionnel au service de la vie du patient, pour maintenir cette vie le plus loin possible", a martelé Sami Richa.
Outre les approches psychothérapeutiques (remédiation, thérapies d’acceptation et d’engagement, buprénorphine, eskétamine…), une psychiatrie palliative reste à développer : menée par une équipe multidisciplinaire, elle viserait à soutenir le patient et sa famille, en ciblant les conséquences négatives et la souffrance de la maladie, tout en favorisant la compréhension et l'acceptation de la maladie, en reconnaissant l'incurabilité de certains symptômes, afin d’améliorer la qualité de vie. "Elle serait appliquée en conjonction avec des thérapies orientées vers la prévention, la guérison, la réadaptation, le rétablissement et ne serait donc pas un abandon du patient et des soins", a conclu Emilie Olié.
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