“Le Covid a fait entrer dans nos vies l’usage de plusieurs outils utiles au distanciel. Le système de santé n’y a pas échappé”, a affirmé Benoît Ourliac, sous-directeur au pôle observation de la santé et de l’Assurance maladie à la Direction de la recherche, des études, de l'évaluation et des statistiques (Drees) à l’occasion de la présentation d’une grande enquête portant sur la téléconsultation en médecine générale entre 2020 et 2021, mercredi 7 décembre. Les chiffres le prouvent en effet : alors que moins de 5% des généralistes libéraux proposaient des consultations à distance à leurs patients avant l’épidémie de Covid-19, plus de trois sur quatre ont indiqué en avoir déjà effectué au début de l’année. C’est véritablement au printemps 2020 que les médecins ont pris le tournant de la téléconsultation. Au mois d’avril, 3,6 millions de téléconsultations ont été réalisées. A titre de comparaison, seules 3.000 consultations à distance ont été enregistrées en 2018 et 80.000 en 2019. Par ailleurs, l’an dernier, 9,4 des 10 millions de téléconsultations annuelles ont été effectuées par des généralistes libéraux. Selon la Drees, elles représentaient 5,7% de leur activité en 2020 et 3,7% en 2021. “Elles sont devenues une composante non-négligeable de l’activité médicale, tout en restant relativement rares”, résume donc l’institut de statistiques dans son rapport. Au-delà de l’état des lieux du recours incontestable à cet outil, la Drees s’est penchée plus en détail sur le profil des généralistes et des patients en ayant l’usage. Elle dresse, à cette occasion, le portrait de ces praticiens et une dominante se dégage clairement : les femmes et les jeunes médecins en général ont davantage recours à la téléconsultation que les autres.
Une pratique pour les jeunes médecins urbains ? La consultation à distance représente, en effet, 4,5% de l’activité des femmes médecins en 2021 contre 3% de celle des hommes. L’institut de statistiques constate également que la téléconsultation est plus importante chez les jeunes praticiens : les généralistes de moins de 40 et 50 ans y ont consacré près de 5% de leur activité tandis que leurs confrères de plus de 65 ans y ont consacré 2,5%.
Ce sont les médecins exerçant dans les territoires urbains, et notamment dans la région francilienne, qui téléconsultent le plus. En Île-de-France, 8% de l’activité des généralistes libéraux correspond à des consultations à distance, contre 2% dans les territoires ruraux hors outre-mer, par exemple. Par ailleurs, la Drees calcule que les praticiens exerçant en groupe sont les plus nombreux à déclarer une activité de téléconsultation (85% contre 59% pour ceux exerçant seuls). Des patientes majoritairement féminines “Par rapport à celles réalisées en cabinet, les consultations à distance s’adressent davantage à des patientes, quel que soit leur territoire de résidence”, indique aussi la Drees dans son enquête. En effet, 62% des téléconsultations de 2021 concernaient des femmes alors que cette même patientèle représente habituellement 57% des consultations en cabinet. Là aussi, la patientèle est plutôt jeune, souligne l’institut. Près de la moitié (45%) des consultations en distanciel ont été réalisées avec des patients âgés de 15 à 44 ans alors que cette patientèle représente 29% de l’activité du cabinet. La téléconsultation est enfin plutôt plébiscitée par les patients les moins précaires. En cabinet, en 2021, la part des personnes ayant recours à la complémentaire santé solidaire (CSS) était de 19%, quand ce pourcentage était de 12% dans le cadre de la téléconsultation.
Plus surprenant : 27% des téléconsultations de 2021 ont été réalisées avec des patients issus de la région parisienne. Cela appuie le constat de la Drees qui conclut, dans son rapport, que la pratique est concentrée essentiellement dans les grands pôles urbains. 69% des téléconsultations sont réalisées pour des patients vivant dans les centres-villes ou les banlieues des grands pôles, où réside 57% de la population.
Pas de rapport entre la téléconsultation et des difficultés d’accès aux soins Alors qu’on vante beaucoup la téléconsultation pour pallier la pénurie de médecins généralistes dans les territoires, l’analyse de la Drees révèle qu’il n’existe pas de rapport évident entre des difficultés d’accès aux soins et un recours accru à la pratique. “Le constat est même que la plupart des téléconsultations sont effectuées à proximité du lieu de résidence du patient”, éclaire Julie Kamionka, auteure de l’étude. Dans 45% des consultations à distance de l’année dernière, par exemple, le patient habitait la même commune que son médecin, contre 50% de celles au cabinet. Pour 59% des consultations à distance et 63% de celles au cabinet, le médecin exerçait à moins de 5 kilomètres. Cependant, note la Drees, entre 2020 et 2021, la part de téléconsultations réalisées dans la commune du patient diminue légèrement (-2,5 points) ce qui peut suggérer “qu’une mutation s’amorce dans la pratique de la téléconsultation, largement mise en œuvre en urgence en 2020 comme substitut à une consultation en cabinet dans le cadre des périodes de forte intensité épidémique”. Au contraire, même si la possibilité de consulter un médecin éloigné de leur domicile “pourrait a priori accroître l’offre de soins de premier recours pour les patients résidant en zone peu dotée en médecins généralistes”, les consultations à distance n’ont finalement pas beaucoup plus concerné les patients de ces territoires. 23% des téléconsultations se sont en réalité faites avec les 20% de la population les mieux dotés en médecins généralistes, tandis que 18% ont été réalisées avec les 20% les moins bien dotés. Selon la Drees, les patients préfèrent souvent, dans ce cadre, réaliser une consultation avec leur médecin traitant (69%). “Cependant, les téléconsultations se font un peu moins souvent avec le médecin traitant en 2021 qu’en 2020”, indique-t-elle encore. Comme le montre le graphique ci-dessous par exemple, seuls 2% des habitants des territoires ruraux isolés ont téléconsulté leur médecin contre 22% des centres-ville des grands pôles urbains hors Paris.
La vidéotransmission privilégiée Avec quels outils les médecins préfèrent-ils consulter à distance leurs patients? Pour plus de la moitié d’entre eux, c’est par de la vidéotransmission proposée par une plateforme du marché. 39% des consultations en distanciel entre 2020 et 2021 ont été des téléconsultations téléphoniques et 31% se sont faites via un outil grand public tels que What’s App ou Skype. Enfin, 18% des consultations ont été réalisées par un outil de vidéotransmission proposé par les Agences régionales de santé. Des médecins… globalement insatisfaits Si les auteurs de l’étude notent l’essor considérable de la téléconsultation depuis trois ans, ce phénomène semble moins plaire aux médecins. Quasiment la moitié (46%) se déclarent pas du tout ou peu satisfaits, 38% moyennement satisfaits et seulement 16 % très ou tout à fait satisfaits. Sans surprise, le pourcentage de femmes médecins satisfaites est plus important : 20%, contre 12% pour leurs homologues masculins. Malgré cela, un médecin sur deux en ayant déjà réalisé envisage certainement de continuer à en faire après l’épidémie de Covid-19. Ceux qui exercent en groupe pluriprofessionnel comptent un peu plus souvent maintenir ce type de prise en charge (53%, contre 47% pour les autres).
Sur les 10 millions de téléconsultations en 2021, 1,1 million a été assurée par des médecins généralistes salariés de centres de santé. Il s’agit, relève la Drees, de centres spécialisés dans ce type de prise en charge, “qui n’effectuent pas ou très peu de consultations en cabinet ou de visites à domicile (moins de 20 % de leur activité en 2021)”. Le constat réalisé par l’institut de statistiques pour les généralistes libéraux est encore plus exacerbé dans leur cas : 69% des consultations à distance réalisées par des MG salariés en centre de santé l’ont été avec des patients âgés de 15 à 44 ans, contre 35,7 % de celles au cabinet dans ces centres. 48% ont été effectuées avec des patients vivant en région parisienne.
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