"Né sous Vichy" : quand le sombre passé de l’Ordre des médecins resurgit

09/07/2021 Par Aveline Marques
Histoire

Pas un communiqué, pas un tweet sans que l’Ordre des médecins ne se voie reprocher ses origines "pétainistes". "Née sous Vichy", l’institution est aux yeux de ses opposants un organe répressif et passéiste, coupable du pire. Egora.fr remonte le temps pour démêler le vrai du faux de ce point Godwin de l’histoire de la médecine française.      

"L’Ordre est né sous Vichy": vrai, mais sa création avait été actée bien avant

Octobre 1940. Quelques mois après la défaite la plus cuisante qu’ait connu la France, alors qu’une "Révolution nationale" est en marche sous la houlette du Maréchal Pétain, une loi publiée au Journal officiel* supprime les syndicats et décrète que "nul ne peut exercer la médecine s’il n’est habilité à cet effet par un conseil professionnel dit Conseil de l’ordre des médecins". A sa tête, un "Conseil supérieur", composé de douze médecins "nommés par décret". Dans chaque département, un conseil de membres, nommés eux aussi, "dresse un tableau public des personnes qui, remplissant les conditions imposées par les lois et les règlements concernant l’exercice de la médecine, sont admises par lui à pratiquer leur art". L’Ordre des médecins est né et toute la presse s’en fait l’écho.

Mais l’idée ne date pas d’hier. Elle se manifeste pour la première fois sous le règne de Louis-Philippe, en 1845, lors d’un congrès médical réunissant plus d’un millier de médecins. Cinquante ans après la suppression des corporations, alors que la profession doit cohabiter avec des officiers de santé toujours plus nombreux, la création dans chaque arrondissement d’un "conseil médical", "chargé de soutenir les droits des médecins et de maintenir la dignité professionnelle" est plébiscitée. Dans la foulée, un projet de loi est déposé. Mais la Révolution de 1848 balaie tout sur son passage.

L’idée resurgit à la fin du 19e siècle, alors que la loi Le Chevandier vient de restaurer le monopole d’exercice de la médecine, autorisant enfin la profession à se doter de syndicats. 1885, 1898, 1928… plusieurs projets de texte naissent puis meurent presque aussitôt. En mars 1929, un énième projet de loi est déposé. Tous les signaux sont au vert : le Conseil des ministres, l’Académie de médecine et la CSMF approuvent la création d’un Ordre garant de la déontologie médicale. S’ensuivent des années de tergiversation législative… Si bien qu'en 1939, le projet de loi n’est toujours pas adopté. Le Gouvernement de Vichy s’en chargera. La période est en effet propice à la "mise en place accélérée" de législations, relève le médecin et historien Bruno Halioua, auteur de "Blouses blanches, étoiles jaunes", ouvrage qui se penche sur ces pages sombres de l’histoire de la médecine. Mais en matière de santé, la création de l'Ordre n'est pas le seul héritage de Vichy, relève ce dermatologue : on doit également au Gouvernement de Pétain des acquis incontestés tels que le carnet de santé ou la santé au travail. A noter qu’à compter de la loi du 18 septembre 1942, les membres de l’Ordre ne sont plus nommés, mais élus par leurs pairs.  

L’Ordre a participé à l’exclusion des médecins juifs : indéniablement vrai

En tant que gardien de l'accès à la profession, l'Ordre des médecins a joué un rôle majeur...

dans la politique d'exclusion des praticiens juifs et, plus largement, des étrangers, montre Bruno Halioua dans son ouvrage. Il a non seulement été l'instrument de l'Etat français en la matière, mais il a également "aidé à légitimer le principe de l'épuration", analyse l'historien Robert Paxton dans son ouvrage de référence sur l'Occupation, La France de Vichy, publié en 1972. Dès l'été 1940 en effet, de son propre chef, le régime de Vichy promulgue des lois nationalistes : la loi du 16 août limite l'accès à l'exercice de la médecine aux praticiens français, nés de père français ou naturalisés avant 1927. Des dérogations sont accordées, en faveur des médecins qui ont honoré la patrie (par leurs recherches, par l'exemple) ou des anciens combattants. A l'Ordre de vérifier ces conditions et d'examiner les demandes de dérogation. Comme le souligne Bruno Halioua dans son ouvrage, "cette législation n'est que l'aboutissement des multiples pressions que le corps médical et en particulier les syndicats médicaux ont exercé sur tous les Gouvernements de la fin de la IIIe République et, pour finir, sur le régime de Vichy". Elle n'entraine d'ailleurs "aucune protestation" au sein de la profession. Au contraire. Car dans les années 1920 et 1930, les voix se sont multipliées pour dénoncer "l'encombrement médical" par les "médecins métèques". Le premier trimestre de l'année 1935 est marqué par les grèves et manifestations des étudiants en médecine contre les 24% d'étudiants étrangers qui sont accusés d'accaparer les places dans les facultés de médecine et aux concours hospitaliers. "La France aux Français !", scandent alors les carabins, rejoints par les étudiants de la fac de droit (dont le jeune François Mitterrand).

  Sont tout particulièrement visés les Juifs des pays de l'Est (Roumanie, Pologne, Russie) qui, pour échapper au numerus clausus en vigueur dans leur pays d'origine, sont venus en France pour apprendre la médecine… et y sont restés pour l'exercer. Jugés responsables de la "pléthore médicale", ils sont accusés par le Dr Paul Cibrié, président de la CSMF, de "vendre la médecine comme on vend des tapis aux terrasses". Xénophobie et antisémitisme étant intimement liés, la législation de Vichy a tôt fait d'exclure de la profession les médecins français de "race juive"**, toujours dans une relative indifférence de leurs confrères : le 3 octobre 1940, la loi portant statut des Juifs leur ferme l'accès à fonction publique et à l'enseignement ; rares sont les "grands patrons", tel Robert Debré, qui bénéficient de dérogations. Le 2 juin 1941, le second statut des Juifs verrouille l'accès aux professions libérales...

 conduisant dans chaque département à la mise en place d'un numerus clausus de 2% de médecins juifs sur l'effectif total de la profession. Charge à l'Ordre de les recenser et de juger de ceux qui, parmi les médecins, remplissant les conditions dérogatoires (avoir rendu à l'état français des services exceptionnels ou être issu d’une famille établie en France depuis au moins cinq générations) pourront continuer à exercer ou non et le cas échéant, de dénoncer les contrevenants à l'autorité administrative. Tous les conseils départementaux ne s'acquittent pas de cette tâche avec la même ardeur. "On ne peut pas mettre tout le monde dans le même bain, reconnaît le Dr Halioua. Certains conseils départementaux ont été extrêmement sévères, d'autres ont fermé les yeux." Tandis que le Conseil des Bouches-du-Rhône, par exemple, dénonce au Commissariat général des questions juives un médecin de Menton qui continue à exercer malgré sa notification d'interdiction et lui suggère au passage d'examiner de plus près les faits d'armes de 14 médecins juifs ayant bénéficié de dérogations, son homologue de l'Aveyron propose, au contraire, à un confrère israélite un poste de remplacement à Sévérac-le-Château. "Quand ce dernier lui dit qu'il est juif, le docteur Garrigues, en guise de réponse, lui rétorque : 'Je ne vous demande rien'", relate Bruno Halioua dans son ouvrage. Des conseils départementaux appliquent strictement le numerus clausus, tandis que d'autres optent pour le calcul le plus favorable à ces confrères.

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Au niveau national, l'Ordre se voit parfois reprocher son manque d’empressement par le Commissariat générale aux questions juives, par la presse antisémite (ci-dessous Je suis partout) comme par certains médecins. Les cabinets des médecins étrangers ou juifs suscitent en effet des convoitises, notamment à Paris, et des listes de médecins suspendus sont publiées. En région parisienne, en décembre 1943, 722 médecins israélites (libéraux comme hospitaliers) ont ainsi été interdits d'exercice, soit 13.3% de l'effectif total. Parmi eux, 65 seront déportés et quatre fusillés. En province, où la présence médicale est faible, la règle des 2% aboutit à exclure tous les médecins libéraux juifs.

Dans une profession où la confraternité aurait dû susciter une entraide, on voit au contraire des médecins dénoncer des confrères qui auraient continué à exercer avec la bienveillance de leurs patients ou qui auraient simplement gardé leur plaque, déplore Bruno Halioua. Ils les exposent ainsi à des sanctions allant de l’amende à l’internement. Alors que des médecins s'illustrent par leurs actions dans la Résistance ou en portant secours aux Juifs, et que d'autres se déshonorent en collaborant activement, nombreux sont les "attentistes" qui ont simplement "profité" de cette période...

où le concours de l'internat des hôpitaux de Paris était devenu moins sélectif et où les opportunités de reprises de cabinets ou de cliniques étaient nombreuses, relève l'historien.  

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L'Ordre actuel n’est pas l’ordre de Vichy : vrai, mais pour autant il n’a pas fait table rase

Ce premier Ordre, qui porte la tache originelle, est dissous par le Gouvernement provisoire de la République française le 18 octobre 1943, à Alger… Si les dispositions prises par Vichy sont jugées "contraires à la légalité républicaine", le "principe" d'un Ordre est en revanche acté. A l'issue d'une consultation avec les représentants de la profession (syndicats et Comité médical de la Résistance notamment), l'Ordre national des médecins actuel est donc créé le 24 septembre 1945 par une ordonnance du Général de Gaulle. En complément des syndicats, "organismes de défense de la profession" dont l'existence est rétablie, l'Ordre aura la charge de "maintenir la discipline et l'honorabilité de la profession". Ses membres seront élus, comme ils l'étaient sous Vichy, depuis 1942. Preuve d'une certaine continuité, le dernier président de l'Ordre dissous sera le premier président de l'Ordre ressuscité. Le Pr Louis Portes s'est, en effet, distingué lors de la Libération, le 8 juillet 1944, en défiant l'autorité allemande dans une motion rappelant à ses confrères "qu'appelés auprès de malades ou de blessés ils n'ont d'autre mission à remplir que leur donner leurs soins, le respect du secret professionnel étant la condition nécessaire de la confiance que les malades portent à leur médecin, il n 'est aucune considération administrative qui puisse nous en dégager". Au sein du corps médical comme dans la société toute entière, "l'heure est à l'oubli", relève Bruno Halioua. On ne retient de cette période trouble que les hauts faits des médecins résistants, tels Robert Debré, Pasteur Vallery-Radot ou Paul Milliez, qui confie dans ses mémoires avoir détruit, en août 1944, des lettres de dénonciation écrites par des médecins. "Il n’y a pas deux sortes de médecins, pas plus qu’il y a deux France, déclare-t-il devant une assemblée de confrères à la Sorbonne le 1er octobre 1944. Tous nous avons vibré à l’unisson. Et même si parmi vous, il y a des hommes qui n’ont pas cru comprendre, nous leur ouvrons les bras, car nous ne voulons pas former deux camps, d’un côté les médecins résistants et de l’autre les médecins non résistants. Nous ne chassons que les traitres, ceux qui ont nettement collaboré avec l’Allemagne." Le Dr Bernard Lafay illustre bien cette ambivalence : secrétaire général du conseil de l’Ordre de la Seine sous l’Occupation, il sera élevé au grade de chevalier de la Légion d’honneur pour son action dans la Résistance, notamment pour sa lutte contre le départ des travailleurs français en Allemagne. Durant les années d’après-guerre, une omerta s'installe...

Loin d’être ostracisés, les anciens cadres de l’Ordre de Vichy demeurent des figures respectées de la profession, retrace Bruno Halioua : le Pr René Leriche, premier président de l’Ordre (1940-1942), qui dit avoir accepté cette charge "à reculons" pour éviter à ses confrères de rentrer "dans la discipline de la médecine allemande", est élu président de l’Académie de chirurgie en 1954 ; Victor Balthazard, doyen de la faculté de médecine de Paris, "chantre de la xénophobie médicale d’avant-guerre" et président du conseil de l’Ordre de la Seine en 1943, est nommé membre émérite de l’Académie de médecine en 1949  et commandeur de la Légion d’honneur en 1950 ; Serge Oberlin, membre du Conseil de l’Ordre pendant la guerre, présidera le Cnom de 1950 à 1952. Il faudra attendre la disparition de cette génération de médecins, dont on ne veut pas "flétrir la mémoire", pour que le passé de l’Ordre ressurgisse, relève l’historien. Au cours des années 1960, alors que les sanctions tombent sur les médecins "progressistes", "souvent juifs" - note Bruno Halioua, qui pratiquent des avortements clandestins ou prescrivent la pilule, l'Ordre apparaît à nouveau comme un organe "répressif". Les mauvais souvenirs refont surface dans l'esprit des médecins et les actions de l'Ordre de Vichy deviennent l'un des principaux arguments de ceux qui réclament la dissolution de l'instance. "On s’est aperçu dans les années 1970 qu’il y avait eu des médecins qui avaient collaboré, et des médecins qui avaient profité de la situation", retrace Bruno Halioua. Mais l'Ordre se refusera à admettre sa responsabilité durant l’Occupation… jusqu'en 1997. "Le fait de ne rien dire a aboutit à mettre tout le monde dans le même sac", analyse l’historien.  

L’Ordre a-t-il fait son devoir de mémoire ?

Le 16 juillet 1996, lors de la commémoration de la rafle du Vel d'Hiv, le président Chirac reconnaît la responsabilité de l'Etat français dans la déportation. L'Ordre des avocats de Paris et l'Eglise catholique lui emboitent le pas. En octobre 1997, en plein procès Papon, les yeux se tournent vers l'Ordre des médecins. Face aux médecins qui ne veulent pas raviver la plaie et aux membres qui craignent une fragilisation de l'institution, le président du Cnom, Bernard Glorion (de 1993 à 2001), choisit de briser ce tabou de l'histoire de la médecine en prononçant une déclaration de "repentance" à la réunion annuelle des présidents et secrétaires généraux départementaux. "C'est une période très sombre de notre histoire, commente-t-il dans Le Monde. Des confrères se sont alors rendu coupables, volontairement ou non, d'avoir discriminé ou exclu des médecins juifs. Nous devons le reconnaître." "Il fait cette déclaration de repentance en son nom personnel, tient à préciser Bruno Halioua. On aurait pu s'attendre à ce que les médecins approuvent mais il y a eu une levée de boucliers. C'est à ce moment-là que j'ai commencé à m'intéresser au sujet." L'initiative de Bernard Glorion coïncide avec l'ouverture des archives de l’Ordre : une circulaire du 2 octobre 1997 confère aux documents de la période 1940-1945 le statut d’archives historiques. "Tous les historiens qui voulaient travailler sur ce sujet se cassaient les dents", commente Bruno Halioua. La tâche s’annonce moins insurmontable pour ce membre du corps médical… "Mais tout avait soi-disant été noyé dans une inondation. Ils se sont faits fort de supprimer beaucoup de choses, pense-t-il. Quand je travaillais sur le sujet à l’époque, il fallait que je dise que j’étudiais l’évolution de la population médicale de 1920 à 1990…" Aujourd’hui, l’historien, président de l’Association des médecins israélites de France, qualifie d’"exemplaire" l’attitude de l’Ordre actuel sur le sujet. "Chaque année, des représentants nous accompagnent pour notre voyage à Auschwitz avec les étudiants en médecine", illustre-t-il. Pour autant, le combat n’est pas terminé pour ce dernier. Un certain nombre de municipalités (telles Cassis, Perpignan ou Strasbourg) sont encore traversées par des rues, des avenues, des allées, des impasses ou des boulevards René Leriche, déplore-t-il. "Je leur ai écrit et une seule, Riorges, a accepté de la débaptiser. C’est la plus grande honte. On honore un homme qui a participé activement à l’exclusion des Juifs."   *Datée du 7 octobre, la loi a été promulguée le 26 octobre 1940.
** "Est regardé comme Juif celui ou celle, appartenant ou non à une confession quelconque, qui est issu d'au moins trois grands-parents de race juive, ou de deux seulement si son conjoint est lui-même issu de deux grands-parents de race juive. Est regardé comme étant de race juive le grand parent ayant appartenu à la religion juive."    

Sources
-Bruno Halioua, « Blouses blanches, étoiles jaunes », Ed. Liana Levi, 2000.
-Bruno Halioua, Richard Prasquier, Les médecins justes parmi les Nations, La Revue du Praticien, N°13, 15 septembre 2004.
-Jean Pouillard, Histoire du Conseil national de l’Ordre des médecins (1845-1945), Histoire des sciences médicales, Tome XXXIX, n°2, 2005.
-Donna Elveth, La Bataille pour l’Ordre des médecins, 1944-1950, Le Mouvement social, 2009/4 (n°229).
-Henri Nahum, Robert Debré pendant l’Occupation, La Revue du Praticien, N°11, 15 juin 2007.

       

Dr Patrick Bouet : "Moi, petit-fils de résistant mort à Auschwitz, je n’ai rien de comparable avec ceux qui administraient l’Ordre à cette époque"

Président du Conseil national de l’Ordre des médecins et petit-fils d’un résistant communiste déporté, le Dr Patrick Bouet ne peut qu’approuver la démarche de "transparence" sur la période de l’Occupation initiée par l’institution ordinale en 1997. Mais pour ce dernier, l’Ordre d’aujourd’hui ne peut se voir éternellement reprocher les actions de son ancêtre. Interview. 
 

Egora.fr : La déclaration du président Glorion en 1997 vous a-t-elle marqué ? 

Dr Patrick Bouet : Oui, bien sûr, j’étais président du Conseil départemental de Seine-Saint-Denis à l’époque. Personnellement, je suis petit-fils d’un résistant communiste mort à Auschwitz, c’est vous dire que j’ai été bercé dans mon enfance par les conséquences de la Seconde Guerre mondiale. Mes convictions sont marquées depuis cette époque. 

Cette déclaration de Bernard Glorion s’inscrit dans un moment dans l’histoire de République française où beaucoup d’acteurs institutionnels sont entrés dans une démarche de repentance. Il est apparu nécessaire au président du Conseil national de prendre acte de ce qui avait pu être la position de l’Ordre des médecins dans sa configuration jusqu’en 1942 (les membres sont désignés par le pouvoir), puis dans sa configuration jusqu’en 1944 (les membres sont élus par les médecins), et qu’il y a eu des faits qui ont été préjudiciables à un certain nombre de confrères. Avec le recul, je pense que les gens voulaient de l’objectivité sur l’action de l’Ordre. 

 

L’ouverture des archives de l’Ordre sur la période 1940-1945 a-t-elle permis cette objectivité ? 

Ça a en tout cas permis de lever le voile. En tant que président aujourd’hui, je suis le comptable de l’histoire de l’institution. J’ai toujours cru fondamentalement à la transparence : on n’a rien à perdre, au contraire tout à gagner, pour que tout soit lisible et puisse être analysé. Dès les années 1990, lorsque je présidais le CDOM93, j’ai été l’un des acteurs de la disponibilité des archives de l’Ordre.  

 

Les archives auraient été en partie inondées… ou nettoyées ? 

Je n’étais pas né à l’époque donc je me garde d’interpréter ce dont je n’étais ni acteur ni spectateur. Tout ce que nous avons aujourd’hui est mis à la disposition de l’ensemble des acteurs. On peut toujours faire des procès en explications… Il y a effectivement eu des...

accidents et il y a peut-être eu des destructions volontaires mais je crois surtout que la volonté était pour certains de fermer la porte. 

 

Y a-t-il eu des médecins au sein de l’Ordre qui, au contraire, s’opposaient à cette démarche de repentance ? 

Quand on regarde l’histoire post Seconde Guerre mondiale, entre 1945 et 1975, on voit bien que la France tout entière a été confrontée à son passé. Fermer la porte a été la volonté de beaucoup d’acteurs institutionnels, l’Ordre n’a pas été différent. Voyez le temps qu’il a fallu pour que la République française elle-même fasse repentance sur la Rafle du Vel d’Hiv… 

 

Y avait-il des raisons propres au corps médical pour que le tabou n’ait été brisé qu’en 1997 ? Le fait est que les membres du Conseil de l’Ordre de l’époque sont demeurés dans les institutions médicales… 

C’est la question qui se pose de manière générale pour la France d’après-guerre. Vous remarquerez que dans l’Ordre de 1944-1945, on a retrouvé un certain nombre de membres de l’Ordre de 1942 et 1943. Il y a eu dans l’Ordre de cette époque des médecins qui ont été reconnus par la Résistance à la fin de la guerre comme ayant été des acteurs de la lutte contre l’occupant. Tout cela est une histoire très complexe. 

Alors est-ce qu’il y a eu de la part de certains médecins, comme il a pu y avoir de la part de certains industriels ou de certains acteurs politiques, de valider leur présence comme combattants plutôt que comme administrateurs de l’Occupation ? Là encore, je n’étais pas né, je ne peux pas interpréter. Mais je sais que beaucoup des membres de l’Ordre ont été reconnus comme des acteurs de la Resistance. Rien n’est blanc, rien n’est noir. 

 

Comment expliquer que 80 ans après, la naissance de l’Ordre sous Vichy soit encore l’un des principaux arguments des opposants à l’institution pour contester ses actions ou demander sa dissolution ? 

C’est une question que je continue de me poser… Pourquoi la France cherche-t-elle désespérément à se plonger dans une explication passéiste sur une institution ? Qu’y a-t-il de comparable entre moi, qui suis petit-fils de résistant mort à Auschwitz, président du Conseil national de l’Ordre et ceux qui étaient à l’époque géraient l’institution ? Moi je suis un homme du 21e siècle. Cette institution est aujourd’hui plongée au cœur du système de santé et elle a le droit, comme les autres, d’être regardée comme ayant évolué, muri, s’étant renforcée. On ne changera pas les faits : l’Ordre d’aujourd’hui est né en 1945 d’une volonté d’avoir un ordre démocratiquement élu responsable d’une mission de service public et pour moi, cette inscription dans la vie de la République française et dans la nécessité de reconstruire la France d’après-guerre, est l’élément majeur de la mutation institutionnelle. On ne changera pas les réalités : effectivement il y a un ordre en 1942-3… Mais crache-t-on sur les allocations familiales au prétexte que ce serait Pétain qui les a mises en place ? Il faut savoir vivre avec l’histoire, reconnaître ses responsabilités et être acteurs de son époque.

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Michel Rivoal

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