Municipales : portrait-robot de médecins en campagne

11/03/2020 Par Véronique Hunsinger
Bien avant la crise de l’épidémie de coronavirus, la santé était déjà perçue comme l’un des thèmes importants dans la campagne des municipales. Nombreux sont les médecins, d’ailleurs, à se lancer, tous les six ans, à la conquête de la mairie de leur commune. Dont certains pour la première fois, comme l’ancienne ministre de la Santé, Agnès Buzyn, qui conduit la liste LREM à Paris.

  Avec les avocats et les énarques, les médecins comptent parmi les professions les plus représentées en politique, et particulièrement aux scrutins locaux. Georges Clemenceau, médecin généraliste, fit ses premiers pas en politique en 1870, à la proclamation de la IIIe République, quand il fut désigné maire de Montmartre. Aujourd’hui, la mairie de la capitale est briguée par l’ancienne ministre de la Santé, la Pr Agnès Buzyn, qui réalise ainsi sa première – et courte – campagne politique. Mais elle n’est pas la seule médecin à se présenter, pour la première fois, à un suffrage municipal. À Marseille, c’est le Pr Yvon Berland, autre nouveau venu en politique, qui est à la tête, également, d’une liste LREM. L’ancien doyen de la faculté de médecine de la cité phocéenne a été notamment l’auteur, en 2005, d’un rapport sur la démographie médicale qui fit date car il poussa le gouvernement de l’époque à mettre en place le premier plan sur les déserts médicaux… Quinze ans plus tard, ce sujet est devenu l’une des premières préoccupations des maires sur l’ensemble du territoire, et plus uniquement dans les seules zones rurales. On retrouve ainsi, parmi les médecins débutants en politique, la première candidature à Bordeaux du Pr Antoine Tabarin, chef du service d’endocrinologie et maladies métaboliques du CHU, sur la liste du candidat LREM Thomas Cazenave. En 2014, lors du précédent scrutin, c’était la ministre Michèle Delaunay, ancienne cancérologue du CHU, qui était n° 2 sur la liste socialiste. Avec la victoire d’Alain Juppé, elle s’est retrouvée conseillère municipale d’opposition pendant six ans.

Entre écharpe et stéthoscope Dans les villes de taille moyenne comme dans les petits villages, ils sont nombreux à porter à la fois l’écharpe de maire et le stéthoscope, souvent même depuis plusieurs mandats. À Sète, le Dr François Commeinhes, gynécologue, est maire divers droite depuis 2001 et à nouveau candidat cette année. À Marmande (Lot-et-Garonne)...

le généraliste Daniel Benquet est candidat de la droite pour un deuxième mandat. À Mulhouse (Haut-Rhin), Jean Rottner, chef des urgences du centre hospitalier, a été élu en 2014 à la mairie avec l’étiquette LR avant de laisser son fauteuil à sa première adjointe pour prendre la tête de la région Grand-Est. L’une des plus longues carrières de médecin en politique locale est sans doute celle de l’ORL André Rossinot. Entré au conseil municipal de Nancy en 1969, il a été maire de la ville de 1983 et 2014, et occupe toujours la fonction de président de la métropole du Grand Nancy. Toutefois, jongler entre le cabinet ou l’hôpital et l’hôtel de ville n’est pas toujours simple ou même possible. Ainsi, en 2016, le maire de la petite commune de Saint-Antoine-la-Forêt (Normandie) a démissionné après quinze ans de mandat, faute d’avoir trouvé un successeur à son associée qui venait de quitter leur cabinet de médecine générale.

Médecin généraliste et président du syndicat MG France en Alsace, le Dr Alexandre Feltz partage son temps entre son cabinet du centre de Strasbourg – où il exerce en association – et la mairie où il est adjoint chargé de la santé. D’ailleurs, la capitale alsacienne a, pour des raisons historiques, davantage de compétences dans le domaine de la santé que les autres villes, notamment en matière de protection maternelle et infantile (PMI) et santé scolaire.

S’il estime que les villes devraient avoir « plus de compétences en santé », il salue l’existence de certains outils, comme le contrat local de santé (CLS), dont la deuxième édition a couvert, à Strasbourg, la période 2015-2020. « C’est un outil très puissant, note Alexandre Feltz. Aujourd’hui, le problème, c’est la concentration des pouvoirs qui reviennent à l’État sur les questions de santé. Chez nous, l’ARS est volontariste, mais ce n’est pas le cas partout. » Par exemple, le programme « Sport santé sur ordonnance » dont Strasbourg a été pionnière figure dans le contrat local de santé, qui comprend également les salles de consommation à moindres risques pour les toxicomanes...  

et les maisons de santé urbaines. « Cela permet à tous les acteurs de participer au financement d’un projet identifié comme prioritaire, souligne le Dr Feltz. Il ne faut pas que ce soit simplement une déclinaison du projet régional de santé. C’est pourquoi je pense qu’il faut encore renforcer la dimension participative auprès des citoyens dans la démarche. » À Paris, un contrat local de santé a également été signé en mars 2018. « C’était la première fois qu’on en signait un, explique Anne Souyris, adjointe écologiste à la Mairie de Paris, chargée des questions de santé. C’est un document important car il permet d’avoir une image diagnostique au moment où on le signe et de contractualiser les relations entre la ville et l’État en se donnant des objectifs communs. Mais il va nous falloir aller plus loin en quantifiant ces objectifs. La ville est le premier acteur qui peut agir de manière efficace et fine sur un problème car elle peut aussi avoir une action de santé populationnelle et communautaire. »

À Rennes, la démarche participative est très ancrée dans la politique locale. « Le contrat local de santé est un très bon outil mais qui peut aussi rester incantatoire si on n’associe pas les habitants, prévient Charlotte Marchandise, adjointe à la mairie, chargée de la santé. La marque de la politique que je porte est d’associer les citoyens. Nous avons un certain nombre de dispositifs qui le permettent, comme le Conseil rennais de santé mentale, le Comité consultatif santé-environnement ou encore les commissions santé dans les quartiers. » L’environnement à cœur Pour autant, les questions de santé sont-elles actuellement une préoccupation relayée par les habitants des villes dans la campagne ? « La santé n’est pas forcément un sujet clivant dans le débat politicien », note le Dr Feltz, qui est candidat à Strasbourg sur une liste « écologiste et citoyenne » et mène actuellement sa troisième campagne. « Par rapport aux campagnes précédentes, on sent qu’il y a une vraie montée en puissance, en particulier des sujets de santé environnementale : pollution atmosphérique, perturbateurs endocriniens, alimentation biologique », précise-t-il. D’ailleurs la « mesure phare » du programme du candidat médecin généraliste est la mise en place d’une...

« ordonnance verte » permettant aux femmes enceintes de bénéficier d’un panier bio par semaine pour mieux s’alimenter ainsi que d’un accompagnement par une écoconseillère afin d’éviter le plus possible les expositions aux perturbateurs endocriniens.    

À Paris, Anne Souyris, adjointe à la santé sortante, est également tête de liste écologiste dans le XIIIe arrondissement : « J’ai été très interpellée sur les questions de santé pendant cette campagne, en particulier sur l’hôpital, sur la pollution et dans les dernières semaines sur le coronavirus. » Cette gestion du coronavirus a d’ailleurs fait l’objet d’une polémique entre la maire de Paris sortante, Anne Hidalgo, et l’ex-ministre de la Santé, Agnès Buzyn, dès l’entrée en campagne de la seconde.  

« Nous avons réfléchi aux questions de démographie médicale » : Isabelle Maincion, maire UDI de La Ville-aux-Clercs dans le Loir-et-Cher et présidente de la commission santé de l’Association des maires de France (AMF)

Egora : Le mouvement des gilets jaunes et le Grand Débat ont mis en lumière que la santé est une des principales préoccupations des Français. Cela vous a-t-il étonnée ?
Isabelle Maincion
 : Certainement pas ! Pour les élus locaux, c’est une évidence. L’AMF avait publié une tribune dans Le Journal du dimanche en février 2019 pour dénoncer le fait que les élus locaux ne soient pas associés à l’élaboration du projet de loi « Ma santé 2022 ». La santé est une préoccupation constante de nos concitoyens d’autant plus que le nombre de patients sans médecin traitant ne cesse d’augmenter. De plus, la crise des urgences et la souffrance des personnels dans les Ehpad sont devenues de plus en plus criantes dans les derniers mois.
Les communes devraient-elles avoir davantage de compétences dans le domaine de la santé ?
Il faut se souvenir que les communes n’ont aucune compétence légale dans le domaine de la santé. Mais elles se sont heureusement largement emparées de ce sujet. Un grand nombre ont pris le risque d’investir sur leurs propres deniers pour soutenir les médecins qui ont créé les toutes premières maisons de santé pluriprofessionnelles. Je pense que nous devons laisser les professionnels s’organiser, les écouter et les aider.
Les municipalités disposent d’un outil peu connu des médecins, qui est le contrat local de santé (CLS). À quoi sert-il ?
Tous les territoires ne sont pas couverts par un CLS alors que c’est un outil utile. Son élaboration permet à tous les acteurs de la santé (professionnels, institutionnels, associatifs) de se rencontrer. Il s’ouvre par un diagnostic territorial et se décline en fiches-actions. Cette démarche permet notamment de décharger les médecins de l’administratif sur un projet puisque les animateurs du CLS vont chercher pour eux les financements existants et les flécher vers le projet. Les communautés professionnelles territoriales de santé (CPTS) pourront tout à fait s’intégrer dans ces CLS.
Sur quels sujets prioritairement a travaillé la commission de santé de l’AMF pendant la mandature qui s’achève ?
Nous avons réfléchi aux questions de démographie médicale et demandons à pouvoir davantage dialoguer avec les ARS. Nous regrettons aussi cette impression d’avoir été éjectés des conseils d’administration des hôpitaux. Si les hôpitaux de proximité prévus par la loi de santé correspondent à une montée en gamme des hôpitaux locaux, cela nous va. Nous allons tous être très vigilants sur ce point. Le dernier sujet de préoccupation majeure est le maintien du tissu officinal. Nous pensons que le quota de 2 600 habitants pour avoir le droit d’ouvrir une pharmacie n’a pas toujours de sens en milieu rural.
On entend toujours beaucoup d’élus locaux plaider pour la coercition à l’installation des jeunes médecins ou la régulation des installations. Est-ce un point de vue majoritaire ?
C’est bien sûr quelque chose qu’on entend chez les collègues, mais je ne partage pas ce point de vue. Je ne crois pas qu’on puisse contraindre un médecin à s’installer là où il n’a pas envie de vivre. Tous les pays qui l’ont essayé ont constaté son inefficacité. Il faut davantage miser sur l’attractivité des territoires. Les mesures prises sous la présidence de Nicolas Sarkozy commencent à produire leurs effets. Il faudra encore du temps pour que celles prises sous les quinquennats suivants atteignent leur but. Nous avons cependant eu des déceptions, notamment quand des médecins qui ont touché des bourses pendant leurs études préfèrent les rembourser plutôt que de s’installer là où ils s’étaient engagés à le faire. Dans ma région, le Centre-Val de Loire, j’ai aussi été très frappée de constater qu’à la faculté de médecine de Tours les étudiants des départements les plus ruraux, à savoir le Cher et l’Indre, sont moins représentés. Je pense qu’il y a une piste de réflexion à creuser.

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