PMA : "Au nom de quel principe éthique refuserait-on l’accès aux femmes ?", s'interroge Jean-François Delfraissy, président du CCNE

25/07/2019 Par Dr Alain Trébucq
Interview exclusive
Extension de la PMA, levée d'anonymat après un don de gamètes, gestation pour autrui, tests génétiques : autant de sujets abordées par le conseil consultatif national d'éthique (CCNE) lors de ses états généraux de 2018. Le travail des Sages a servi de fondement à la prochaine révision de la loi de bioéthique, qui sera présentée au Parlement à la rentrée. Le débat s'annonce mouvementé, comme toujours lorsqu'il a trait aux fondamentaux de la société. C’est dans ce contexte que le Pr Jean-François Delfraissy, président du CCNE, a accordé l’entretien suivant, réalisé le 23 mai 2019 et publié dans le numéro de juin des Tribunes de la santé.

  Tribunes de la santé : Pourquoi réviser la loi de bioéthique ? Cette révision peut sembler davantage dictée par des évolutions sociétales plutôt que médicales. Pr Jean-François Delfraissy : Je ne partage pas ce point de vue car on sait que la science avance vite, de plus en plus vite, au point que le renouvellement des connaissances est actuellement de l’ordre de 50 % tous les cinq ans, en particulier dans le domaine du biomédical. Réviser la loi de bioéthique tous les cinq ans semble être un rythme raisonnable, défendu par le CCNE, une telle révision permettant d’intégrer les avancées du biomédical. Ce processus de révision est néanmoins un équilibre difficile entre avancées scientifiques, qui ne sont pas forcément source de progrès, et évolutions sociétales, la société française de 2019 étant bien différente de celle d’il y a trente ans, on aura l’occasion d’en parler à propos de la procréation. Comme le précise la loi, une telle révision doit être précédée d’un débat public sous forme d’états généraux. Ceux-ci dorénavant organisés par le CCNE se sont tenus au premier semestre 2018, réunissant le sachant, le politique et le citoyen. Le CCNE s’est ensuite proposé de construire un avis (avis 129, en date du 25 septembre 2018) sur tous les thèmes qui ont été débattus, s’appuyant sur l’ensemble des opinions émises lors de la consultation et en conjugaison avec les principales conclusions de ses travaux antérieurs. Cet avis – et la réflexion qu’il contient – est avant tout une table d’orientation, sur le contexte, les repères, les principaux sujets, les perspectives d’avenir. Il est conçu à la fois pour la société civile qui s’était fortement mobilisée dans le débat public et pour les acteurs publics qui s’apprêtent à construire, à proposer puis à voter la nouvelle loi de bioéthique.  

Jean-François Delfraissy : la bio express

  • Né le 19 mai 1948.
  • 1972 : interne des hôpitaux de Paris.
  • 1988 : professeur d’immunologie et de médecine interne.
  • 2005 : directeur de l'Agence nationale de recherches sur le sida et les hépatites virales, et parallèlement directeur de l'Institut des maladies infectieuses de l'Inserm.
  • 2014 : nommé par le Premier ministre coordinateur interministériel de l’ensemble des opérations internationales et nationales de réponse à l’épidémie d’Ebola.
  • Depuis 2016 : président du Comité consultatif national d’éthique.

  Faut-il maintenir l’interdiction de la gestation pour autrui (GPA) alors qu’elle est autorisée dans certains pays, notamment au sein même de l’Union européenne ? La science est internationale, l’éthique ne l’est pas ! Et même s’il serait assez logique de parvenir à adopter une certaine vision européenne de la bioéthique, il persiste des différences liées à des causes culturelles, historiques ou religieuses. Tout comme la France, l’Espagne a une culture d’origine chrétienne mais, malgré cela, ce pays voisin a des positions très différentes des nôtres en matière de procréation. Autre pays voisin, la Belgique est souvent citée en raison de ses choix différents des nôtres sur la question de la fin de vie.

La non-marchandisation du corps reste une ligne rouge qui ne doit pas être franchie

La construction de la bioéthique pose des questions qui souvent n’ont pas de réponses tranchées mais il faut savoir parfois avancer vers des prises de position en s’appuyant sur des valeurs intangibles, comme la non-marchandisation du corps. Certes, on comprend bien que le mariage pour tous a représenté une évolution sociétale importante, ayant ouvert la voie au débat sur la GPA. Des personnes LGBT expriment une demande en la matière et, comme chacun le sait, j’entretiens avec cette communauté des relations de longue date. Mais, tout en respectant ces personnes et les enfants nés de la GPA, autorisée dans d’autres pays que le nôtre, la non-marchandisation du corps reste pour le CCNE une ligne rouge qui ne doit pas être franchie. Certes, certains évoqueront les conditions juridiques très strictes qui encadrent la GPA aux États-Unis, au Canada ou au Royaume-Uni mais on pourrait leur opposer des pays du Sud-Est asiatique où existent des "fermes à GPA" dans lesquelles de très jeunes femmes sont accueillies pour deux ou trois grossesses dans des conditions inacceptables. Le CCNE est donc très clair sur la GPA : d’un côté on a la non-marchandisation des corps, de l’autre l’autonomie des personnes, il a paru au CCNE que le premier dominait nettement le second.   L’accès à la procréation médicalement assistée (PMA) doit-il être ouvert aux couples de femmes et aux femmes seules ? Pour quelles raisons ? La PMA est une technique déjà ancienne avec une acceptabilité sociale qui ne l’est pas moins. Il y a aujourd’hui une demande forte de PMA de la part de femmes seules ou de femmes en couple. Au nom de quel principe éthique leur refuserait-on l’accès à cette technique ? Certains s’y opposent au nom du devenir des enfants nés grâce à la PMA au sein d’une famille monoparentale ou d’un couple de femmes. Mais il n’y a aucune certitude à ce propos, de courtes études comportementales, en sciences humaines et sociales, existent, notamment aux États-Unis, sans conclusion probante. Et quand on sait que près d’un couple sur deux a divorcé au bout de cinq ans, quand on analyse les évolutions sociétales vis-à-vis de la notion de couple et de sexualité, quand on ignore si tel modèle familial favorise davantage le devenir de l’enfant, on ne voit pas quel principe éthique pourrait être opposé à l’accès des femmes seules ou en couple à la PMA. Certes, cette position du CCNE ne signifie pas l’adhésion de tous ses membres (il y a eu une position minoritaire), certains pouvant craindre les conséquences pour l’enfant d’une institutionnalisation de l’absence de père. Toutefois, la position du CCNE n’est pas sans points de vigilance, notamment la rareté actuelle des gamètes, qui risque de provoquer un allongement des délais d’attente.

Il reste cependant des points à trancher, en particulier sur les modalités. Faut-il rembourser l’acte de PMA pour les femmes seules ou en couple ? Une telle évolution pourrait-elle mettre en péril la notion même de médecine faite pour soigner, au profit d’une médecine de services à la personne ?   Pour rester dans le domaine de la procréation, faut-il lever l’anonymat des dons afin d’ouvrir le droit à connaître ses origines ? Cette question est une parfaite illustration des débats autour de la bioéthique, débats qui évoluent entre avancées technologiques et sociétales. On a un dogme en France, celui du don anonyme et gratuit, dogme sur lesquels reposent les Cecos [centres d’études et de conservation des ovocytes et du sperme, au nombre de 29 en France, NDLR]. Mais d’un autre côté, on a un désir individuel d’autonomie, sachant qu’environ 60 % des enfants nés de ces dons en sont informés à l’adolescence et que certains revendiquent un droit d’accès à leurs origines. Si ces enfants s’adressent à un Cecos, ils obtiennent une fin de non-recevoir, en respect de l’anonymat du don. Le progrès technologique impose de nuancer la position adoptée par le CCNE en 2005, la recommandation faite alors étant de respecter l’anonymat des donneurs et receveurs mais de permettre que l’enfant ait accès à des informations non identifiantes en maintenant l’anonymat des donneurs.

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Avec les banques de données mondiales qui se constituent, notamment aux États-Unis sous l’impulsion des Mormons, avec les start-up qui proposent pour moins de 200 dollars un séquençage génomique dont le résultat sera ensuite confronté à ces banques de données, maintenir l’anonymat serait nier l’existence de ces avancées, qui encore une fois ne sont pas forcément synonymes de progrès. Le dogme de l’anonymat est progressivement remis en cause par les avancées technologiques et, dans le même temps, on ne voit pas au nom de quel principe éthique la levée de l’anonymat ne serait pas décidée. Aussi le CCNE souhaite que soit rendue possible, avec prudence, la levée de l’anonymat des futurs donneurs de sperme, pour les enfants issus de ces dons.   Le dépistage préconceptionnel doit-il être étendu comme c’est déjà le cas en Espagne ? Là encore, sous la pression du progrès technologique, notamment du séquençage génomique haut débit dont le coût est désormais très abordable, la question se pose. On pourrait ne pas bouger au prétexte que cette technologie permettrait d’éliminer les plus faibles, avec un risque de dérive vers l’eugénisme. Il faut savoir entendre cette position mais aussi voir que ce séquençage haut débit est réalisable hors de France, via Internet. Et même s’il est interdit par le législateur français, force est de reconnaître qu’on est dans l’incapacité de faire respecter un tel interdit. En conséquence, entre tout interdire ou tout autoriser, le CCNE souhaite que le diagnostic génétique préconceptionnel puisse être en quelque sorte "remédicalisé" et autorisé à toutes les personnes en âge de procréer qui le souhaitent mais après une consultation de génétique. Ce diagnostic préconceptionnel reposerait sur le dépistage des porteurs sains de mutations responsables de maladies héréditaires monogéniques graves, et non polygéniques. L’encadrement d’un tel dépistage préconceptionnel par une consultation de génétique permettrait de rappeler aux personnes que notre vie et notre avenir ne se résument pas à notre génome !   Les tests génétiques non contrôlés, auto-prescrits, se développent, notamment aux États-Unis. Faut-il en encadrer l’usage ? Avant d’envisager un cadre à de tels tests, il faudrait en connaître les possibilités et en mesurer les conséquences. Le CCNE souhaite donc que soit très rapidement mise en place une étude pilote portant sur plusieurs régions et sur des tranches d’âge différentes afin d’évaluer les conséquences en termes de santé publique, de retentissement psychologique et de coût, de l’extension du dépistage génétique à la population générale.   Comment faire pour augmenter les transplantations d’organes ? En parler, en parler, en parler encore ! Le modèle français, encadré par l’Agence de la biomédecine, est très solide.

Cependant, des signaux inquiétants existent, notamment une baisse des dons observée en 2018 et surtout, pas d’augmentation du nombre de donneurs vivants, contrairement à ce qui est observé chez certains de nos voisins européens. Le CCNE souhaite donc la poursuite des campagnes d’information sur le don d’organes, dont la gratuité doit être maintenue alors que l’on assiste à leur marchandisation dans certains pays. La collaboration avec le milieu associatif est dans ce domaine une priorité.   Comment s’ouvrir à l’innovation en intelligence artificielle en santé en maîtrisant les risques éthiques associés ? En fixant le cadre des états généraux de la bioéthique, le CCNE l’avait ouvert à deux nouveaux sujets désormais essentiels, le numérique et l’environnement. Ce sont deux domaines qui interagissent désormais avec la santé et dont l’importance pourrait être soulignée dans un propos introductif de la prochaine loi de bioéthique. Le numérique en santé, cela va de la robotique au big data en passant par l’intelligence artificielle, des domaines qui vont profondément transformer l’exercice de la médecine mais aussi la relation entre les patients et leurs soignants. Le CCNE n’est pas inquiet par cela mais met en exergue au moins deux points de vigilance. Le premier, c’est la notion de consentement, notamment celui donné au moment d’entrer dans une grande base de données.

Le "non éthique" serait surtout de freiner l’entrée de la médecine dans l'ère du numérique

Le second, c’est la notion d’inégalité d’accès au numérique, notamment pour les personnes vulnérables, âgées ou défavorisées. Pour ne prendre qu’un exemple simple, il ne faudrait pas que ces personnes soient demain en difficulté pour prendre un rendez-vous à l’hôpital ou chez leur médecin ! Le CCNE propose que soit inscrit au niveau législatif le principe fondamental d’une garantie humaine du numérique en santé, c’est-à-dire la supervision humaine de toute utilisation du numérique en santé, et l’obligation d’instaurer, pour toute personne le souhaitant et à tout moment, la possibilité d’un contact humain en mesure de lui transmettre l’ensemble des informations concernant les modalités d’utilisation du numérique dans le cadre de son parcours de soins. Pour conclure sur cette question du numérique en santé, le "non éthique" serait surtout de freiner l’entrée de la médecine dans cette ère du numérique, si prometteuse pour chacun de nous.  

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