Cet article a initialement été publié sur le blog de Litthérapeute. "Bonjour, je vous présente Litthé, qui est interne en médecine générale…" Regards entendus, consentement implicite. Parfois, un sourcil se fronce, et on précise "est-ce que vous êtes d’accord pour qu’il assiste à la consultation ?". Un oui, un non. Parfois un oui qui veut dire non, alors, on insiste : "vous êtes sûr ? Il peut sortir, ça ne pose aucun problème, c’est vous qui décidez". *** "Bonjour, voici Litthé, interne en médecine générale, nous sommes deux docteurs rien que pour vous aujourd’hui !" Je suis les pas du médecin. Avec ce dernier, l’accord est tacite. Parfois, je sens un malaise, et je demande si ma présence entraine un inconfort, comme pour rappeler la possibilité de me faire sortir. *** Avec lui, c’est moi qui vais chercher le patient dans la salle d’attente. J’appelle, je me présente rapidement. Le regard est souvent étonné, cachant un "tiens, c’est un remplaçant ?". Parfois, l’inquiétude est verbalisée sans détour. Et souvent, elle s’apaise lorsque la personne rentre dans le bureau où le médecin l’attend, assis. "Bonjour ! Voici un jeune collègue, Litthé, on est deux docteurs aujourd’hui !". Assis sur la chaise ou le tabouret prêt du bureau, j’observe. Comment fait-il ? Comment communique-t-il ? Comment gère-t-il sa consultation, ses relations, ses habitudes, son cabinet. Comment s’inscrit-il dans son milieu professionnel ? Comment perçoit-il sa mission, son rôle, son soin ? Quels mécanismes de pensée, quels algorithmes, quelle démarche suit-il ?
Celui-ci aime briser la glace avec ses patients qu’il connait depuis des années. Puis il questionne sur le motif de consultation. Puis il examine, ou me laisse examiner. Puis il demande la carte Vitale. Il clique ici et là sur son logiciel, distribue les éventuelles ordonnances qu’il aime remplir, et fait payer. Lui garde les tickets du terminal de carte bleue, annote le nom du patient, les entasse sous la descente de son imprimante de secours. Il ne se lève que rarement, laissant au patient le soin de sortir du bureau en refermant la porte. Il débriefe après chaque consultation, rapidement. Il met beaucoup son exercice en perspective avec le fonctionnement (ou dysfonctionnement) du système de santé. La prise de tension artérielle n’est pas systématique, il préfère nettement l’automesure à domicile, mais il sait en user pour sa valeur symbolique, avec certaines personnes pour lesquelles il sait que c’est important, symboliquement. Il a des consultations spécifiques, plus longue, pour de la psychothérapie.
Celle-ci aime que les patients restent confortablement et tranquillement assis pendant qu’ils discutent, avant de leur prendre la tension artérielle, conformément aux recommandations qui préconisent une position assise ou allongée pendant plusieurs minutes, et ainsi, éviter de faire se lever la personne jusqu’à la table d’examen. Parfois, certaines personnes se relèvent pour retirer manteau, pulls, et ils échangent alors un sourire entendu, l’air de dire, "oups, j’avais oublié – ce n’est pas grave". Elle demande la carte vitale rapidement pour ouvrir le dossier informatique. Les consultations durent légèrement plus longtemps. On a le temps d’effleurer respectueusement cette mystérieuse et fascinante dimension psychique, si indispensable, et je crois qu’on partage cet intérêt. Comme celui pour les dénomination communes internationales des médicaments, sur lesquels elle m’interroge systématiquement (classe, rôle, voire intérêt en pratique) en parcourant les ordonnances. Les consultations sont deux fois plus longues avec les enfants. Elle ne prend pas la carte bleue, et apprécie d’observer ses patients, notamment âgés, écrire le chèque. Cela peut être si informatif parfois. Sur un coin du bureau, plus d’une dizaine de figurines offertes par ses patients, attirent les regards des petits et des grands. Des couleurs, des animaux, des fleurs, de la vie.
Celle-ci aime que les choses avancent. Elle aime également se former à différentes techniques qui viennent colorer son exercice : frottis, échographie ou encore télémédecine. Elle prend la carte Vitale plutôt vers la fin. Elle ne garde pas le deuxième ticket du terminal de carte bleue. Les consultations sont peut-être un peu plus courtes, plus centrées sur la problématique présentée par la personne au début de la consultation. Elle évoque souvent les réseaux de professionnels avec lesquels elle travaille et s’implique. Le désordre sur son bureau est peut-être un peu plus étalé que celui des autres. Et encore, qui suis-je pour juger ? S’ils voyaient l’état de mon propre bureau…
Assis sur le côté, je regarde. Les échanges, les mots, les attitudes, les habitudes. Je repère les consultations qui plaisent, celles qui plaisent moins, celles qui déplaisent. Les patients habitués, les patients nouveaux, les patients qui font fi de ces habitudes tacites, les patients qui s’accordent, dissonent ou s’opposent à cette mystérieuse fonction apostolique de leur généraliste. Je vois les compétences spécifiques que le généraliste peut parfois mettre en avant, parfois déployer consciemment, parfois presque malgré lui, où que les patients sollicitent chez lui : vous êtes hypnothérapeute ? Tabacologue ? Échographiste ? Ce sont les premiers jours, alors j’apprends aussi à entrer en contact avec les généralistes, tous si particuliers, qui me supervisent. Chacune de leurs personnalités est, bien entendue, unique. Aussi unique que les patients qui les consultent. Et en même temps, avec chacun leur singularité que, comme pour respecter une sorte d’écologie d’un système généraliste-patient-contexte, je crois devoir appréhender, au moins dans les contours, afin de ne pas trop déséquilibrer l’ensemble. Afin d’en honorer la subtile harmonie, si belle, si intéressante, à observer. Certains débriefent après chaque consultation. D’autres attendent la fin de la journée. Ils vous soulignent certains aspects, souvent en regard de leur appétence pour le système de santé, l’organisation des soins, la relation thérapeutique, l’organicité, une technique particulière, une recherche récente, une lecture… Parfois, dans l’échange, un moment de leur vie personnelle transparait, un coup de téléphone, parfois même la consultation d’un proche qui s’immisce entre deux. La femme, ou l’homme, derrière le médecin surgit, et rassure autant qu’inquiète : s’ils accomplissent leur mission, bien que choisie, d’accueillir dans leur quotidien de médecin un jeune interne à former, qu’en est-il de cette relation humaine qui opère entre deux personnes amenées à passer six mois, quelques jours chaque semaine, l’une avec l’autre ?
Puis, progressivement, avec l’invitation de mes maîtres de stage, je m’invite dans ce "colloque singulier", qui se transforme alors en une sorte de trinôme. Au début, les regards jaugent le "nouveau", sorte d’intru dans une relation de confiance et de confidence. Puis ils l’oublient, même quand il intervient, se concentrant sur le généraliste comme pour attendre une validation des propos tenus, de l’examen pratiqué, des résultats annoncés. C’est un peu variable selon les personnalités. Lorsqu’on se revoit, l’évaluation initiale est moindre, la recherche de validation également. On repère aussi ses difficultés avec certaines catégories de patients : les bébés, par exemple, faute, le plus souvent, de formation… Certaines personnes vous feront clairement sentir que si elles tolèrent votre présence, elles ne veulent entendre et interagir qu’avec leur médecin. C’est le cas, par exemple, de Mme F. qui, à mon "Que peut-on faire pour vous ?" laisse planer un silence, les bras croisés, et répond : "Je suis vraiment désolé, mais je voudrais parler à mon docteur, ce n’est pas contre vous hein…". Ou de M. A., qui sera plus direct – "Alors non, j’ai pas fait tant de kilomètres pour vous parler à vous" – mais tout aussi légitime. Alors on s’efface, et on reprend la place d’observateur, et on cultive l’humilité. Mais ceci, ce n’est plus simplement "observer", alors ce sera pour le prochain billet…
Observer, découvrir, apprendre. Comme le premier temps de l’examen clinique. Comme un genre de sociologue, soucieux de ne pas perturber le milieu qu’il vise à étudier. Et notamment parce qu’on va y prendre part, respectueusement, délicatement. Pas pour imposer notre présence, mais, idéalement, pour la proposer, conscient que nous ne sommes que de passage. Mais quel passage. Quel bouleversement dans nos esprits si habitués au monde hospitalier qu’on perd de vue l’avant, la vie des gens, leur capacité aussi à traverser la maladie et les épreuves de la vie en choisissant ou non, par eux-mêmes, d’entrer par la porte dans le cabinet du médecin, et d’y repartir. Et tout ce qui se joue dans ces quelques minutes, qui bien qu’anodines de loin, recèlent de mystères, de merveilles et d’importance pour certains, quand on les observe d’un peu plus près.
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