Pour défendre des médecins "de plus en plus contrôlés, sanctionnés, dirigés", il attaque la CPAM

26/02/2019 Par Aveline Marques
Et si les médecins de ville n'étaient plus vraiment des libéraux ? C'est la question, ouvertement dérangeante, que le Syndicat des médecins d'Aix et région (Smaer) entend poser au Conseil des prud'hommes de Marseille. Dénonçant le glissement vers une médecine étatique, le syndicat réclame la requalification de la convention médicale en contrat de travail.

  Disons-le tout de suite : l'action a peu de chances d'aboutir. Mais si le Dr Daniel Latil d'Albertas, président du Smaer, a décidé de "pousser le bouchon" jusque devant les prud'hommes, c'est avant tout pour "réveiller les consciences". Installé depuis 1992 à Aix-en-Provence, cet ORL observe avec désespoir le glissement de la médecine libérale vers une médecine "de plus en plus contrôlée, sanctionnée, dirigée" par les CPAM. "Surtout les généralistes. Ça épargne pour l'instant les autres spécialistes, mais ça va venir", présage-t-il. Tarifs d'autorité fixés par la convention, chasse aux dépassements d'honoraires, contrôle des prescriptions d'arrêts, de transports, de génériques et autres médicaments, mise en place de la Rosp… "Nous nous trouvons soumis à de telles sujétions de la part de l'Assurance maladie que nous ne sommes plus, ni plus ni moins, que des salariés cadres", relève le président du syndicat dans un courrier adressé à ses confrères le 14 février dernier. D'où l'idée d'une saisine du Conseil des prud'hommes de Marseille pour requalifier la relation de travail avec l'Assurance maladie en "contrat de travail".

Le syndicat affirme disposer d'"éléments concrets" et d'"arguments solides" pour faire valoir cette demande "au regard de la définition du contrat de travail". D'après l'Insee, "un contrat de travail existe dès lors qu'une personne s'engage à travailler, moyennant rémunération, pour le compte et sous les ordres et le contrôle d'une autre personne dans une entreprise privée". Rémunération, ordre, contrôle, voire sanctions… autant d'éléments qui fondent aujourd'hui la relation entre un médecin libéral et la CPAM, estime le Dr Latil d'Albertas. Exerçant en secteur 2, le spécialiste a "toujours refusé les aides de la Sécu", que ce soit la Rosp ou le forfait structure. "Je ne veux pas devenir un chasseur de primes", déclare-t-il, prenant ses distances avec ces médecins "spécialistes du forfait", qui "surveillent sur leur écran leurs prescriptions de fond d'œil pour toucher le maximum". "Je n'envisage pas la médecine dans ce cadre", lance-t-il. Pour le syndicaliste, "le médecin doit pouvoir vivre de ses consultations, pas de forfaits… surtout s'ils sont payés par des institutions en déficit chronique". Il milite donc pour un tarif de consultation "au niveau européen", soit 50 à 60 euros. Ses honoraires libres lui permettent de salarier une secrétaire, une femme de ménage, de s'équiper… bref de "gérer son entreprise". Ce qui est impossible en secteur 1, estime-t-il, citant le cas, emblématique, du centre médical mutualiste d'Aix-en-Provence qui a dû fermer ses portes en janvier faute d'être rentable. "Ou alors il faut faire de l'abattage et revoir les patients trois fois pour des pathologies différentes et leur dire 'faites une radio, un bilan biologique et revenez'". "Moi, je prends le temps d'interroger le patient, de le prendre en charge dans son intégralité, de tout régler en une seule consultation. C'est là que vous allez être pertinent", souligne-t-il.

Comme nombre de ses confrères, le Dr Latil d'Albertas a été scandalisé par la volonté affichée par la Cnam de conditionner le financement de postes d'assistants médicaux à une augmentation de la cadence horaire des médecins. "Six patients par heure… En dix minutes, vous ne faites rien ! Moi je suis ORL et un quart d'heure, c'est vraiment le minimum et la plupart du temps c'est 30 minutes." Le spécialiste voit également d'un très mauvais œil les forfaits de suivi de pathologies chroniques et autres paiements à la qualité plébiscités par le rapport Aubert sur le financement des soins. "A un moment donné, il faut se poser la question : est-ce qu'on ne va pas trop loin?", interroge le médecin. Pour l'heure, une centaine de médecins se sont joints à son combat. "J'espère que d'ici fin mars, début avril, nous pourrons faire une saisine des prud'hommes et que tous les départements suivront", confie-t-il. "Je ne comprends pas que les gens ne se révoltent pas… Il faut prendre conscience que cette évolution est mauvaise, pour les médecins, pour les patients et même pour les finances publiques."   Pour contacter le Dr Latil d'Albertas : d.dalbertas@gmail.com

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