"Mal en bas, docteur": quiproquo autour d'un toucher rectal

18/07/2013
Témoignage

Le Dr Benjamin Daniels est un médecin frustré, embarrasé, déconcerté et, le plus souvent, très drôle. Chaque samedi au mois de juillet, retrouvez l'une de ses "confessions".   Les examens intimes sont parfois gênants, tant pour le médecin que pour son malade. Dieu merci, une bonne explication et des propos rassurants facilitent grandement la procédure. Lorsque le patient ne parle pas très bien anglais [le Dr Daniels exerce en Grande-Bretagne, NDLR], la situation tourne parfois à l’embarras. Tel est le scénario que je vis avec Olga, une jeune Bulgare venue en consultation. - "Mal en bas, docteur", m’annonce-t-elle avec un accent à couper au couteau. Je m’enquiers du type de souffrances qu’elle éprouve. Y a-t-il un lien avec les selles ? Des traces de sang dans les urines ? Bref, autant de questions banales destinées à donner au praticien une idée assez juste du diagnostic. Le souci, c’est que chacune est reçue par une confusion mutique. Si Olga a réussi à dire "mal en bas", elle ne comprend pas un traître mot de ce que je lui raconte. Malgré mes brillantes tentatives pour mimer la diarrhée ou la constipation, le tout à l’aide de diagrammes, de bruits et de grimaces, je n’avance pas d’un pouce. Ébranlé par mon inutilité soudaine, je n’ai plus comme solution que de l’ausculter. Je l’invite du geste à se diriger vers la table et dis : "EXAMEN" très lentement et très fort. Cette fois, elle semble percuter. Je tire le rideau sur elle afin de la laisser se dévêtir en toute intimité. Comme le sauront ceux qui parmi vous ont eu la malchance de devoir se faire examiner le derrière par leur toubib, nous attendons en général que vous baissiez culotte, sautiez sur la table, vous couchiez sur le flanc en remontant les genoux sous le menton, dos tourné au médecin. Personnellement, je dissimule souvent mes malades sous une couverture, par pudeur. D’habitude, l’épreuve se révèle rapide et indolore – pour moi en tout cas. Hélas, il semble qu’on procède tout autrement en Bulgarie. En effet, quand je tire de nouveau la tenture de séparation, je découvre une Olga nue de la taille aux pieds, cassée en deux sous la table et le derrière en l’air. - "Non, non ! m’exclamé-je. Montez sur la table. DESSUS !" Je renouvelle l’opération du rideau, attends quelques secondes, y retourne. Cette fois, Olga est à quatre pattes, les fesses toujours dressées vers le plafond. Après bien des gesticulations et des explications, nous n’avons pas progressé d’un pas. À défaut d’arguments, je lui intime de descendre de son perchoir et m’y place dans la bonne position. - "Comme ça, vous voyez ?" Je suis allongé sur ma table d’examen, tandis que ma patiente à demi-nue me contemple avec des yeux ronds. Pour le coup, je suis extrêmement soulagé que la réceptionniste ne débarque pas avec une réconfortante tasse de thé. Je finis par pouvoir ausculter les fesses d’Olga pour ne rien déceler d’anormal. En théorie, je devrais également procéder à un toucher rectal, mais la malheureuse en a déjà assez subi comme ça pour aujourd’hui ; lui insérer mon doigt dans le derrière sans qu’elle soit en mesure de piger pourquoi je m’adonne à cette drôle de pratique me semble un peu injuste, limite abusif. Je parviens à lui fixer un autre rendez-vous, avec un interprète. Elle ne l’honorera pas, peut-être parce qu’elle a perdu toute foi en moi.   Extrait de Confessions d'un médecin généraliste100 histoires vraies, drôles, émouvantes, Dr Benjamin Daniels, éditions Larousse.

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Stéphanie Beaujouan

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