A-t-on fait des erreurs ? Le Pr Lina tire les leçons de la pandémie de Covid
Egora : Virus "échappé" accidentellement du laboratoire P4 de Wuhan où une équipe chinoise travaillait sur les coronavirus, ou origine "naturelle" via un réservoir animal, connait-on aujourd’hui la vérité ?
Pr Bruno Lina : Ces deux hypothèses demeurent plausibles.
A titre personnel, l’origine naturelle me semble la plus vraisemblable et j’estime que de toute façon, c’est celle qu’il faut retenir par principe afin de ne pas baisser la garde au regard des risques de nouvelles émergences à partir de réservoirs animaux. Nous devons mettre en place des moyens de surveillance, dans un concept One Health, nous permettant de lutter efficacement contre ce risque auquel nous sommes exposés depuis plusieurs années.
A-t-on des pistes en ce qui concerne le passage à l’homme du Sars-Cov-2 ?
Si ce virus provient d’un réservoir animal, il n’est pas passé directement de la chauve-souris (chez laquelle on a isolé un virus proche du Sars-Cov-2) à l’homme. Parmi les candidats potentiels des hôtes intermédiaires figurent en bonne place les chiens viverrins*, élevés par les Chinois notamment pour leur fourrure. En effet, un article récemment publié fait état de la co-détection de séquences génétiques de ces animaux avec des séquences du Sars-CoV-2 dans des prélèvements environnementaux réalisés dans l’épicentre du début de la pandémie (le marché de Wuhan).
Pouvez-vous nous rappeler les principales étapes de ce qui allait devenir la pandémie ?
Toute commence en décembre 2019 par l’identification de cas d’infections respiratoires en Chine, infections causées par un nouveau pathogène identifié environ 5 semaines après la description des premiers cas ; pour mémoire, en 2003 il avait fallu 4 mois pour identifier le virus du Sras. A ce stade, il était encore très difficile de prévoir que cela pourrait préluder en quelques semaines à une pandémie d’une infection caractérisée par une mortalité élevée et un recours massif à la réanimation. D’autant que les Chinois affirmaient alors maîtriser la situation. Cela était plausible, car la diffusion antérieure de deux autres coronavirus, le Sars-CoV-1 en 2003 et le Mers-CoV en 2012, avait été efficacement contrôlée ; mais à ce moment on ne connaissait pas encore la biologie et les modalités de transmission du Sars-CoV-2.
Les cinq premiers cas français ont été détectés fin janvier 2020, sans cas secondaires à partir des cas index. Un point important est qu’alors les informations disponibles étaient en faveur d’une contagiosité des personnes infectées seulement après qu’elles sont devenues symptomatiques.
Un premier foyer en France était détecté le 7 février 2020 aux Contamines-Montjoie, en Rhône-Alpes. Les 174 habitants de la station ont été alors soumis très rapidement à un dépistage et ce cluster ne s’est pas étendu.
A la mi-février, on avait l’impression que la logique d’extinction (dépister/circonscrire) était tenable. Mais à la fin de ce même mois, l’Italie – qui avait pris le parti de ne pas confiner strictement les patients – voit le nombre de cas exploser avec une saturation des services de réanimation.
Par ailleurs, deux événements ont précipité les choses en France. D’abord, le cluster de Covid-19 qui s’est développé en février au sein du rassemblement évangélique qui avait réuni pendant plusieurs jours plus de 2 000 participants à Mulhouse et auquel avaient participé des personnes infectées. Le taux d’attaque a été estimé à 30%. Après que les participants sont rentrés chez eux, cela a entrainé en quelques jours une dissémination explosive des cas dans différentes régions, en France et dans d’autres pays.
Enfin, un second événement important a été l’identification d’un décès dû au Covid à Crépy-en-Valois. Ce cas inattendu a permis la prise de conscience de l’existence...
très probable de chaînes de transmission cryptiques, silencieuses, dans le nord de la région parisienne. Il n’était plus possible de prétendre contrôler, et, dès début mars, on savait qu’on n’échapperait pas à une pandémie.
Au total, on est passés en 3 semaines d’un sentiment de maîtrise possible à la certitude qu’on ne maîtriserait pas. Pour moi, la bascule s’est opérée fin février 2020.
Avec le recul, quelles sont les mesures qui ont été les plus efficaces et ce que l’on aurait pu faire différemment ?
Il est très clair que c’est le confinement très strict – heureusement bien observé – qui a sauvé in extremis le système hospitalier, en permettant de casser les chaînes de transmission et la croissance exponentielle du nombre de cas. Je rappelle qu’à ce moment près de 40% des hommes de plus de 70 ans infectés finissaient en réanimation ! Avec les moyens de l’époque, le confinement a été la mesure la plus efficace ; sans sous-estimer ses effets secondaires et ses conséquences, la désocialisation de nombreuses personnes, notamment.
La compréhension rapide du rôle des gouttelettes dans la transmission a fait du port généralisé du masque chirurgical la deuxième mesure la plus efficace. D’autant qu’on a aussi compris progressivement qu’en raison de l’évolution virale de plus en plus de personnes infectées et asymptomatiques pouvaient transmettre activement le virus. Enfin, les mesures de distanciation et les mesures d’hygiène ont également joué leur rôle.
En revanche, il reste un vrai travail à faire en ce qui concerne l’amélioration de l’hygiène de l’air des espaces confinés, notamment les espaces où de nombreuses personnes restent statiques pendant un temps prolongé, comme les bureaux, les établissements scolaires et les salles de spectacles.
Quel regard portez-vous sur le dépistage ?
La pandémie a permis de faire prendre un essor considérable au dépistage. A titre d’exemple, en ce qui concerne mon laboratoire, début mars 2020, nous arrivions difficilement à traiter une centaine de PCR par jour. Dès la fin avril, soit un mois et demi après, l’Etat ayant équipé les laboratoires des CHU en machines automatisant la préparation des échantillons biologiques, nous étions en capacité d’en faire 3 000 par jour. Cette montée en puissance a permis une identification quasi exhaustive des patients et de faire ce que nous appelons le "contact pressing", autrement dit de tester tous les cas contact et de suivre la dynamique de l’épidémie. Nous nous sommes également concentrés sur le séquençage des virus. Comme on le sait, sont apparus ensuite les tests antigéniques parmi lesquels un tri a été nécessaire, car certains d’entre eux n’étaient vraiment pas à la hauteur. Au plus fort de la période Omicron ce ne sont pas moins de 1,4 million de tests PCR qui ont été réalisés au cours d’une seule semaine en France. Comme on le sait, nous connaissons en ce moment une petite reprise épidémique due au variant XBB 1.5 qui remplace progressivement les autres virus.
Il faut continuer à dépister et à séquencer les virus.
Que s’est-il passé d’un point de vue clinique ?
Au début, avec le variant initial Wuhan et surtout le variant D 614G, on a observé des atteintes respiratoires basses et les médecins ont redécouvert les formes cliniques et radiologiques de pneumonies virales graves (poumons blancs bilatéraux). Le variant Delta a été le plus pathogène.
Le remplacement du variant Delta par le variant Omicron, associé à un fort niveau d’immunisation collective – infections et vaccinations - a entraîné une bascule avec beaucoup moins d’atteintes respiratoires basses et beaucoup plus d’atteintes respiratoires hautes. Cela s’est accompagné d’une diminution très nette du nombre de formes graves.
L’avenir appartient-il aux vaccins à ARN messager ?
Bien que ces vaccins aient fait la preuve de leur efficacité, jointe à la rapidité de leur développement, il n’est pas certain qu’ils soient les mieux adaptés sur le long terme. Aujourd’hui, plusieurs types de vaccins sont disponibles, notamment des vaccins protéiques – parmi lesquels celui codéveloppé par Sanofi et GSK - et des vaccins VLP [pour virus-like particle, NDLR]. La grande question actuelle est de déterminer le meilleur schéma vaccinal, compte tenu de l’évolution virale et aussi de l’épidémiologie des virus au cours des mois d’été. Une reprise de la circulation étant attendue à l’automne/hiver, il est probable qu’il sera recommandé de faire à ce moment un rappel chez les plus fragiles.
Au-delà, la durée d’immunisation étant d’environ 6 mois, faudra-t-il faire des rappels tous les 6 mois ou seulement tous les ans – rappels qui pourraient notamment mettre à profit...
des vaccins trivalents covid/grippe/VRS en cours de développement ? La question est posée.
Peut-on dire que le Sars-Cov-2 est devenu maintenant un virus banal ?
Le virus se banalise, mais sans pour autant être devenu un virus banal car il continue de provoquer des formes graves chez les plus fragiles, comme les plus de 60 ans, les immunodéprimés, diabétiques, obèses… Et certaines personnes, bien qu’immunisées, ont encore des signes évocateurs d’un Covid long. Il est donc essentiel que les personnes fragiles maintiennent un niveau d’immunité élevé.
Le Covid-19 va-t-il disparaître ?
Certainement pas. La question est de savoir comment le virus va se comporter, comment il va évoluer. Va-t-il sévir en hiver comme la grippe ou être présent en permanence avec de petites poussées épidémiques de temps en temps, par exemple en automne, comme les rhinovirus ?
Jusqu’à BA.5, l’apparition d’un nouveau variant conduisait à une vague épidémique massive. On n’observe plus rien de tel et les variants les plus efficaces éliminent progressivement les autres et nous sommes actuellement plutôt dans un contexte d’évolution antigénique.
Alors que nous avons vu émerger un nouveau variant en moyenne tous les 4 mois, cela prendra peut-être 2 ans, voire plus.
Pour finir, quels messages souhaitez-vous transmettre aux médecins généralistes ?
D’abord continuer de dépister, systématiquement en ce qui concerne les patients les plus fragiles. Et ne pas hésiter à utiliser le Paxlovid le plus rapidement possible chez ces derniers car on sait que ce produit réduit significativement la fréquence des complications, notamment en cas d’échec vaccinal. Après les complications du début, sa prescription est devenue beaucoup plus simple.
En outre, un nouvel inhibiteur de polymérase, sans inhibiteur enzymatique associé, devrait être commercialisé cette année et enrichir la panoplie des antiviraux.
*Une espèce de mammifères carnivores ressemblant à un raton laveur mais faisant partie des canidés
La sélection de la rédaction
Les complémentaires santé doivent-elles arrêter de rembourser l'ostéopathie ?
Stéphanie Beaujouan
Non
Je vois beaucoup d'agressivité et de contre vérités dans les réponses pour une pratique qui existe depuis 1,5 siècle . La formatio... Lire plus