"Mes confrères sont en train de tuer leur métier à vouloir tout garder" : l'interview sans langue de bois de Guy Vallancien

27/03/2019 Par Yvan Pandelé
Ex-patron d'urologie à l'Institut mutualiste Montsouris, membre de l’Académie de médecine, le Pr Guy Vallancien est une voix qui compte dans le domaine de la santé. Récemment, l'éminent chirurgien s'est signalé en proposant de salarier les généralistes, actant la mort du modèle libéral. Egora.fr en a profité pour l'interroger sur sa vision de la médecine de demain ainsi que sur la loi de santé. Avis tranchés et formules fleuries au programme.

  Egora.fr Dans une récente tribune, vous proposez que les généralistes soient payés en salaire, en partant de l'idée que la médecine libérale est, de toute façon, déjà du salariat déguisé. Vous nous expliquez ? Guy Vallancien : Les médecins sont un des rares métiers du soin, avec les dentistes, qui se font payer par acte mais sont sûrs d’avoir du boulot, puisque c'est remboursé par la Sécu et que la consommation est captive. Ce n’est pas comme un commerçant, qui ferme s'il n'a aucun client, un architecte ou un avocat. Nous sommes subventionnés depuis la convention de 71, c'est comme ça : nous sommes des pseudo-salariés qui choisissons notre salaire. Ce n'est plus supportable. En revanche, il faut rester entrepreneuriaux : être capable de créer des cabinets, de les organiser. On peut garder la liberté d'entreprendre sous une forme salariée : c'est le cas de 30 millions de Français, ils n'ont pas l'impression de vendre leur âme à leur patron.

Que faites-vous du triptyque de la médecine libérale ? Il va s'écrouler. La liberté de prescription, l'arrivée massive des Amazon, Facebook et surtout Google va complètement changer les choses : vous ne ferez plus une ordonnance sans que les assureurs, via ces technologies, ne vérifient les ordonnances. Concernant la liberté d'installation, on ne peut plus supporter qu'il y ait autant de médecins près de l'eau et du soleil. Et on sait bien que le paiement à l'acte est inflationniste :  l'OCDE nous dit que 25 à 30 % des actes sont inutiles. Donc il faut arrêter tout ça. Nous sommes à 21 milliards d'euros de financement des libéraux, dont 9 pour les généralistes et 12 pour les spécialistes. Avec cette masse-là on peut faire beaucoup mieux, en acceptant de réduire d'un quart le nombre de médecins en dix ans.

"Il faut de vrais médecins assistants qui soient des infirmiers de niveau master"

  Proposition surprenante, en ces temps de désertification médicale. Oui c'est vrai ! Mais c'est absurde, je ne comprends pas la ministre. Elle dit vouloir 20 % de médecins en plus : ils vont sortir en 2030. D'ici là, vous verrez où en sera l'IA – il suffit de voir comment ça a déjà évolué en dix ans. Il faut multiplier les transferts de tâches, et pas deux ou trois tâches à la con que mes confrères ne veulent pas faire. Il faut de vrais médecins assistants qui soient des infirmiers de niveau master. Si on le décide, dans les deux ans, on peut mettre à disposition du pays 30 000 infirmiers-assistants médicaux ! Ils pourront s'installer ou passer de village en village pour assurer une grande majorité des soins.   Vous pensez à des sortes de "super IPA" ? Oui, j'en ai depuis dix ans. Chez moi [au service d'urologie de l'Institut Mutualiste Montsouris, NDLR], ce sont des infirmières qui assurent l’interrogatoire du malade. Elles le voient en premier, font l’examen clinique, l’échographie pelvienne, les prélèvements de sang et d'urine au besoin. Quand on voit le malade il a déjà mûri sa pathologie avec l'infirmière et on a une discussion beaucoup plus forte et intéressante. L'infirmière fait aussi le suivi et peut, si le patient va bien, represcrire des médicaments sans passer par moi.   Ce modèle fonctionne en chirurgie, mais peut-il se transposer à la médecine générale ?

Oui bien sûr. Plein de choses peuvent être suivies par l'infirmier-assistant médical : le diabète, les maladies neurodégénératives, le cancer et les maladies cardiovasculaires, les quatre grands pôles de maladies chroniques. Elles assureront au quotidien le suivi, une meilleure observance des traitements, parce que le médecin n'a pas le temps. C'est évident. Il faut multiplier ces personnels-là qui seraient très content de mailler le territoire, avec de vraies responsabilités. Ce sont de vrais nouveaux métiers.   Que pensez-vous de l'autorisation pour les pharmaciens et les sages-femmes de délivrer des médicaments à ordonnance obligatoire, dans certains cas comme les cystites aigues ? Voilà, c’est ça qu’il faut ! Un malade voit quatre fois plus son pharmacien que son médecin.  Et le médecin assistant infirmier pourrait très bien le faire aussi. Une cystite c’est une cystite ! On pourrait faire de même avec les certificats d'aptitude au sport aussi ou les arrêts de travail… Un kiné ne pourrait pas faire un arrêt de travail pour une entorse ? On délire. Mes confrères sont en train de tuer leur métier à vouloir tout garder. Et il y a une pression forte des plus toniques – infirmiers, pharmaciens, sages-femmes, orthoptistes… – qui veulent exercer à plein leur savoir.  

  Les syndicats libéraux assurent que le seul médecin est à même de poser un diagnostic en toute sécurité. Ils ne savent plus quoi chercher ! Dans la cystite, ce n'est pas le généraliste qui va prévenir la pyélonéphrite. L’antibiothérapie ce n’est pas difficile, on fait un ECBU. En plus les crises de cystite sont aussi bien psychogènes qu'infectieuses ou virales, on n'en sait rien mais on a des traitements minute. Si ça se passe mal la femme revient et on l’envoie vers le médecin. D'ailleurs les MG débordent de consultations, donc ça traine. On ne va pas attendre huit jours pour une cystite...

"Et là il faut les payer 100 000 euros par an !"

  Que devient le médecin, dans ce cas ? Il faut que le médecin soit la personne rare, celle qui résout les cas que ne peuvent pas traiter la machine ou le personnel assistant. Prenons l'exemple d'une biopsie de prostate : on trouve un cancer de tel grade, et l'IA évoque deux traitements : 89,9 % de chances de guérison avec la chirurgie et 90,1 % avec la radiothérapie. Vous faites quoi ? Là, vous allez voir le médecin ! C'est lui qui a l'expérience et qui va vous guider. Et c'est de la consultation lente, d'une demi-heure ou une heure.   Revenons au salaire. Comment devrait-on financer les généralistes, selon vous ? On peut avoir des modes de paiement différenciés non liés à l’acte, comme une part de capitation et une part au forfait partagée avec les autres opérateurs. Et on peut avoir une partie de salaire mensuel qui doit être à la hauteur de la responsabilité du médecin. Un MG c’est environ 78 000 euros par an de BNC avant impôt. Sur les 22 milliards de dépenses d’honoraires de l'assurance maladie, vous diminuez de 25 % le nombre de médecins pour passer de 105 000 libéraux à 80 000 – dont trois-quarts de généralistes. Et là il faut les payer 100 000 euros par an !   Et ils seront d'accord, selon vous ? Oui, car on offre des deux mains : on les augmente de 20 % et on paye de vrais assistants médicaux. Idem pour les spécialistes, payés un peu plus parce que les études sont un peu plus longues. Vous faites ça avec les jeunes. Le vieux ont toujours vécu avec le modèle libéral, on ne va pas les embêter. Mais vous ouvrez des centres de santé et des MSP et vous verrez qu'ils vont finir par venir aussi, et seront très utiles pour former les jeunes. Le syndicats seniors disent : nous on bosse 55 heures et eux vont bosser 35 heures, ce n'est pas possible. Mais si on les paye bien on pourra leur demander de travailler 45 ou 48 heures. C'est une question d'organisation, et à mon avis le gouvernement manque de vision là-dessus.   Ou peut-être le Gouvernement a-t-il pris le parti de ne pas brusquer les libéraux ? Oui mais à un moment ça va exploser, parce que ça ne résout rien. Je comprends très bien les députés vent debout parce qu'on met trois semaines à voir un généraliste chez eux. Donc il faut faire autrement, et on peut le faire vite. La Saône-et-Loire embauche déjà une trentaine des médecins salariés. Ce n'est pas du tout cochon d'être salarié. Moi j'ai fait les trois : libéral, hospitalier public et privé. Je n'ai pas vu de différence dans ma façon d’exercer la médecine.   C'est peu ou prou la proposition de la France insoumise… Je suis très mélenchonien ! (Rires.) Provocateur comme il est, il a employé le gros mot : "fonctionnariser les médecins". Bon, c'est ridicule de le prendre comme ça. Mais salariés ! L'immense majorité des gens sont salariés en France, ce n'est pas un problème. La jeune génération veut vivre : elle ne travaillera pas 55 heures comme la moyenne des généralistes aujourd'hui, mais peut-être 7-8 heures de moins. Et je ne trouve pas ça malsain, d'autant qu'il y a beaucoup plus de partage des tâches dans les couples aujourd'hui. Une jeune carabine aujourd'hui est souvent en couple avec quelqu'un de son niveau socioculturel, qui ne voudra pas habiter dans un village de 300 habitants. Les médecins habiteront dans des villes de moyenne importance et feront 20-30 kilomètres pour aller à la maison de santé.

"Mes chers confrères ne mesurent pas ce qui va leur tomber dessus avec l'IA"

  Proposez-vous un modèle à la britannique, où les médecins dépendraient d'un organisme d'État ? Je milite pour qu’on régionalise complètement le système et que les régions aient l’autorité sur les ARS, et non pas l'État depuis l'avenue de Ségur, où ils ne bougent pas de leur siège et ne savent pas ce qu'il se passe. Il faut que les régions aient l'argent de leur politique de santé. Donc une vraie décentralisation.   Que vous disent les médecins libéraux avec qui vous évoquez le sujet ? Il y a ceux qui disent : c’est intéressant et à creuser, parce qu'ils en ont ras le bol de l'abattage. Le C à 25 euros c’est scandaleux, il faut le reconnaître ! Enfin la consultation est plutôt à 31 euros maintenant, mais c'est peu au vu de la responsabilité. Sortons de ce système délétère. Ils seraient contents de pouvoir faire une médecine lente avec des assistants qui feraient jusqu'à la moitié du boulot. J'ai visité une maison de santé comme ça, c'est un autre monde, super sympa, où les gens prennent le temps de manger ensemble le midi et de se parler.   Et les syndicats libéraux ? Un président de syndicat m’a dit une fois : "tu as raison, mais je ne peux pas le dire".  Mais si on ne fait pas ça, nous allons vers ce que dit Kai-Fu Lee (ex-président de Google China, ndlr) : des médecins formés en quatre ans, un tiers infirmiers, un tiers technicien et un tiers empathiques… Et la messe est dite. Au lieu de proposer aux tutelles de tirer parti au mieux de l'enveloppe budgétaire dont on dispose, ils s’accrochent. Mes chers confrères ne mesurent pas ce qui va leur tomber dessus avec les possibilités thérapeutiques et diagnostiques de l'IA. On en rigole aujourd'hui mais ça va très vite.

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