Alors que le pic de la deuxième vague vient d’être atteint en France et que les professionnels de santé se battent depuis des mois contre le Covid-19, au détriment de leurs propres craintes, émotions et santé, cette blogueuse gastro-entérologue libérale pointe du doigt la charge mentale exceptionnellement pesante sur les épaules des soignants. Résignés, ils continuent à soigner malgré de trop nombreuses leçons qui n’ont pas été tirées de ces longs mois d’investissement. Billet initialement publié sur le Blog "Cris et chuchotements médicaux" par le Dr Lagneau, gastro-entérologue libérale. Il se produit et se reproduit un fait qui n’est jamais arrivé avant dans toute l’histoire de la médecine : 60% (à nouveau) puis presque 100% des hôpitaux remplis avec des malades présentant une seule et unique pathologie. Pour la première vague, on n’a pas eu le temps de le réaliser. C’était une course pour la médecine, un parcours du combattant avec de nombreux obstacles, mais que tous les soignants ont engagé avec vigueur car ils pensaient que leur investissement allait apporter la solution. Les médecins, les infirmières, les aides-soignants, unanimement, parce que c’est leur métier et leur vocation, se sont mis en mode sprint lors de la première vague de l’épidémie de Coronavirus. Ils pensaient (croyaient ? espéraient ?) ainsi régler le problème de cette maladie une fois pour toute. Pour réaliser le prodige d’augmenter l’offre de soins en réanimation, ils se sont adaptés, non seulement en investissant leur temps et leur énergie, mais en plus en prenant en main la direction des opérations médicales, en cassant les privilèges des décideurs non médicaux, des administratifs qui ne savent pas décider rapidement en situation de crise. Tout cela a été très éprouvant, très fatiguant.
La vague 1 a généré une forte fatigue, à la fois physique et morale. On ne se remet pas en quelques semaines d’horaires élargis, et d’émotions si intenses. Physiquement, les soignants ont fait de grands sacrifices lors de la première vague, travaillant jusqu’à plus de 50 h par semaine. La tension permanente de la prise en charge de patients si graves avec une si grande mortalité, était dure à supporter. Ils ont aussi été beaucoup touchés par l’infection, encore plus que la population tout-venant, et cette infection a souvent été contractée dans le cadre de leur travail, et non pas de leur vie quotidienne. Moralement, la tension était forte. Marquée par de la peur, celle d’attraper la maladie, mais surtout celle de la ramener à la maison, de mettre sa famille en danger. Moralement, une situation inhabituelle, l’absence des familles auprès des malades, les conditions de la mort dans l’isolement, l’absence de temps rituel face à la mort, ce sont des noms, des histoires, des scènes de vie et de fin de vie, qui ne quittent pas si facilement l’esprit du médecin et de l’infirmière et de l’aide-soignante quand ils rentrent chez eux et c’est lourd à porter La première vague a engendré chez les soignants un véritable stress traumatique. Bien trop étouffés sous...
l’oreiller, non solutionnés par un bien maigre Ségur de la santé, bien trop négligés, les traumatismes de la première vague ont engendré un stress post traumatique. L’aide proposée est restée trop immatérielle tant au plan de la récompense financière que de l’accompagnement moral. Point besoin d’être un grand politicien pour savoir qu’on ne résout jamais les problèmes en pleine crise, surtout quand ces problèmes sont structurels, profonds, et éludés depuis longtemps. On a promis une prime, mais ça fait un peu prime de la honte et de l’excuse. Il est bien évident pour tous que l’on ne peut pas changer en quelques réunions des dysfonctionnements de si longue date. Il est évident que ce n’est pas lors de la crise que l’on peut définir une nouvelle politique d’investissement et de financement au service des soins, simplifier les organisations et le quotidien des équipes et fédérer les acteurs de la santé dans les territoires au service des usagers.
Et maintenant, voici venir la seconde vague, et nombre de soignants se demandent comment ils vont tenir le coup. Ils abordent cette seconde vague avec une autre manière de penser, de considérer le problème. Ils ont les jambes lourdes et doivent faire appel à de fortes ressources intérieures pour se remettre à courir. Ils ont le coeur lourd de tous les drames vécus lors de la première course de mars. Ils ont la tête lourde de toute la motivation et l’énergie dépensée et qu’il va falloir relancer. Cette seconde vague, c’est un peu une preuve de l’absence d’effet de l’investissement soignant sur le contrôle de l’infection. Il est clair pour tous les soignants que leur seule mobilisation est certes nécessaire, mais absolument insuffisante. C’est à la population de s’investir. Pour les soignants, la vraie contradiction se trouve dans la question de l’intérêt d’autant s’investir quand en contrepartie, une partie de la population se relâche. La charge mentale est exceptionnellement pesante : les soignants s’aperçoivent que l’on compte à ce point sur eux, et uniquement sur eux pour réparer les dégâts des imprévoyants et de ceux qui refusent toute forme de contrainte. Ils réalisent aussi qu’après avoir été des héros, au début, ils sont maintenant juste une profession qui est là pour rendre service. Bien sûr, ceux qui soignent sont toujours au rendez-vous...
Déjà, et il faudrait le reconnaitre, parce qu’ils sont irremplaçables, que leur expérience ne s’improvise pas, et ne s’acquière pas en une formation de quelques jours ou semaines. Il y a une forte conscience professionnelle dans les métiers du soin, et la souffrance de l’autre implique de se mettre à son service. Tous y retournent donc, mais avec de la résignation plus que de l’enthousiasme, car ils se demandent comment ils vont pouvoir tenir. Résignés, et aussi avec de nombreuses appréhensions..
La seule petite lueur, ce sont les quelques progrès intervenus en manière de réanimation. On intube moins de patients, et parmi ceux qui sont intubés, la mortalité a baissé significativement. On a maintenant suffisamment de matériel, de protection, de respirateurs. On sait augmenter le pool des lits réanimatoires. Mais c’est bien le seul point positif. Parce que dans le négatif, les cases sont bien plus remplies. La case du manque de personnel. Le stress de la première vague a été réel, et les démissions des soignants ont été massives cet été. Alors, si l’on ne compte plus les respirateurs, on compte le personnel pour le gérer, et clairement l’humain vient à manquer, de nombreuses infirmières et aides-soignantes ayant démissionné dans les derniers mois. Du coup, il y a une marge de manœuvre sur le nombre de lits de réanimation, mais pas de personnel en nombre suffisant pour s’occuper des malades. La case de la diffusion du Coronavirus au pays entier est un problème supplémentaire. Cette fois ci, l’ensemble du pays est touché, la solidarité des autres régions pour renforcer les équipes n’est plus possible. Chacun devra se débrouiller avec son personnel et sans renfort. Or l’hôpital autant que les cliniques privées fonctionnent en flux tendus, et il n’y a pas de solution de secours, pas de renfort envisageable.La case de la souffrance morale des soignants, au delà de la nécessité de reprendre en charge tant de malades du Coronavirus, c’est aussi de constater que la réalité est...
bien que la prise en charge et la continuité des soins de tous les autres patients ne peut être assurée quand un hôpital presque entier est consacré à une seule maladie. De nombreuses interventions doivent à nouveau être déprogrammées. Le Covid tue indirectement des malades qui ne sont plus pris en charge à temps. Une case importante à gérer est aussi celle de la fatigue de la population, elle aussi éprouvée, souvent clivée, ayant eu tant d’informations contradictoires, et qui ne comprend pas toujours ce qui se passe. Il y a le stress des gens pour la seconde fois confinés. L’agressivité et l’exigence de la part d’une population elle aussi touchée est montée de plusieurs crans, et fait aussi partie de ce que doivent gérer les soignants.
Et puis, enfin, case majeure, l’élan de motivation n’est pas au rendez-vous. Plus personne ne parle de livrer des plateaux-repas et des surprises aux soignants pour les remercier de leur investissement. Plus personne ne les applaudit, et d’ailleurs, ils le prendraient mal que les gens applaudissent à nouveau aux balcons, tant est dure l’impression que ce sont les mêmes qui applaudissent mais ne respectent pas les préconisations d’attention et de protection face au virus qu’ils ne craignent pas. Cela engendre une certaine forme de détresse chez les soignants : au début ils furent des héros, maintenant, ils sont juste bons pour un service, celui de soigner. C’est pourquoi nombre de médecins indiquent qu’ils seraient énervés si on venait à nouveau à les applaudir. Tout ceci est éprouvant. Savoir que tant de gens comptent sur eux, qu’ils sont irremplaçables et qu’ils ne peuvent pas aller se reposer, ni physiquement, ni moralement, et que les mercis sont si timides, tout cela ne soutient guère cette seconde bataille que vont devoir livrer les acteurs du soin, bataille déjà engagée. Il est clair qu’un soutien des soignants est indispensable. Le premier serait de remplacer les applaudissements de la première vague par un véritable engagement personnel de chacun pour ne pas s’infecter, pour ne pas être vecteur, car la médecine ne suffira pas, ne pas attraper le coronavirus est un des paramètres majeurs d’une issue favorable à cette pandémie, et ce paramètre ne relève pas de la compétence des soignants…
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