Généraliste mort du Covid : "Mon mari s'est battu jusqu'au bout mais il n'était pas armé pour cette guerre"
"Tout a commencé à basculer à notre retour des vacances de février. Nous avions entendu parler du coronavirus et des vagues de malades en Chine et en Italie, mais nous n'avions pas été préparés à ce qui allait venir. Nous n'avions pas anticipé la catastrophe. Nous étions dans l'inconnu. Nous pensions qu'il s'agissait d'une simple grippette. Les patients avaient des rhinites, les enfants toussaient.
A ce moment-là, nous étions fin février, toujours en phase 2. Les médecins généralistes n'étaient pas censés accueillir les malades du Covid, mais le cabinet débordait déjà. Les malades du coronavirus devaient aller à l'hôpital. Mais le 15 était engorgé. Du coup les patients allaient voir leur médecin traitant…
33 personnes dans la salle d'attente
Début mars, sur les cinq médecins de la cité du Bois-L'Abbé, trois sont tombés malades. J'ai su après qu'ils avaient contracté le Covid. Nous sommes dans une zone franche, dans un quartier très populaire. Nous sommes très solidaires. Tout le quartier a été infecté par le Covid, mais nous ne le savions pas. Nous n'avions pas de tests et surtout pas d'équipements de protection. Le peu de masques que nous avions, nous les gardions une semaine en bouche.
Mon mari partait faire les visites le matin à 7h. Moi j'ouvrais le cabinet à 8h30. Je désinfectais comme je pouvais avec de l'eau de javel. La salle d'attente était bondée, il y avait des enfants, des personnes âgées. Les asthmatiques toussaient. Il y a eu jusqu'à 33 personnes dans la salle d'attente. Certains attendaient dans...
le couloir ou dehors. Il n'y avait aucune distanciation sociale et nous ne pouvions pas leur demander de porter un masque qu'ils n'avaient pas. Je leur conseillais de mettre un foulard ou une écharpe pour se protéger.
Les masques ne sont jamais arrivés
La CPAM du Val-de-Marne a demandé à mon mari d'examiner des patients suspectés d'avoir le Covid, mais nous avons refusé catégoriquement car nous n'étions pas protégés. Je me souviens avoir incendié la responsable du secteur. Ils nous disaient que les masques allaient venir, mais rien n'est jamais arrivé. J'ai écumé toutes les pharmacies à la recherche de masques, mais il n'y avait rien. Nous étions tellement débordés par les patients que nous n'avons même pas pensé à faire fabriquer des masques en tissu.
Le soir, mon mari rentrait vers 23h. Il ne mangeait pas de la journée ou juste des dates pour tenir. Après sa journée de travail, en partant du cabinet, il allait faire des visites en cachette pour dépanner. Je l'ai su après. Des patients me disaient qu'il était venu les examiner vers 22h. Il ne pouvait pas laisser les gens malades. Dans une cité, les habitants sont comme une famille. Quand il arrivait à la maison, il se déshabillait dans le garage où il laissait ses affaires et allait se doucher. Nous avons essayé de respecter les gestes barrières. Il ne voulait plus s'approcher de moi, ni des enfants. Il n'y avait plus de câlins, plus rien.
Il est parti en cinq jours
Plusieurs fois j'ai dit à mon mari de fermer le cabinet. Il a alors commencé à chercher un médecin en renfort. Un praticien de l'hôpital est venu l'épauler les après-midis. Il avait des masques FFP2 mais juste pour lui. Il disait qu'il n'en avait pas suffisamment pour les partager avec mon mari. On ne disait rien, il nous aidait...
pour soigner les gens.
Tout a basculé très rapidement. Mon mari s'est mis à vomir et était asthénique mais avait peu de symptômes évocateurs du Covid. Il a d'abord été hospitalisé à l'hôpital Sainte-Camille de Bry-sur-Marne où on lui a fait scanner qui n'était pas très clair. Son état s'est brutalement aggravé. Il a été transporté à Garches où un nouveau scanner a identifié beaucoup plus clairement le Covid. Il est décédé le 2 avril. Il est parti en cinq jours, deux jours à la maison et trois à l'hôpital.
Je ressens une colère extrême
Comme n'a cessé de le répéter Emmanuel Macron, nous étions en guerre. Et le prix a été payé par mon mari. Il a perdu sa bataille. Aujourd'hui il n'est plus là parce qu'il n'a pas été protégé. Il laisse quatre enfants orphelins, dont le dernier a 8 ans, et une femme veuve de 47 ans.
20h Magnifique hommage rendu à docteur Djemoui et aux personnels de santé
— Rekab Samir (@RekabSamir) April 3, 2020
Merci à tous #ChampignyCitoyens pic.twitter.com/erSyKNe85w
Aujourd'hui, j'ai la tête sous l'eau. C'est les montagnes russes à la maison. Je suis submergée de paperasse et j'essaye de réconforter mes enfants. On a fait une thérapie familiale. La psychiatre a dit que...
j'étais suffisamment forte et que j'étais "une maman soldat". Je ressens une colère extrême. Comment mes enfants vont-ils se construire ? C'était l'anniversaire de mon fils de 8 ans. Comment lui expliquer ? Je me sens abandonnée. Je continue de vivre pour mes enfants. La mort de mon mari est une injustice. Il était à bout. Je demande de l'aide. Comment vais-je faire pour assumer mes enfants ? Je voudrais qu'ils soient pupilles de l'État.
J'ai demandé une rente à l'Ordre, mais il n'y a pas d'aide possible de leur part. J'ai aussi contacté la Carmf à qui j'ai demandé la reconversion de mon aide à la retraite mais ça a été refusé parce que je n'ai pas 58 ans. Au niveau des aides de l'État, je ne m'attends à rien. J'ai reçu une aide solidaire des confrères de mon mari. Ils ont fait une quête pour nous aider. Ça fait du bien."
L'avocat de la famille Djemoui, Maître Fabrice Di Vizio, a déposé plusieurs plaintes.
"Nous avons déposé une plainte classique devant la Cour de justice de la République. Mais il s'agit d'une plainte de plus parmi les autres. La vraie plainte, celle qui est plus atypique, a été déposée devant le procureur de la République de Créteil. Il s'agit d'une plainte contre X pour homicide involontaire. Nous visons l'ARS et la DGS. La question qui se pose, est : pourquoi n'y a-t-il pas eu de masque. Je ne parle même pas des masques FFP2, mais simplement des masques chirurgicaux", s'indigne Maître Di Vizio qui ne comprend pas pourquoi la phase 3 n'a pas été déclenchée plus tôt. "L'ARS ne pouvait pas ignorer que les médecins généralistes étaient déjà en première ligne, avec un pic épidémique quasiment atteint", estime l'avocat.
"Nous allons demander des comptes à un dernier acteur, c'est l'Ordre national des pharmaciens", ajoute Maître Di Vizio. "L'Ordre national a continué de faire croire après le 20 mars que les pharmaciens ne pouraient pas acheter de masques. C'était faux. L'Ordre national le savait."
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