[ENQUÊTE EXCLUSIVE] Les étudiants en médecine, source d’économies pour l’État pendant leur formation : mythe ou réalité ? Dans le second volet de son enquête consacrée à ce que coûtent et rapportent les futurs médecins, Egora se penche sur cette idée largement partagée par le corps médical et a calculé, en exclusivité, la rentabilité des futurs généralistes et autres spécialistes entre l’externat et l’internat. Qu’en est-il ? Décryptage. Depuis des années, les médecins, toutes spécialités confondues, répètent à qui veut bien l'entendre qu’ils rapportent de l’argent à l’État pendant leur 9, 10 ou 11 ans de formation… en ne pouvant cependant s’appuyer sur aucune donnée précise. Dans quel sens penche, en effet, la balance ? Si l’État débourse de l’argent pour les former à l’université et à l’hôpital, les futurs médecins travaillent dès leur externat, pendant leurs stages. Dans le second volet de son enquête consacré à ce que coûtent et rapportent les carabins, Egora se penche donc sur cette grande question : étudiants en médecine, êtes-vous réellement rentables pour l’État ? Autant le préciser d’emblée : c’est une question difficile à trancher. Pour parvenir à ses résultats, Egora a dû faire des choix et a notamment pu s’appuyer sur les données du retraitement comptable (RTC) des hôpitaux de 2019, une bonne calculatrice et l’aide précieuse du médecin breton bien connu sur les réseaux sociaux sous le nom de “Dr Pepper” ainsi que d’autres praticiens qui ont préféré rester anonymes.
Avant toute chose, un étudiant en médecine représente un coût pour l’État. Rappelons qu’il dépend de deux ministères de tutelle, celui de l’Enseignement supérieur pour le volet universitaire et celui des Solidarités et de la Santé pour le volet hospitalier. En se basant sur le budget moyen de formation pour un élève de l’enseignement supérieur à l’université, qui a été évalué, en 2019, par le ministère de l’Enseignement supérieur et de la Recherche (Mesri) à 11 530€, un interne en médecine générale qui effectue un internat de trois ans, coûte 103 770€. Le coût de formation d’un interne de spécialité, qui effectue un internat de cinq ans, revient à 126 830€. Ce que permet d’économiser un externe à l’État Passé le premier cycle, l’étudiant en quatrième année de médecine devient externe et commence à travailler à l’hôpital. Dans cette enquête, nous avons fait le choix de nous appuyer sur les données de 2019, soit avant le début de la crise sanitaire liée au Covid et les revalorisations du Ségur de la Santé dont l’impact est encore difficile à évaluer. Le salaire des quatrième année était alors de 129€, celui des cinquième année de 250€ et celui des sixième année, de 280€ brut mensuel pour 100 heures de travail dans le mois. Les externes étaient également tenus d’effectuer 25 gardes de 12 heures sur trois ans, rémunérées 52€ brut. Le salaire moyen d’un étudiant au cours de son externat était donc de 256€ pour 25 heures hebdomadaires. Salaire auquel il faut ajouter les charges patronales qui s’élèvent à 50% de la rémunération brute en moyenne selon les informations qu’Egora a pu se procurer, donnant ainsi...
un coût total de 384€ par mois sur trois ans. Les trois ans d’externat reviennent donc à 13 812€ au total à l’hôpital. Nous avons fait le choix de comparer combien coûte à un employeur, pour le même temps de travail et la même durée - soit trois ans -, un salarié au Smic*. Pourquoi un salarié au Smic ? Car l'externe effectue de nombreuses tâches peu qualifiées (photocopies, rangement de dossiers, prises de rendez-vous, brancardage...). En 2019, le Smic s’élevait à 1 521€ brut mensuel pour 35h hebdomadaires. Ramené à 25h, il s’élève à 1 080€ brut mensuel ; et 1 620€ en prenant en compte les charges patronales. En multipliant cette somme par trois, le résultat donne 58 324€. Il s’agit désormais de soustraire le coût d’un externe sur trois ans (13 812€) à celui d’un employé au Smic (58 324€) : le gain pour l’État pendant l’externat est donc de 44 512€. Comprendre : si le Gouvernement faisait le choix de remplacer un externe en médecine par un employé au Smic pour les mêmes tâches sur trois ans, il devrait débourser 44 512€ supplémentaires. Cela couvre par ailleurs largement les frais universitaires, puisque trois ans de formation coûtent à l’État 34 590€ par étudiant.
Ce que permet d’économiser un interne à l’État Le calcul est différent pour les internes. Nous avons ici fait le choix de les comparer à un praticien hospitalier (PH) en équivalent temps plein (ETP) en moyenne ainsi qu’à un PH échelon 1 hors garde et prime en ETP en prenant en considération que les internes, en stage, effectuent des tâches de médecins et réalisent près de 70% des prescriptions à l’hôpital. Au cours de son enquête, Egora a appris qu’un interne en ETP coûte environ 29 792€ à l’hôpital sur une année et qu’un PH en ETP en moyenne coûte 119 573€** sur une année. Par ailleurs, un PH échelon 1 sans garde ni prime en ETP représente un coût d’environ 74 352€ par an. Pour trois ans d’internat, un interne en médecine générale coûte ainsi 89 376 € à l’hôpital. Un interne d’une autre spécialité qui effectue un internat de cinq ans, coûte, lui, 148 960€ à l’hôpital. Qu’en est-il pour un PH en ETP en moyenne ? Son coût est de 358 719€ sur trois ans et de 597 865€ sur cinq ans. La différence entre un futur médecin et un PH en ETP en moyenne est donc de 269 343€ sur trois ans et de 448 905€ sur cinq ans. Mais il faut ajouter à l’opération, le coût de formation universitaire, qui est, pour rappel de 103 770€ pour les futurs généralistes et de 126 830€ pour les futurs spécialistes. Ainsi, en formant un médecin généraliste pendant neuf ans dont trois d’internat, le gain total pour l’État est de 210 085€. En formant un médecin spécialiste pendant 11 ans dont cinq d’internat, le gain pour l’État est de 366 587€.
Il est également possible de calculer la rentabilité des internes par rapport à un PH échelon 1, hors garde et prime. Ce dernier coûte environ 223 056€ sur trois ans et 371 760€ sur cinq ans. La différence entre son coût et celui d’un interne est donc, sur le plan hospitalier, de 133 680€ en trois ans et 222 800€ en cinq ans. En y ajoutant le coût de formation universitaire, le gain de rentabilité pour l’État est donc de 74 422€ pour un généraliste et de 140 482€ pour un spécialiste. L’État peut doubler le coût de formation des carabins en étant rentable Dans le cadre de cette enquête, nous avons également déterminé le taux horaire net moyen des internes. Pour 48h hebdomadaires, soit le cadre légal fixé par décret en 2015, ils sont payés...
6,59€ net. Or, en réalité, comme l’a montré une étude de l’Intersyndicale nationale des internes (Isni) en 2020, les internes travaillent en moyenne 58,4h par semaine… et sont donc rémunérés 5,42€ net de l’heure. Dans le détail, l’étude de l’Isni précisait le temps de travail moyen par spécialité. Ainsi, si l’on se base sur leurs données, il est par exemple possible de calculer : -Pour 82,24 h/semaine en moyenne, le taux horaire net d’un interne en neurochirurgie est de 3,85€. -Pour 76,03 h/ semaine en moyenne, le taux horaire net d’un interne en urologie est de 4,16€. -Pour 69,64 h/semaine en moyenne, le taux horaire net d’un interne gynécologue-obstétricien est de 4,55€. -Pour 61,89 h/semaine en moyenne, le taux horaire net d’un interne anesthésiste-réanimateur est de 5,11€. -Pour 60,44 h/semaine en moyenne, le taux horaire net pour un interne en pédiatrie est de 5,24€. -Pour 58,15 h/semaine en moyenne, le taux horaire net d’un interne urgentiste est de 5,44€. -Pour 52,27 h/semaine en moyenne, le taux horaire net d’un interne généraliste est de 6,06€. -Pour 43,31 h/semaine en moyenne, le taux horaire net d’un interne en psychiatrie est de 7,31€.
Il est enfin possible de calculer que l’État pourrait doubler le prix de formation pour un étudiant, de 11 530€ à 23 000€ par exemple, en étant toujours rentable. C’est-à-dire que les carabins rapportent toujours plus que l’argent investi pour les former. Le Ségur : des revalorisations à prendre en compte Dans cette enquête, les revalorisations obtenues grâce au Ségur de la Santé ne sont pas prises en compte. ll est à noter que les externes sont, par exemple, passés au 1er novembre 2020 à un salaire de 260€ brut mensuel en quatrième année, 320€ en cinquième année et 380€ en sixième année. Les internes, eux aussi, ont gagné 147€ supplémentaires en première année d’internat, 163€ en deuxième année et 115€ en troisième année. Le salaire est dorénavant fixé à 1 539€ brut mensuel en première année d’internat, 1 704€ brut mensuel en deuxième année, 2 139€ brut mensuel en troisième année et 2 260€ pour l’année de Docteur junior. Par ailleurs, les praticiens hospitaliers bénéficient, eux aussi, depuis ces négociations, d’une nouvelle grille de salaires, les trois premiers échelons ayant été supprimés. Les praticiens hospitaliers à temps plein débutent désormais leur carrière à l'échelon 1 avec une rémunération annuelle de base fixée à 52 933 euros brut, contre 49 568 euros dans l'ancienne grille. Dès qu’il sera possible de calculer l’effet de ces augmentations de manière globale, Egora publiera un nouveau volet de l’enquête.
*Salaire minimum de croissance **(2) : voir encadré
Comme précisé au début de ce volet 2 de l’enquête portant sur ce que coûtent et rapportent les étudiants en médecine, Egora a dû faire des choix afin de proposer ce calcul de rentabilité, à commencer par celui de prendre en considération les données de 2019 pour l’ensemble des valeurs présentes dans les opérations. L’effet des revalorisations du Ségur de la Santé est, en effet, selon plusieurs sources contactées par notre rédaction, encore difficile à évaluer précisément. Il est aussi à noter que dans la comparaison entre le salaire des externes et un Smic, ce dernier ne prend pas en compte d’éventuelles gardes ou astreintes d’un salarié au salaire minimum. Par ailleurs, contrairement à celui des internes, le salaire d’un PH comprend une part liée à la formation. Enfin, les données de coût moyen annuel d’un interne et d’un PH en ETP en moyenne que s’est procuré la rédaction d’Egora sont issues d’un groupement hospitalier de territoires de 250 salariés situé en Île-de-France sur l’année 2019. Ces données sont toutefois représentatives de la moyenne nationale, selon des sources concordantes. Les autres informations citées au cours de l’enquête apparaissent dans le document du retraitement comptable (RTC) des hôpitaux de 2019.
Infographies : Cécile Formel
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