
Un médecin doit-il accepter de soigner un ami?
Si un médecin peut être amené à examiner ponctuellement un ami ou un proche, il est loin d’imaginer qu’il puisse ensuite faire l’objet d’une mise en cause, comme l’a récemment vécu un médecin généraliste.

A la suite de sa séparation avec son épouse, un homme décide de consulter un ami médecin car il souffre de troubles du sommeil. Dans un premier temps, ce médecin généraliste refuse de le recevoir et lui conseille de voir l’un de ses confrères. Devant son insistance et son désarroi, il finira par l’examiner un mois plus tard et lui prescrire un somnifère, n’ayant pas décelé d’autres troubles.
Un mois plus tard, son ami le recontacte car ses troubles du sommeil et son mal-être persistent. Son ami médecin décide alors de lui prescrire de nouveau un somnifère et de l’associer à un anti-dépresseur. Diagnostiquant une dépression "majeure", il lui recommande de se rapprocher rapidement d’un confrère psychiatre. Mais deux jours après cette consultation, son ami se suicide…
Un blâme pour n'avoir pas tenu de dossier médical
Malgré ces liens d’amitié, la famille du défunt a décidé de porter plainte contre le médecin devant l’Ordre mais aussi devant le tribunal civil. Elle lui reproche de ne pas avoir suivi correctement son ami en sous-estimant son risque de passage à l’acte et de ne pas avoir tenu de dossier médical, comme le rappellent les articles R.4127-33 et 45 du Code de la santé publique.
L’Ordre a ainsi sanctionné ce praticien d'un blâme pour n’avoir pas tenu de dossier médical ou établi une fiche d’information relatant ses constatations, son diagnostic et les traitements prescrits. Le simple fait que ce "patient" ait fait partie de son cercle amical ou familial ne le dispensait pas de ses obligations et d’un minimum de précautions. L’Ordre a également reproché à ce médecin de ne pas s’être assuré du suivi de son ami par un confrère psychiatre au moment de la prescription d’un traitement anti-dépresseur.
Sur le plan civil, ce médecin a finalement été mis hors de cause après dix années de procédure. Il a toutefois dû rapporter la preuve qu’il n’avait pas commis de faute dans la prise en charge médicale de son ami. Un renversement de la charge de la preuve consécutif à l’absence de tenue d’un dossier médical : habituellement c’est au patient ou à ses ayants droits de rapporter la preuve d’une faute en cas de mise en cause d’un médecin.
Dans un arrêt du 11 juin 2024, la Cour d’appel de Bordeaux a ainsi rappelé que l’absence de dossier médical constituait une faute mais qu’elle n’avait pas de lien de causalité avec le passage à l’acte. Le médecin n’a ainsi pas été condamné à indemniser la famille de son ami car il a pu démontrer, notamment par des attestations écartant l’hypothèse d’idées suicidaires de son ami, que sa prescription était justifiée et adaptée et qu’il n’était donc pas nécessaire de prendre d’autres dispositions comme une hospitalisation. Comme l’ont rappelé les juges, même si le traitement anti-dépresseur prescrit était connu pour accentuer un risque suicidaire, le passage à l’acte est survenu deux jours après la prescription, temps très court ne permettant pas de relier les deux.
Prudence et limites
S’il n’est pas toujours facile de refuser de donner un conseil ou d’examiner ponctuellement un ami ou un proche, certaines précautions doivent être prises notamment si la pathologie est plus compliquée et nécessite une prise en charge. Si rien n’interdit à un médecin de délivrer à ses proches une ordonnance et de les soigner, cette relation amicale ou familiale doit s’accompagner d’une vigilance particulière. Le médecin doit ainsi connaître ses limites et refuser ses soins, sauf urgence, si la pathologie échappe à son domaine de compétences et relève d’une autre spécialité. Seules des situations sans gravité ni complexité, correspondant à des actes ou prescriptions simples, peuvent permettre au médecin concerné par ces demandes de garder l’objectivité et la distance nécessaires.
Une consultation ponctuelle effectuée sur un lieu de vacances, à l’improviste, nécessitera d’être particulièrement prudent car le médecin ne disposera pas de toutes les informations nécessaires sur la personne qui l’interpelle. Une erreur de diagnostic, par manque de temps et d’informations, pourra plus facilement survenir alors même que le praticien pourra être loin de son cabinet et ne disposera pas du matériel indispensable à une bonne auscultation.
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