Les médecins défendent l'autorisation de prescription des praticiens retraités : "Laissez-les s'occuper de leurs proches !"
Faut-il interdire les médecins retraités de prescrire des médicaments pour eux-mêmes ou leurs proches ? Cette réflexion, avancée par l'Ordre, déplaît largement aux lecteurs d'Egora. En effet, 96% des professionnels de santé sondés rejettent une telle interdiction. Ils la jugent "infantilisante", "offensante" et "contreproductive".
Fin novembre, Egora publiait l'histoire de la Dre Josiane Peniot*. Après seize années de retraite totale, cette généraliste avait repris du service, en téléconsultation uniquement. Une façon pour cette praticienne de 76 ans d'"apporter de l'aide", tout en préservant sa santé fragile. Mais à peine six mois après avoir relancé son activité, l'Ordre l'a suspendue ; l'instance jugeant sa pratique trop "dangereuse".
Interrogé sur ce cas, le Pr Stéphane Oustric, délégué général aux données de santé et au numérique du Cnom, s'est montré réticent à la reprise d'une activité exclusive en téléconsultation pour les médecins éloignés de la pratique. Mais l'élu ordinal est surtout revenu sur l'autorisation de fait accordée à tout praticien retraité inscrit au tableau de l'Ordre de prescrire pour lui-même ou sa famille. Cette possibilité appartient, selon le Pr Oustric, à de "veilles coutumes". "Cela risque de revenir sur la table un jour car nous avons beaucoup de problèmes avec des confrères âgés", a-t-il indiqué à Egora.
Faudrait-il mettre fin à la possibilité pour les médecins retraités de prescrire pour eux-mêmes ou pour leurs proches ? La proposition semble largement déplaire aux professionnels de santé. Sur les 689 qui se sont exprimés sur notre plateforme de débat, 96% se sont opposés à une interdiction de la prescription pour les médecins retraités. Pour les lecteurs d'Egora, une telle mesure serait "infantilisante et offensante", puisqu'elle fait "référence directement à l'irresponsabilité du médecin qui, bien sûr, dès le premier jour de sa retraite ne sait plus rien et est devenu obsolète dans la nuit !!", lance l'un d'entre eux, généraliste. "On laisse les plus de 90 ans conduire sans aucune vérification des capacités. Pourquoi devrait-on priver de prescription un médecin retraité ?", abonde Fabien B., lui-même médecin. "L'Ordre limite déjà les possibilités d'installation et d'exercice, et exerce un contrôle sur la formation. Je ne vois vraiment pas quel serait l'intérêt de créer cette interdiction."'
Surtout, les soignants voient dans cette interdiction une contradiction avec les difficultés auxquelles fait face le système de santé. A l'heure où le manque de médecins frappe tout le territoire, interdire de prescription les praticiens retraités inscrits au tableau de l'Ordre "serait un comble", estime Jean-Marc Z., généraliste. "Restons confiants envers les confrères qui assument ce service sur leur capacité à solliciter de l’aide en cas de difficultés à gérer la situation."
Actuellement, "on économise des consultations" grâce à cette autorisation, estime Sylvie H., une lectrice. En effet, la possibilité qu'ont les médecins retraités de prescrire pour eux et leur entourage "évite d’encombrer inutilement les salles d’attente pour des renouvellements d’ordonnance[s] ou de la bobologie", ajoute Luc L., pneumologue.
Une vision partagée par Colette C., médecin du travail : "Les médecins sont comme tout le monde, aussi victimes de la pénurie de confrères ! A défaut de médecin traitant autre que lui-même, il peut au moins se dépanner, ainsi que sa famille souvent en situation similaire. Et c'est tout de même un comble que d'ignorer ce soulagement apporté au déficit médical, enregistré artificiellement comme "médecin traitant" au décompte de la pénurie comptabilisée par la CPAM."
"Un médecin retraité depuis plusieurs années est conscient de ses limites"
Au-delà de ces arguments, d'autres voix insistent sur le caractère contreproductif d'une telle mesure qui générerait de nouvelles dépenses de santé. La possibilité pour un praticien retraité de prescrire est "un bénéfice pour la Sécurité sociale et pour la santé publique", souligne notamment une lectrice, puisqu'elle permet "évite[r] des surcharges au cabinet des médecins" et les "attentes qui peuvent entraîner des complications". "Quelles dépenses supplémentaires pour la [Sécurité sociale] et quel manque de recettes pour l'Ordre des médecins si cette autorisation devait être supprimée", confirme, de son côté, Jean-Thierry B., pointant "des problèmes plus importants à régler". "Laissez donc les médecins retraités s'occuper de leurs proches !", tonne-t-il.
D'autres lecteurs se veulent, eux, plus nuancés. Refusant qu'une telle autorisation soit retirée aux médecins retraités, ils insistent sur la nécessité pour ces soignants de rester informés. "Cela dépend des capacités du médecin retraité à poursuivre sa réflexion diagnostique et thérapeutique et donc aussi de la poursuite de sa formation et mise à niveau", pense l'un d'entre eux. "Un médecin retraité depuis plusieurs années est conscient de ses limites comme nous le sommes tous durant toute notre vie professionnelle, acquiesce un second, généraliste. Le fait d’être à la retraite ne change pas cela et quand on a un doute dans une [situation] particulière il n’est pas compliqué de trouver des informations récentes comme, par exemple, les dernières recommandations."
"Abonnements numériques", "préparation de conférences", "encadrement à titre bénévole d'action[s] de prévention"… André G., cardiologue, en est certain : "On a tous les moyens actuellement de continuer à s'entretenir". "Une telle interdiction ferait certes plaisir à certains des 'petits hommes gris', y compris parmi nos confrères, mais serait parfaitement contreproducti[ve] sur toute notre implication dans la société", insiste le professionnel de santé.
Sur les près de 700 répondants à ce débat, quelques voix se montrent plus ouvertes à la remise en cause de cette autorisation accordée aux médecins retraités. Une telle interdiction de prescription est envisageable pour Paul L., "sauf peut-être" pour les ordonnances concernant 'le praticien lui-même [et non sa famille, NDLR], s'il veut prendre des risques pour sa personne". Mais la possibilité accordée aux retraités de prescrire doit, d'après ce généraliste, "a minima" être "limit[ée] dans le temps".
Audrey F., infirmière, va plus loin : "Le grand oncle de ma fille, à la retraite depuis 15 ans, et pour qui j’ai beaucoup d’estime par ailleurs, lui a prescrit du ciflox pour une simple infection urinaire. Effectivement, avant, on faisait comme ça. Quid de la formation continue ? Depuis cet épisode je n’ai plus confiance. Un médecin âgé mais toujours en activité, aucun problème. Un médecin retraité, non merci…"
"Le seul impératif, estime, lui, Said B., "c'est de rester coll[é] à l'actualité médicale". "Ça reste finalement une question personnelle", conclut l'interniste, lui-même retraité.
*Prénom et nom modifiés.
Les précisions de l'Ordre :
Le Pr Oustric, délégué général aux données de santé et au numérique du Cnom, a souhaité clarifier ses propos auprès d'Egora. Loin de vouloir remettre en cause l'autorisation accordée par principe à tout médecin retraité inscrit au tableau de l'Ordre de prescrire pour lui-même ou sa famille, il précise que ce qui pose problème ce sont les cas de "médecins retraités qui se trouvent en situation d'insuffisance professionnelle, comme le cas évoqué ici". "Quand, dans le cadre d'une procédure accompagnée d'une expertise, un médecin est déclaré en insuffisance professionnelle - l'interdisant d'exercer tant qu'il ne s'est pas remis à niveau – ce n'est pas possible qu'il [prescrive] pour sa famille et ses proches", explique-t-il. La notion de "dangerosité" est, elle aussi clarifiée. "C'est un mauvais mot. Ce ne sont pas des professionnels dangereux. Ils sont dangereux 'dans le cadre de leurs connaissances actuelles et de l'exercice tel qu'il est réalisé aujourd'hui, dans le contexte social, médical et administratif'."
Dans le cas de la Dre Josiane Peniot, l'élu ordinal assure que "ce n'est pas le fait d'être à la retraite" qui bloque, mais bien qu'elle ait été suspendue pour insuffisance professionnelle à la suite de sa demande de reprise d'exercice. "On peut comprendre son incompréhension, mais on a un élément authentique qui dit qu'elle ne peut pas prescrire pour les autres. Pourquoi pourrait-elle donc prescrire pour elle ?", interroge le Pr Oustric. "Il faut aider ces confrères à leur faire comprendre que tout ce qu'ils ont fait tout au long de leur vie professionnelle ne peut pas reprendre comme ça…" Et d'ajouter que cela est d'autant plus vrai dans le cadre de la téléconsultation. "C'est un super outil, qui amène des éléments forts et structurés dans le parcours du patient. Mais quand on est seul devant sa machine, qu'on n'a jamais fait [de télémédecine], que ça n'a pas été au cœur de notre pratique, et que des demandes arrivent de la France entière, cela peut être compliqué."
Pour le représentant de l'Ordre, ce qui doit primer dans le cadre d'une reprise d'activité d'un médecin retraité, "c'est de s'assurer qu'on reprenne sans perte de chance pour les patients". "C'est le médecin au service du patient avant tout." S'agissant du cas de la Dre Josiane Peniot, "tant qu'elle n'aura pas levé" son insuffisance professionnelle, l'Ordre ne pourra pas lui apporter de "solution".
L.C.
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