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"Généraliste à la retraite, j'ai voulu reprendre en téléconsultation mais l'Ordre m'a jugée dangereuse"

Après 16 années de retraite totale, la Dre Josiane Petiot* a décidé en avril dernier de reprendre du service en téléconsultation exclusivement via la plateforme Medadom. Une façon pour la généraliste d'"apporter son aide" tout en préservant sa santé fragile. Mais à peine six mois après avoir renfilé la blouse, l'Ordre a décidé de la suspendre, jugeant sa pratique "dangereuse". Auprès d'Egora, la praticienne dénonce une "injustice". "C'est humiliant", se confie-t-elle.

27/11/2024 Par Louise Claereboudt
Déontologie Télémédecine Témoignage
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La Dre Josiane Petiot* est écœurée. À 76 ans, la généraliste pensait pouvoir "apporter de l'aide" à ces milliers de Français qui peinent chaque jour à se soigner. Installée à Paris jusqu'à sa retraite anticipée, la médecin a été réellement confrontée à la détresse de la population rurale en partant s'installer dans la campagne limougeaude. "Je me suis aperçue qu'il manquait vraiment de médecins, que beaucoup de diagnostics n'étaient pas faits à temps, que les délais pour accéder à un ophtalmologiste étaient extrêmement longs…", explique-t-elle à Egora.

En 2008, à l'âge de 60 ans, la praticienne avait été contrainte de mettre fin à son activité à cause de plusieurs problèmes de santé. Trop tôt pour celle qui rêvait déjà à 5 ans de devenir "docteure". "On me soupçonnait une sclérose en plaques ou un [syndrome de] Guillain-Barré. J'ai été hospitalisée à la Pitié-Salpêtrière [AP-HP], et mise en invalidité à 80%", confie-t-elle. Des problèmes au niveau des bronches sont ensuite venus s'ajouter aux difficultés à la marche qu'elle a gardées aujourd'hui. Hors de question pour elle donc de reprendre une activité en cabinet et de risquer de mettre en péril sa santé.

Mais la flamme de la médecine ne s'est jamais éteinte. Début 2024, quand elle aperçoit des publicités pour la plateforme de télémédecine Medadom, Josiane Petiot envisage sérieusement de rempiler. Son mari, qui a le même âge qu'elle, continue de travailler – dans un tout autre domaine. En téléconsultation, elle ne risque rien, se dit-elle. La retraitée depuis 16 ans se rapproche alors du conseil de l'Ordre de Paris, où elle est alors toujours inscrite, pour demander tout un tas de documents et certificats nécessaires à sa reprise d'activité. On lui demande d'envoyer son contrat avec Medadom. "C'est tout, il n'y a pas eu de problème."

Le 2 avril dernier, la praticienne renfile officiellement la blouse à travers un écran. Après avoir pris soin "d'apprendre par cœur" les fiches de protocoles et de consultations qui lui ont été transmises. "Je les ai recopiées. Je me suis fait comme un book. Ça m'a servi sur le plan thérapeutique", explique Josiane Petiot. Elle fait aussi une formation d'une journée à Paris, dispensée par la plateforme. Tout se passe au mieux, assure la septuagénaire. "Je m'y suis mise assez vite et j'ai réalisé de bons diagnostics, je m'en suis bien sortie."

"Peut-on juger de la dangerosité de quelqu'un qui a fait de la médecine toute sa vie en 15 minutes ?"

En mai, elle reçoit un coup de téléphone d'un élu de l'Ordre de Paris, "qui me dit qu'il serait souhaitable que je prenne aussi des patients en présentiel". La généraliste lui fait part de son handicap moteur. Et la discussion en reste là. Josiane Petiot poursuit donc son activité, à raison de deux heures par jour. Elle voit "beaucoup de problèmes dermato, de l'infectiologie…" "Ce qui est génial aussi en téléconsultation, c'est qu'on reste toujours en contact avec les autres médecins [de la plateforme]. Quand on cale sur un cas, on peut envoyer une photo sur le groupe [qui compte 800 membres]. Il y a toujours quelqu'un qui donne son avis. Il m'arrive aussi de garder le numéro des patients en cas de doute et de leur retéléphoner ensuite. C'est super car, face à un cas complexe, on ne se retrouve pas seule."

Qu'elle ne fut pas sa surprise quand elle réceptionne une lettre de l'Ordre de Paris au mois d'août pour la convier à un entretien "pour examiner [sa] dangerosité".  L'expertise, diligentée par la formation restreinte du conseil régional d'Ile-de-France, est réalisée le 9 septembre à la faculté Cochin. "Il a fallu que j'aille à Paris. Je leur avais pourtant dit que j'avais des difficultés à la marche mais ils n'en ont pas tenu compte…", déplore la Dre Petiot. Trois experts l'interrogent durant "15 minutes". "On m'a posé des questions très vagues, comme 'qu'est-ce que vous faites quand un patient tousse ?'", se souvient-elle. "Ça m'a scotchée, moi qui ai fait une thèse de pneumologie, je peux en parler des heures de la toux."

"Je m'attendais à ce que l'on parle de médecine, de ce que j'avais fait [dans ma carrière], mais au bout de 15 minutes, on m'a dit que l'entretien était terminé", poursuit-elle. La conclusion est sans appel. Pour les experts, la praticienne présente "une dangerosité", mentionne une synthèse du rapport d'expertise dont Egora a eu connaissance. Ils soulignent d'abord l'absence quasi-totale "de formation médicale continue" durant ses 29 années d'exercice en cabinet à Paris, ainsi que l'interruption de "tout exercice médical depuis 16 ans". Ils ajoutent que la généraliste ne consacre qu'"un temps limité" ("environ 6 minutes") aux patients qu'elle prend en charge en téléconsultation. Au total, en six mois, elle a vu pas moins de 1700 patients. 

En outre, "l'ensemble de l'entretien et les réponses aux différentes questions montrent que sa pratique actuelle colle à la plainte sans approche globale et [que la généraliste] propose très rapidement des explorations, en omettant une grande partie de l'interrogatoire et en limitant prématurément les possibles hypothèses diagnostiques", relèvent les experts. 

"Peut-on juger de la dangerosité de quelqu'un qui a fait de la médecine toute sa vie en 15 minutes ?", interroge, amère, la Dre Petiot, estimant "[s']être fait piéger". La médecin tient à préciser qu'elle avait une période d'essai "de quatre mois" en téléconsultation, qu'elle a validée. "En 29 ans [d'exercice en cabinet], je n'ai jamais eu de problème avec l'Ordre, aucune plainte, aucun incident, j'étais douée", assure-t-elle encore. Et d'ajouter : "A l'époque, il n'y avait pas de formation aussi complète [en médecine générale]. J'ai fait ma formation seule. Je suis allée aux urgences de pédiatrie pendant six mois et j'ai fait cinq ans de gardes de réanimation respiratoire une fois par semaine."

Pour les experts toutefois, "si elle souhaite exercer", la Dre Petiot "devrait suivre une remise à niveau en suivant un diplôme de formation médicale continue de médecine générale d'un an, possiblement en ligne". Car "son absence de pratique [montre] des compétences insuffisantes". Le 18 octobre, elle est reconvoquée par la formation restreinte du Conseil national de l'Ordre des médecins, cette fois. Mais de nouveaux problèmes de santé l'empêchent de faire le déplacement à Paris. "J'ai prévenu et je pensais avoir une convocation ultérieure ; mais la décision s'est prise sans moi."  

"Quand on a fait des études pendant autant de temps, on est capable de se remettre à jour vite"

Le 30 octobre, la Dre Petiot reçoit une lettre recommandée lui annonçant qu'elle est suspendue pour une durée de 18 mois du droit d'exercice**. La formation restreinte du Cnom a en effet jugé que "l'insuffisance professionnelle" était suffisamment établie par le rapport d'expertise et les éléments du dossier. Elle subordonne, en outre, toute reprise d'activité à l'obtention d'un diplôme d'université de remise à niveau en médecine générale, ainsi qu'à la réalisation d'un stage chez un maître de stage d'une durée de 180 demi-journées, précise la décision datée du 18 octobre dont Egora a eu connaissance. 

Pour la septuagénaire, c'est la douche froide. Elle aurait accepté une formation en distanciel, mais les conditions de formation imposées par l'Ordre lui apparaissent irréalisables. "J'ai eu trois Covid assez graves, il est bien évident que si je me retrouve face à des malades, je vais me retrouver en réanimation en un quart de tour. C'est signer mon arrêt de mort." Cette décision de la formation restreinte est "injuste et humiliante. Quand on a fait des études pendant autant de temps, on est quand même capable de se remettre à jour relativement vite sans être obligé d'aller chez un maître de stage… d'ailleurs je pense que je lui aurais peut-être appris plus que lui ne m'en aurait appris", tacle Josiane Petiot, qui répète : "En clinique et en diagnostic, j'étais assez douée." Et de préciser qu'au concours de première année de médecine, elle est arrivée "15e sur 3000" candidats.

A la tristesse se mêle aujourd'hui la colère. "On m'a envoyé une autre lettre il y a quelques jours pour m'annoncer que des alertes allaient être envoyées à tous les pays d'Europe pour les informer de ma suspension et de mon interdiction d'exercer", explique la retraitée, qui laisse échapper un rire nerveux. "Il y a quand même des terroristes qui méritent quand même plus le terme 'dangereux' qu'un médecin généraliste qui n'a jamais eu de plainte !", s'insurge-t-elle. 

Si elle se dit déçue de ne pas pouvoir poursuivre la téléconsultation – un exercice auquel elle a "pris goût" et qui lui a permis de "rendre service" – la Dre Petiot est surtout préoccupée. Car sa suspension lui interdit, de fait, de s'autoprescrire ses médicaments ou de soigner les membres de sa famille. Ironie du sort : "Je vais être obligée d'avoir recours à la téléconsultation", avance la septuagénaire, qui explique qu'elle habite dans un désert médical. Dans l'espoir de revenir à sa situation antérieure - c'est-à-dire d'être réinscrite à l'ordre, la généraliste a écrit ce mois-ci au président du Cnom, le Dr François Arnault, ainsi qu'à la ministre de la Santé et de l'Accès aux soins. Courriers auxquels elle n'a, pour l'heure, pas eu de réponse. "J'ai le couperet sur la tête."

 

*le prénom et le nom ont été modifiés. 

**en vertu de l’article R. 4124-3-5 du code de la santé publique.

 

 

Reprise après une longue période d'inactivité : "Ce n'est pas rendre service aux patients"

Interrogé par Egora sur ces médecins éloignés de la pratique qui souhaitent reprendre une activité exclusive en téléconsultation, le Pr Stéphane Oustric, délégué général aux données de santé et au numérique du Cnom, se montre réticent. "Quand vous n'êtes pas dans le champ de la spécialité depuis trois ans, vous pouvez être mis en situation d'insuffisance professionnelle et faire courir des risques à vos patients, juge le généraliste. Vous ne savez pas que certains médicaments n'existent plus, vous ne connaissez plus les procédures. La demande sociétale a changé, tout comme la réglementation. Ce n'est pas rendre service aux praticiens, et surtout pas aux patients." Pour l'élu ordinal, il est légitime de se poser des questions, en particulier pour des médecins âgés, pour qui la formation en médecine générale était très différente de celle délivrée aujourd'hui. "Parce qu'un jour je suis allé à la faculté, je détiens le savoir ultime ? C'est gravissime de penser ça", estime le Pr Oustric, sceptique. D'autant plus pour des praticiens "qui n'ont jamais fait de téléconsultation auparavant dans leur pratique".

S'agissant de l'incapacité pour les médecins jugés "en insuffisance professionnelle" de prescrire des médicaments pour eux-mêmes ou leur famille, le Pr Oustric considère que cela va de soi. "Si un médecin est insuffisant pour les autres, il l'est pour lui-même." Quant à l'autorisation accordée de fait à tout médecin retraité inscrit au tableau de l'Ordre, elle appartient aux "vieilles coutumes", lance l'élu ordinal. "Cela risque de revenir sur la table un jour car nous avons beaucoup de problèmes avec des confrères âgés." Le Pr Oustric conseille "tant que possible" de prendre du recul quand il s'agit de soi ou de ses proches. "Quelle objectivité vous avez si vous apprenez que votre femme a un cancer ?", interroge-t-il, appelant à "ramener l'éthique et la déontologie dans ces moments-là".

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Pierre Berton

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Pour ce que ça va changer... Ah, en passant, l'idée germe de connecter-raccorder les fichiers numériques de médecine du travail ... Lire plus

1 commentaire
5 débatteurs en ligne5 en ligne
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Débatteur Passionné
Médecine générale
il y a 11 minutes
Après l'interne redoublant, le téléconsultant retraité.....à quoi servent ces témoignages? A part monter que ne peut pas faire de la médecine qui veut dans un monde normal. Peut-être que ces personnes
 
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