"Il est malvenu de fustiger les libéraux" : la réponse cinglante d'un généraliste au ministère

08/01/2022 Par Dr Pierre Francès
Courriers des lecteurs
Entre les consultations, les vaccinations et les vacations aux urgences, le Dr Pierre Frances, généraliste à Banyuls-sur-Mer (Pyrénées-Orientales), enchaîne les semaines de plus de 80 heures. Il n'a donc que peu apprécié le récent message de la DGS aux libéraux relevant la baisse de commandes de vaccins anti-Covid pour cette semaine. Voici sa réponse.

  "Il y a quelques jours, les différents professionnels libéraux de terrain ont reçu un mail assez déstabilisant de la direction générale de la Santé (DGS). Alors que les commandes de flacons étaient en baisse de 27% par rapport à la semaine précédente, la "task force vaccination" et le directeur de la DGS, le Pr Jérôme Salomon, invitaient les libéraux 'à ne pas relâcher l’effort consenti ces dernières semaines et à assurer un haut niveau de commandes en vaccins'. Doit-on en conclure que l’effort nécessaire des professionnels libéraux pour assurer la vaccination n’est plus considéré comme satisfaisant ? Que leur implication laisse à désirer? Ce relâchement coupable risque d’avoir des conséquences sur la santé des Français. Si les libéraux, dans un futur proche, n’ont plus le "dynamisme" qu’ils avaient auparavant pour vacciner les patients, il est possible que ce manquement puisse leur être reproché.   Moderna, la galère Cette accusation à peine camouflée nous montre que "la task force" mériterait de mieux connaître les problématiques des professionnels de terrain.  Il semble en effet nécessaire de rappeler que les médecins libéraux assurent des soins à des patients ayant des pathologies diverses, parfois graves et chronophages… et pas uniquement des Covid-19. Par ailleurs - ce n'est plus un secret pour personne : la démographie médicale pose de gros problèmes dans certains territoires. Ainsi, tous les Français (du moins je l’espère) sont conscients du fait que les libéraux travaillent comme des stakhanovistes. Dans ces conditions, il est d'autant plus difficile d'intercaler le programme vaccinal entre les consultations :

  • Injecter 22 patients (c’est le nombre de doses de rappel qu’il est possible d’extraire à partir d’un flacon Moderna) demande au moins une à 2 heures !
  • Trouver un nombre suffisant de patients acceptant de se faire vacciner avec Moderna pour le créneau déterminé n'est pas une mince affaire. Le rétropédalage, largement médiatisé, concernant la vaccination des plus jeunes avec Moderna a incité de nombreux patients à refuser ce vaccin et à exiger du Pfizer. Ainsi il est fréquent que la secrétaire en charge de la vaccination ou même le médecin soient interpellés et dans certains cas insultés en cas de non possibilité de choix de vaccin.

Je rappelle pour ceux qui ont la mémoire courte qu'il y a quelques semaines, les pharmacies fournissaient uniquement du vaccin Pfizer (facile à administrer car avec un flacon on retire entre 5 et 7 doses), et que du jour au lendemain la donne a changé, ce que ne comprennent pas les patients. Nombreux sont les confrères qui ont mis sur leurs agendas des rendez-vous pour assurer la vaccination avec du Pfizer et en fin de compte, ont dû expliquer aux patients que ce ne sera plus le vaccin souhaité qui sera injecté.   "Nous sacrifions tous depuis, presque une année, une partie de nos week-ends" Cette politique vaccinale trop changeante, générant des contraintes administratives trop importantes, a poussé certains libéraux à arrêter les frais et à ne plus vacciner les patients contre le Covid. En ce qui concerne notre cabinet médical, nous avons fait le choix de travailler conjointement avec les infirmiers. Outre le fait que ces soignants unissent leur force pour montrer l’intérêt d’une collaboration, cela permet également de gagner un temps précieux. Il n'empêche que nous sacrifions tous depuis, presque une année, une partie de nos weekends. N’ayant pas la possibilité de dégager en semaine du temps pour assurer cette mission de service public, nous avons décidé "d’œuvrer" 4 heures supplémentaires (parfois 8) le samedi et le dimanche. Toutes les semaines, je travaille donc plus de 80 heures. Ma femme et mon associée, qui travaillent "à mi-temps", en sont presque à 40 heures. Nous ne sommes pas des exceptions. Il est tout à fait malvenu de fustiger les libéraux qui assurent 90% de l’offre de soins. Depuis la première vague, ils sont sur le terrain, et au détriment de leur vie. Ils sont actifs avec des moyens parfois rudimentaires (surtout pour la première vague) pour venir en aide aux patients et leur donner des soins adéquats. C’est d’ailleurs cette qualité de prise en charge qui a été à l’origine, durant quelques semaines, d’un concert de casseroles. Malheureusement, cette reconnaissance (tout comme les forces de l’ordre à certaines occasions) a été de très courte durée.   "Il est facile de passer de héros à coupable" Ainsi les soignants non vaccinés ont été accusés de contaminer les patients, ce qui a conduit à leur imposer la vaccination. Il y a quelques jours, j’ai fait la douloureuse expérience de cette méfiance nouvelle avec une patiente qui exigeait de voir mon pass sanitaire avant de se faire examiner. Comme quoi grâce, au concours de médias, il est facile de passer de héros à coupable. Nous ne devons pas perdre de vue que les libéraux perdent et perdront des plumes dans cette situation car nombreux sont ceux qui sont harassés par la charge de travail imposée par la situation sanitaire et les remarques et menaces de certains patients.  Nous ne pouvons qu’avoir une certaine amertume vis-à-vis de l’exécutif du fait des propos souvent inappropriés et quelque peu gauches mettant toujours en avant les établissements publics, cela en oubliant volontairement les libéraux qui ne déméritent pas et sont loin des 35 heures de travail hebdomadaires. Il y a quelques mois de cela le Président avait expliqué qu’il partait en guerre face au Covid-19. Pourquoi dans ce cas ne pas mobiliser tous les professionnels de santé ? Ainsi pour désengorger les services de réanimation ne serait-il pas opportun de demander aux soignants retraités de travailler moyennant une rémunération attractive ? Ne peut-on pas demander aux médecins travaillant dans la fonction publique ou assimilée de joindre leurs efforts pour que les services des urgences et Covid ne soient plus débordés ?   "Ne pas accabler les libéraux" Pour finir, il existe des solutions pour que les patients puissent être pris en charge correctement, mais il faut du courage et de la ténacité pour les mettre en œuvre. Les libéraux restent le maillon fort dans la prise en charge des patients durant cette difficile période. Aussi est-il nécessaire de ne pas les accabler car leur charge de travail est énorme. Et n’oublions pas qu’ils méritent le concert de casseroles et la légion d’honneur."

 
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