Fils à papa, matheux… Trop élitistes, les études de médecine ?

03/11/2017 Par Aveline Marques

A peine plus de 5% de fils d'ouvriers et une majorité (52%) d'enfants de cadres et de professions intellectuelles supérieures. Les derniers chiffres publiés par le ministère de l'Enseignement supérieur dressent un portrait social sans contraste des étudiants en médecine. Alors que le Gouvernement lance un plan destiné à réformer l'accès à l'Université, le président de la Conférence des doyens de facultés de médecine, le Pr Jean-Luc Dubois-Randé, milite pour une plus grande diversification des profils.

  Egora.fr : D'après les statistiques 2016-2017 du ministère de l'Enseignement supérieur, la médecine serait la filière universitaire la moins diversifiée socialement. Comment l'expliquez-vous ? Pr Jean-Luc Dubois-Randé : Ces chiffres ne me surprennent pas du tout, ça correspond à la réalité. Il n'y a pas besoin de statistiques pour voir qu'on rencontre peu de fils d'ouvrier en fac de médecine… Mais c'est aussi le reflet de l'Education nationale. Si on regarde qui arrive en terminale et passe un bac S avec mention, on va retrouver exactement ça. L'ascenseur social ne marche plus. Il y a problème d'accompagnement des collégiens et des lycéens. Le facteur majeur en médecine, c'est le concours de première année. Il n'y a que 30-40% de reçus si on cumule les deux années. Pour y aller, il faut prendre son souffle ! Au-delà de la nécessité du bac scientifique, il y a aussi une barrière financière ; en général, ce sont les parents qui prennent en charge. Les prépas privées qui se sont installées dans le paysage constituent également une barrière scolaire. Et les boursiers, il n'y en a pas tant que ça… Il y a quand même un biais de sélection en médecine : environ 30% des étudiants ont des parents médecins ou apparentés. Mais ça, c'est pareil un peu partout. Attention, je ne dis pas que c'est bien…   Vous militez pour plus de diversité. En quoi est-ce important ? La diversité est toujours une richesse. Elle est sociale et disciplinaire. Pour le moment, il y a un formatage très fort d'étudiants scientifiques. On ne peut pas leur jeter la pierre, mais au bout du compte on a une forme de pensée unique et une préparation des études en mode bachotage intense. Le fait d'avoir des étudiants d'autres filières - éthiques, sciences humaines et sociales, paramédicales- pourrait bonifier les études médicales. Et ces étudiants venant d'autres horizons seraient peut-être plus intéressés par des installations dans des territoires qui sont aujourd'hui des territoires perdus de la République. On n'a pas de garantie qu'un étudiant issu d'une classe sociale défavorisée s'occupe de malades défavorisées, mais actuellement on n'a pas ces profils donc on ne peut pas en juger. C'est sûr qu'il faudra les suivre. On commence à voir des étudiants issus de l'immigration de 2e ou 3e génération. On assiste à des thèses avec toute la famille, il y a une fierté. Ce sont des réussites individuelles, mais aussi familiales. J'en vois de plus en plus à Créteil (Val-de-Marne), ville où il y a une mixité de population. D'où l'importance de délocaliser les facs, pour drainer des étudiants aux profils différents. On peut monter facilement des antennes de Paces. On l'a fait à Torcy (Seine-et-Marne), en 2011-12, et on a vu rentrer dans le système beaucoup d'étudiants d'origine asiatique, avec le même taux de réussite que les autres. Dans les éléments qui vont jouer, en tout cas en première année, il y a la proximité. C'est quand même plus simple si on est hébergé. S'il faut se loger en plus, on rajoute un obstacle financier supplémentaire.  

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  Comment accompagner ces étudiants issus de milieux moins favorisés ? Le tutorat suffit-il ? Le tutorat tel qu'il est mené actuellement par les associations dans toutes les facs est exceptionnel. Les résultats sont équivalents à ceux des prépas. Le problème, c'est que ceux qui ont les moyens font ceinture et bretelle : ils font et le tutorat, et la prépa.   Quel bilan des alter-Paces? Comment se débrouillent ces étudiants qui arrivent directement en 2e ou 3e année ? On a des expériences contrastées à ce stade, dans la mesure où rien n'est vraiment encore articulé. C'est tout récent : ces expérimentations datent d'il y a deux ans. A Angers, l'expérimentation marche très bien, à Bobigny aussi. Dans d'autres facs, comme Paris intra-muros ou Tours, ça marche moins bien. Probablement parce qu'il y a peu d'étudiants qui s'y autorisent, il y a une forme d'auto-censure. Ce que l'on voit, c'est qu'il faut accompagner ces étudiants. Si on les lâche dans la fosse aux lions, ils peuvent être en échec. D'abord, parce que ce n'est pas encore passé dans les mœurs. Le système est très traditionnel : les étudiants passés par le concours considèrent que l'alter-Paces, c'est ceux qui leur prennent les postes, même si on a demandé des augmentations du numerus clausus en conséquence. Il faut normaliser un peu ça, ne plus en faire une expérimentation. L'objectif, derrière, c'est d'arrêter les redoublements en première année. On sait que ça ne sert à rien de faire deux ans. Les étudiants disent "on n'est pas mûr la première année", mais en fait la 2ème année, c'est la voiture balai : on récupère ceux qui étaient en queue de peloton en 1ere. C'est un sacré prix à payer pour les étudiants, et pour la société. Un tiers des effectifs dans toutes les facs, ce sont des redoublants…   Quelle alternative ? La proposition que l'on porte en Ile-de-France, c'est de faire le job en une seule année, avec éventuellement deux concours : un concours classique et un concours avec la queue de peloton, en affinant un peu les choses, avec des unités spécifiques ou un oral par exemple. Les autres étudiants ne redoubleraient pas, mais passeraient dans le système licence de l'université et pourraient revenir en alter-Paces, en 2ème ou 3ème année. On peut très bien se planter et revenir ensuite en médecine en étant un peu plus mûr. Il faut donner une souplesse au système pour éviter que les étudiants partent en Roumanie ou ailleurs. On supprimerait le numerus clausus, d'une certaine manière. On considèrerait qu'il y a une régulation qui est donnée en fonction des besoins de santé d'un territoire, mais qu'il y aurait aussi une certaine fluctuation du nombre d'étudiants dans la mesure où ils ne feront pas tous du soin. Ils peuvent faire de la recherche, du management. C'est une richesse aussi. Et ça permet une certaine originalité de parcours en fonction des facultés. 

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