Dans un mail envoyé le 18 octobre aux professionnels de santé, l’Agence nationale du DPC alertait sur une "introduction frauduleuse" dans son système d’information. Des soignants – en particulier des remplaçants – ont pu bénéficier d’une prise en charge d’actions de formation alors qu’ils n’étaient pas éligibles, indique-t-elle. Et ce grâce à "une modification de leur mode d’exercice dans le système". Chez de nombreux remplaçants, l’incompréhension a fait place à la colère : regrettant d’être assimilés à des "fraudeurs", ces derniers ne comprennent pas pourquoi ils sont tout à coup "exclus" de cette prise en charge. Eclairage. Le mail de l’Agence nationale du DPC (ANDPC) envoyé ce lundi aux professionnels de santé a fait l’effet d’une bombe, en particulier chez les remplaçants, qu’ils soient médecins, infirmières, masseurs-kinésithérapeutes… Intitulé "Alerte – Introduction frauduleuse dans le système d’information de l’Agence", le texte informe que "de nombreux professionnels pour lesquels aucun mode d’exercice n’était remonté des données gérées par l’Agence du numérique en santé (ANS) lors de la création ou de la migration de leur compte sur le nouvel espace dédié, et devant probablement exercer sous statut de remplaçant(e) non éligible à notre prise en charge, s’étaient inscrits à des actions de DPC". Il ajoute : "Alors que tout accès aux fonctionnalités permettant ces inscriptions était automatiquement bloqué, l’enquête en cours objective qu’alors que les données en provenance de l’ANS ne remontent toujours aucun mode d’exercice, lesdits professionnels apparaissent désormais sous le mode d’exercice ‘libéral’ dans leur compte ce qui implique un forçage manuel du système d’information de l’Agence [une modification directe dans le code, précise l’ANDPC à Egora.fr] et une fausse déclaration dans l’objectif de bénéficier de la prise en charge". L’Agence nationale du DPC informe ainsi que les professionnels concernés se verront désinscrits, et "la prise en charge des actions de DPC suivies" sera refusée. Soulignant "la gravité" des faits, elle annonce également qu’elle "se réserve le droit d’engager des poursuites devant les juridictions compétentes", précisant que d’après l’article 323-3 du Code pénal, ces faits sont passibles d’une amende de 150.000 euros et d’une peine de prison de 5 ans (7 ans et 300.000 euros d’amende si l’infraction a été commise à l’encontre d’un système de traitement automatisé des données à caractère personnel mis en œuvre par l’Etat).
L'@AgenceDPC accuse à demi mot les remplaçants d'être des pirates fraudeurs pour s'être inscrits à des DPC sans être conventionnés !
C'est à nouveau méconnaître le statut complexe des remplacants, et mélanger statut (thésé ou non), activité & situation à l'égard de la convention pic.twitter.com/B65IL9hZix— ReAGJIR (@ReAGJIR) October 19, 2021
Contactée par Egora, l’ANDPC précise que le montant du préjudice s’élèverait à "environ 800.000 euros pour 1750 inscriptions de professionnels non éligibles", remplaçants donc, mais aussi des salariés d’établissements de santé. "Un ou plusieurs organismes de DPC" seraient à l’origine de l’intrusion dans le système. Ces derniers auraient voulu "remplir leurs sessions et bénéficier indûment de [la] prise en charge". "Malgré de nombreuses alertes diffusées par nos soins, des professionnels ont dû donner accès à leur compte à ses organismes et s’agissant des professionnels salariés, ils ne pouvaient eux ignorer ne pas pouvoir prétendre à notre financement", déplore-t-elle, appelant les soignants à "ne jamais donner accès à leur compte", au risque de se rendre complices "d’agissements frauduleux à grande échelle de la part d’organisme".
"Mauvaise blague" Pour les destinataires du courriel, notamment les remplaçants, l’incompréhension est de mise. Sur les réseaux sociaux l’on croit d’abord à "une mauvaise blague". "Je pense que c’est de la connerie… quand j’étais remplaçant j’usais du DPC sans aucun problème… pourquoi cela changerait aujourd’hui ?" estime par exemple un masseur-kinésithérapeute sur Twitter. "Je suis inscrite depuis que je suis thésée, je n’ai absolument pas eu besoin de pirater le système", explique de son côté une médecin généraliste sur le même réseau social, où les interrogations fusent depuis deux jours. Pourtant, malgré les nombreux témoignages de remplaçants ayant déjà effectué des actions de DPC au cours de leur carrière*, l’Agence nationale du DPC semble ferme à ce sujet : "elle contribue au financement des actions des professionnels de santé conventionnés et des salariés des centres de santé conventionnés avec l’Assurance maladie (article R.4021-22 du Code de la santé publique)" uniquement. Pas à celles des professionnels de santé remplaçants (quels qu’ils soient). "Le financement du DPC des remplaçants relève du FAF-PM** et du FIF PL*** auquel ils cotisent", précise-t-on à l’ANDPC. La présidente du syndicat des jeunes généralistes installés ou remplaçants ReAGJIR, le Dr Agathe Lechevalier, dénonce "une mauvaise interprétation" du Code de la santé publique. "La formation professionnelle continue est une obligation pour tous les professionnels de santé dès leur formation initiale terminée", oppose-t-elle, ajoutant que "les remplaçants exercent sous le statut des médecins qu’ils remplacent". "On trouve incohérent que les remplaçants n’aient pas accès à la formation professionnelle continue comme leurs collègues libéraux", lance-t-elle. "Cette accusation de fraude vis-à-vis de ces remplaçants est une honte." D’autant que, ajoute le Dr Lechevalier, ces derniers ont bel et bien une activité libérale. "Il est incompréhensible que les remplaçants soient exclus de ce dispositif. Les médecins remplaçants ne signent pas directement la convention puisqu’ils ne sont pas installés mais ils en respectent tous les termes. On ne voit pas pourquoi ils n’auraient que les inconvénients et pas les avantages", s’agace la praticienne. "Mise en conformité" Y aurait-il eu un changement de politique au sein de l’Agence nationale du DPC qui aurait mené à cette décision ? Non, répond l’ANDPC, simplement "une mise en conformité". Si jusqu’à présent, les professionnels de santé pouvaient s’inscrire à des actions de DPC en se créant un compte à partir d’informations déclaratives, depuis le 1er juillet dernier, la règle a changé, fait savoir l’ANDPC. Ces derniers doivent obligatoirement créer un nouveau compte, afin "d’alimenter leur document de traçabilité (DDT) de toutes les actions suivies au fil des ans et de justifier auprès de l’Ordre ou de l’ARS du respect de leur obligation de DPC à l’issue de chaque exercice triennal" mais aussi "de s’inscrire s’ils relèvent du périmètre de notre financement à des actions de DPC prises en charge". Ce nouveau compte est "pré-rempli après saisie du n°RPPS ou Adeli avec les données de l’Agence du numérique en santé qui centralise les informations transmises par les Ordres ou les ARS". Une information qui, assure l’ANDPC, avait été transmise aux professionnels de santé. "En ce qui concerne les remplaçants, aucun lieu et/ou mode d’exercice ne remonte. En effet, n’étant pas installés, il est normal que ne remonte aucun lieu d’exercice et/ou de ce fait aucun mode. Ils ne peuvent pas être conventionnés, leur exercice se faisant dans le cadre d’un contrat de droit privé avec le remplacé, même si l’assurance maladie prend en charge la maladie et la retraite (adhésion à l’Urssaf et la Carpimko). Par conséquent, les médecins remplaçants peuvent créer leur compte et accéder au document de traçabilité mais ne peuvent pas prétendre au financement de l’Agence". Lors de la migration des données ou de la création des comptes, l’Agence s’est ainsi aperçue "qu’était encore appliquée par les services de liquidation de factures, une vieille règle négociée dans le cadre de la gestion conventionnelle de la formation, consistant à prendre en charge des remplaçants à partir d’un certain nombre de jours d’exercice". Or, ajoute-t-elle, "cette pratique est en claire opposition avec la réglementation susmentionnée et l’Agence est en cours d’actualisation de ce document pour le rendre conforme à la règlementation. Il devrait être remis en ligne avant la fin du mois d’octobre". "Aucun indu pour les années antérieures ni les 6 premiers mois de 2021 " "Je ne sais pas comment vont faire les remplaçants qui souhaitent continuer à se former en étant indemnisés, s’inquiète le Dr Lechevalier. Actuellement, il existe la possibilité d’avoir la formation FAF pour les remplaçants qui cotisent au régime classique de l’Urssaf. Mais il y a aussi un nouveau régime, le régime simplifié des professions médicales, qui, lui, ne permet pas de cotiser à la formation FAF. Pour ceux qui adhèrent à ce régime, ils n’auront aucune possibilité de formation continue. Même ceux qui peuvent bénéficier du FAF auront la prise en charge de la formation mais n’auront pas d’indemnisation lors de ces jours de formation : ce seront des jours non travaillés donc une perte nette pour eux."
Si l’Agence nationale du DPC nous affirme qu’"aucun indu pour les années antérieures ni les six premiers mois de l’année 2021" ne sera finalement demandé "dans la mesure où le système d’information ne permettait pas de les identifier", la présidente de ReAGJIR ne décolère pas et se déclare prête à défendre tous les jeunes remplaçants qui se verraient "victimes de telles accusations de fraude". Quant à l’exclusion des remplaçants du DPC, elle annonce d’emblée que le syndicat – qui lutte depuis plusieurs années pour le conventionnement direct des remplaçants - va solliciter le Conseil national de l’Ordre des médecins et le Collège de médecine générale à ce sujet. De son côté, l’Agence nationale du DPC prévient que la règle qui s’applique est "clairement rappelée sur le site des inscriptions et la vigilance des professionnels concernés, comme des ODPC, est attendue sur le fait qu’aucune prise en charge ne pourra plus être assurée". *Leur nombre est impossible à déterminer, selon l’ANDPC, "du fait que nous n’avions pas cette information dans les anciens comptes déclaratifs".
** Fonds d'assurance formation de la profession médicale
***Fonds interprofessionnel de formation des professionnels libéraux
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