En partenariat avec Retronews.fr, le site de presse de la Bibliothèque nationale de France. Mai 1945. La Corse est libre depuis deux ans. Ajaccio, qui accueille encore les navires alliés, célèbre l'Armistice quand la nouvelle se répand : le 12 mai, une jeune fille de 15 ans est décédée de la peste bubonique à l'hôpital de la ville. Elle vivait à proximité d'un poulailler, fréquenté par les rats. Deux jours après, sa voisine, qui l'avait habillée, est décédée de la peste pulmonaire. Yersinia pestis n'avait pas frappé la ville d'Ajaccio depuis près de 300 ans. "Grande opportuniste", selon les termes du Dr Bertrand Mafart, spécialiste en paléopathologie, la peste a toujours été "aux portes de la France", présente dans des foyers endémiques de rongeurs sauvages autour du bassin méditerranéen. Avec la Seconde Guerre mondiale, la surpopulation des villes, les regroupements et mouvements de population, la désorganisation du transport maritime et le relâchement des mesures prophylactiques sur les navires et dans les ports ont favorisé des résurgences de la maladie, notamment au Maroc (5341 cas entre 1939 et 1945), mais aussi en Palestine, en Egypte, en Algérie, en Libye, en Tunisie, à Malte, en Italie… et en Corse. Campagne de vaccination massive Dans Le Patriote du 19 mai, le maire d'Ajaccio annonce avoir pris des "mesures prophylactiques destinées à arrêter la propagation de cette maladie particulièrement infectieuse et épidémique" et exhortent les habitants à respecter "l'hygiène publique", autrement dit à veiller à la propreté des cours et la salubrité des voies publiques. Il est désormais interdit de déverser des ordures à toute heure de la journée. Une campagne de vaccination massive de la population civile est organisée début juin. Les doses de vaccin inactivé sont acheminées depuis l'institut Pasteur. La ville est placée en quarantaine : plus de trains, de bateaux, ni d'avions n'entrent ou ne sortent. Les Ajacciens qui veulent quitter la Corse doivent se rendre à Bastia et y rester en quarantaine durant 5 jours. Les habitants, à pied ou en voiture, n'entrent et ne sortent de la ville qu'à travers des barrages, où leur certificat de vaccination antipesteuse est contrôlé. Les véhicules sont copieusement aspergés de poudre de DDT. Les cafés et bars sont soumis à des horaires d'ouverture stricts et ne peuvent plus servir qu'en terrasse, à des tables de trois personnes au maximum. Logements évacués Il s'écoule 24 jours sans qu'on entende plus reparler de la peste, laissant place aux rumeurs et au scepticisme quant à la réalité de l'épidémie. Dimanche 10 juin, un "cas grave et douteux" est signalé dans un immeuble situé cour Napoléon, près du port. Dans les jours qui suivent, quatre autres cas sont déclarés dans deux foyers distincts. Les logements sont évacués, leur accès gardé par la police. Les locaux, les matériaux, les vêtements, voire les personnes, sont désinfectés à la DDT.
Les greniers, mansardes, cours et caves de la ville sont vidés par camions entiers. Devant les entrées, on répand de l'eau javellisée. Sur ce plan, l'épidémie aura été salutaire. Ajaccio, ville réputée sale, même avant la guerre, doit faire place nette pour tenir à distance le rat, "réservoir" de la peste, et la puce, vecteur de la maladie. "Il est recommandé expressément à la population d'éviter à l'heure actuelle les cortèges, rassemblements et quelque occasion que ce soit (enterrement, mariages)", précise un communiqué de la préfecture de Corse, le 13 juin. Un mois s'écoule et cinq autres cas sont signalés. La résistance de Yersinia pestis à la nouvelle pénicilline G ayant été démontrée in vitro, les malades sont traités avec des sulfamides, notamment la sulfadiazine. Mais la mortalité reste élevée, de l'ordre de 30%. Les personnes en contact avec les victimes bénéficient d'une chimioprophylaxie. Les morts sont immédiatement enterrés et chaulés, sans que la famille n'ait parfois eu le temps de leur faire leurs adieux. Puces La ligne ferroviaire Ajaccio-Bastia est rouverte le 5 juillet aux voyageurs muni d'un certificat de vaccination. Maintenir la ville dans un strict isolement, c'était prendre le risque de voir les habitants se faufiler à travers les mailles.
Le dernier cas est finalement signalé le 24 juillet. Au total, l'épidémie aura touché 13 personnes, dont 10 ont succombé du fait, notamment, d'un retard dans la mise en œuvre du traitement. Le foyer originel de l'épidémie a été identifié : il s'agit d'une caserne occupée par des tirailleurs de l'armée française où était entreposé du matériel, infesté de puces porteuses de la maladie. Les mesures de restriction sont finalement levées le 1er septembre.
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