Démission collective de 116 médecins au CH de St Brieuc : ils nous disent pourquoi

16/10/2018 Par Aveline Marques

Lassés de ne pas être entendus par la direction et accablés de reproches par leurs équipes, 116 médecins de l'hôpital de Saint-Brieuc (Côtes d'Armor) ont démissionné de leurs fonctions administratives et managériales. Dans cet établissement en déficit, le divorce est consommé entre la direction et les médecins.

  Ils ont mis leur menace à exécution. Mardi 9 octobre, 116 médecins de l'hôpital de Saint-Brieuc ont démissionné de toutes leurs fonctions administratives et managériales, avec effet au 19 octobre, consommant leur rupture avec une direction qui ne les écoute plus. "Nous nous sommes résolus à cette décision avec tristesse après 18 mois de rencontres avec la direction, sans être entendus", expliquent les démissionnaires (membres de la CME, chefs de pôle, chef de service, membres de commissions et d'instances diverses et variées) dans un communiqué transmis lundi 15 octobre.   L'emploi se précarise   Cette décision, historique, "couvait depuis la CME de juin", explique à Egora le Dr Christian Brice, médecin aux urgences, qui vient de quitter la commission du matériel. La réunion du 9 octobre, à laquelle l'ensemble des 360 praticiens de l'hôpital avaient été conviés, devait permettre de discuter du "problème de gouvernance" au sein de cet établissement de 1247 lits, dont le déficit se creuse d'année en année. "On était bénéficiaires de 2 millions en 2016… en 2018, on serait déficitaires de 6 millions", rapporte l'urgentiste, qui pointe la baisse continue des tarifs médicaux. Une soixantaine de lits d'hospitalisation ont été fermés en 5 ans, relève le syndicaliste. A tous les niveaux, l'emploi se précarise : les CDD d'un mois sont désormais la règle. "A la fin de l'été, 8 CDD n'ont pas été reconduits aux urgences alors que plusieurs congés maternité sont en cours, déplore le médecin urgentiste. Là on est mi-octobre, les filles n'ont pas leur planning de novembre, elles ne savent pas si elles travailleront à l'hôpital de Saint-Brieuc le mois prochain." Pour la direction, qui s'exprime par le biais d'un communiqué, "ce changement de contexte est à l’évidence un facteur de tension supplémentaire, la communauté médicale ressentant une 'financiarisation' des décisions". Mais pour les médecins démissionnaires, c'est surtout l'absence de collaboration avec les équipes qui est en cause. "Nous pensons que c’est en associant les acteurs de terrain aux décisions et en partageant avec eux les contraintes que les solutions les plus pertinentes pour l’organisation seront trouvées", estiment-ils, regrettant que la direction n'ait pas tenu ses promesses en la matière.   Grève illimitée   C'est la conduite du projet de construction d'un pôle ambulatoire "qui a mis le feu aux poudres", d'après le Dr Christian Brice. Pour financer ce projet à 25 millions d'euros, l'hôpital a dû économiser à tous les étages. "On nous enlève des lits pour les patients âgés chroniques, qui se retrouvent à dormir dans les couloirs aux urgences, pour faire de l'ambulatoire, de la médecine lucrative. C'est de la médecine de clinique, rentable", charge l'urgentiste. Faute d'argent, la promesse de nouveaux locaux des urgences est en train de tomber aux oubliettes, déplore-t-il. Même chose pour le recrutement d'un ARM (assistant de régulation médicale) supplémentaire au Samu 22. "L'ARS a promis des moyens supplémentaires suite à l'affaire Naomi. Mais au lieu d'avoir un 3ème ARM la nuit, ils enlèvent un assistant la journée", déplore le Dr Brice. Portés par ce vent de contestation au sein de l'hôpital, les ARM viennent d'ailleurs d'entamer une grève illimitée. Plus mesurés, les médecins démissionnaires de la CME se disent favorables au projet de pôle ambulatoire, qui représente "une opportunité". "Nous avons demandé à la direction de nous faire confiance, à nous équipes médico-soignantes, pour construire les organisations où le patient recevra les meilleurs soins par des équipes qui vont bien, tout en prenant en considérations les contraintes financières pour trouver les organisations les plus efficientes." Mais aujourd'hui, la confiance est rompue. Et les médecins ne veulent plus "subir" les décisions "imposées par la direction". "Les médecins passaient beaucoup de temps en réunions pour discuter de tous les soucis ou de l'organisation du futur bâtiment… Mais en fait, tout était imposé, avec un effectif au minimum", pointe le syndicaliste de l'Amuf, qui déplore "une transmission verticale d"informations". De retour dans leur service, les médecins étaient mis en cause par les équipes : "malgré leur désaccord, les décisions étaient validées et il y avait leur nom dans les comptes-rendus… ils servaient de caution".   Mission de l'IGAS   Pris en tenaille entre la direction et les médecins, le Dr Benoît Moquet a démissionné de la présidence de la CME en mai dernier. Sa remplaçante par interim, le Dr Cynthia Garignon, vient elle aussi de jeter l'éponge. L'instance étant obligatoire, la direction envisagerait de réquisitionner le praticien le plus âgé de l'hôpital. "C'est un gynécologue, à deux ans de la retraite. Il a déjà prévenu qu'il démissionnerait", indique le Dr Brice. Pour éteindre le feu, l'ARS a missionné l'Inspection générale des affaires sociales (Igas). Les démissionnaires réclament en effet "un diagnostic impartial" effectué par un "groupe de personnalités qualifiées extérieures, indépendantes faisant intervenir à minima des médecins Président de CME ou Chefs de pôles". "Force est de constater que le management et le mode de gouvernance sont toujours perfectibles", concède la direction de l'établissement, qui rappelle dans son communiqué que des "actions d'amélioration ont d'ores et déjà été prises ces derniers mois : instauration d'un conseil des pôles, rencontres mensuelles entre la direction, la présidence de CME et les trios de pôle, intégration de la présidente de CME par intérim au comité de direction. Lors de la réunion du 9 octobre, la direction a par ailleurs présenté les axes d'une "plateforme de propositions", qui vise notamment à "favoriser la co-construction médico-administrative, ce qui passe par une association renforcée des instances, en amont des décisions". En attendant le rapport de l'Igas, et bien que le dialogue soit rompu, l'hôpital continue de tourner. "Dans toutes ces instances, les médecins n'ont qu'un rôle consultatif. On est les employés d'une entreprise", constate le Dr Christian Brice avec amertume. Tant que les professionnels continuent de travailler, "l'argent rentre dans les caisses", souligne le médecin urgentiste. Et si les médecins cessaient de coter les actes ? "Il est évident que ça va finir comme ça."

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