Tout a commencé avec la publication d’un rapport accablant de la Cour des Comptes, le 9 décembre 2019. Dans ce document de près de 190 pages, les Sages de la rue de Cambon pointaient de nombreux dysfonctionnements dans la gestion de l’Ordre des médecins, et des "dérives préoccupantes". La Cour constatait en autres des irrégularités au niveau des indemnités versées aux membres de l’institution ordinale, dont certains membres ont perçu des indemnités "parfois supérieures au plafond réglementaire". Le président du Cnom avait mis en place une commission d’enquête afin d’étudier les suites à donner à quatre situations individuelles évoquées dans ledit rapport. Il avait été décidé début février 2020 de porter plainte devant la juridiction ordinale contre deux élus et deux anciens élus du Conseil national, dont le Dr Jacques Lucas, membre du Cnom de 1999 à 2019. Il occupait les fonctions de secrétaire général de 2002 à 2003 et de 2005 à 2007 puis de vice-président du Cnom de 2007 à 2019.
Il est reproché au Dr Lucas d’avoir obtenu le remboursement de frais de transport, de repas et surtout, de nuitées, dans le cadre de ses déplacements à Paris liés à sa fonction ordinale, alors qu’il disposait d’un pied à terre dans la capitale. Dans son rapport, la Cour des comptes notait que : "en principe, les élus du Conseil national habitant Paris ou la petite couronne ne bénéficient pas de la prise en charge de frais d’hébergement et de repas pour les réunions qui se tiennent au siège". Le 19 janvier 2022, la chambre disciplinaire de première instance avait rejeté les deux plaintes prononcées en 2020 contre le Dr Lucas. Mais le conseil départemental de l’Ordre de Loire-Atlantique avait fait appel, réclamant une sanction à l’encontre de l’ancien élu. Selon le CDOM 44, "le fait de percevoir des sommes correspondant normalement à une compensation des frais engagés lors d’un séjour à Paris alors qu’il était propriétaire d’un logement dans la même ville est contraire au devoir de probité et est un acte de nature à déconsidérer la profession de médecin". L’instance évaluait en outre la somme litigieuse à "112 858 euros", pour la période de 2011 à 2017. Le Dr Lucas s’était défendu en mai 2022, indiquant n’avoir rien dissimulé et n’avoir enfreint "aucune règle en demandant le remboursement des frais forfaitaires" car "ce n’est qu’à compter du règlement adopté le 13 décembre 2018 que la possibilité pour les élus d’être indemnisés forfaitairement pour leur frais de déplacement a été supprimée". Il assurait également avoir "toujours résidé en Pays de la Loire", où il avait un cabinet libéral jusqu’en 2014. Le praticien jugeait par ailleurs les chiffres avancés par la commission d’enquête "erronés" et "les méthodes de calcul évasives". Le CDOM 44 ayant fait appel, une nouvelle audience devant la chambre disciplinaire nationale de l’Ordre a eu lieu le 13 juillet dernier en présence des représentants de chaque partie. Dans sa décision, qu’Egora a pu consulter, la chambre disciplinaire nationale stipule que "les remboursements de nuitées dus aux conseillers nationaux à raison de leurs séjours à Paris, y compris les remboursements ‘forfaitaires sans justificatifs’, devaient correspondre en tout ou partie à des frais d’hébergement effectivement exposés par les intéressés et ne pouvaient, pour ce motif, bénéficier qu’à ceux de ces conseillers ne possédant pas de logement à Paris ou en petite couronne". Le Dr Lucas "n’exposait directement aucun frais d’hébergement pendant les séjours qu’il effectuait à Paris pour exercer ses fonctions de conseiller national". "Il ne peut sérieusement soutenir que les montants remboursés visaient à compenser les charges de son appartement, qu’il aurait acquis uniquement en vue de l’exercice de ses fonctions ordinales, le remboursement de frais de déplacement étant destiné à compenser des dépenses exposées pour un hébergement hors du domicile mais ne pouvant avoir pour objet d’aider à la constitution ou à l’entretien d’un patrimoine personnel", écrit encore la chambre. Par ailleurs, le Dr Lucas "ne peut se prévaloir de l’absence de dissimulation de sa situation, eu égard au cercle restreint de personnes ayant eu connaissance de celle-ci, ni du fait que l’interprétation qu’il faisait des règles était acceptée par d’autres conseillers nationaux, une telle circonstance, à la supposer établie, étant sans incidence sur la qualification de manquement déontologique". La chambre a ainsi jugé que l’ancien élu ordinal avait bel et bien "manqué à l’obligation de probité" et que "son attitude" a été de nature à "déconsidérer la profession de médecin". Ainsi, la chambre disciplinaire nationale a infligé une interdiction d’exercer la médecine d’un an au Dr Jacques Lucas. Interdiction qui doit prendre effet le 1er janvier 2024. Contacté par Egora, le Dr Jacques Lucas a annoncé son intention de se pourvoir en cassation devant le Conseil d’Etat. "J’ai l’impression de servir de bouc émissaire emblématique" : la réponse du Dr Lucas
Le Dr Jacques Lucas a par ailleurs tenu à adresser un texte en réaction à cette décision. Nous le publions en intégralité ci-dessous.
"Je conteste absolument cette décision prise en appel. J’ai toujours observé strictement, dans cette affaire, les règles qui étaient en vigueur au Cnom et qui ont fluctué dans le temps. A chaque fois, ces règles, publiées sur le site du Cnom, ont été préalablement validées en session plénière. Je n’ai jamais dissimulé que j’avais acquis sur mes propres deniers un pied-à-terre à Paris en raison de la fréquence de mes déplacements depuis mon domicile en Loire-Atlantique pour mes nombreuses activités au Cnom, à Paris ou en représentation extérieure. Cela n’était pas connu ‘d’un petit nombre’, comme l’indique la décision mais de tous. Les remboursements de mes frais de déplacement et de mon hébergement à Paris m’étaient remboursés au forfait fixé par l’assemblée plénière du Cnom, comme pour tous les élus provinciaux. Ce remboursement suivait la filière normale de validation interne, par le secrétariat général et la trésorerie. Aucune observation ne m’a jamais été faite. La CDPI avait rejeté la plainte du Cnom, devant les arguments que mon avocat avait développés en fournissant toutes les pièces à l’appui, y compris le règlement de trésorerie du Cnom. Il en a été de même pour les autres confères mis en cause. Aujourd’hui, même le montant allégué dans la décision qui me concerne n’est pas celui qui avait été relevé dans le rapport de la Cour des Comptes sur la gestion financière du Cnom. Seul le CDOM 44 a fait appel de la décision de la CDPI alors même qu’il n’avait produit aucun mémoire en première instance. Pourquoi ? Y a-t-il une animosité particulière à mon égard ? Je m’interroge.
J’ai été abasourdi et véritablement sidéré par la décision de la CDN. Je commence à reprendre mes esprits. J’ai l’impression de servir de bouc émissaire emblématique. Je conteste formellement les arguments avancés dans le dispositif aboutissant à cette décision. J’ai donc pris l’attache d’un avocat aux conseils afin de me pourvoir en cassation devant le Conseil d’Etat."
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